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Billet de blog 22 mai 2025

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Maroc : royaume en location saisonnière

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le royaume brille sur Instagram. À la lueur des filtres et des drones. Les ruelles de Chefchaouen paraissent plus propres qu’un bloc opératoire suisse et Marrakech devient une maquette orientale montée pour les influenceuses en quête d’orientalisme express. L’œil numérique s’y perd comme un enfant dans un souk. Mais à quelques mètres de l’angle photo, le royaume pue.

Les ruelles sentent la graisse et la mendicité. Une vieille tend la main à un touriste en claquettes, pendant qu’un enfant crie « Money !» dans un anglais approximatif. Le touriste rit, sort une pièce, puis accélère. Il ne reviendra pas. Aucun touriste ne revient.  Il repart avec un tapis fabriqué au Bangladesh, une intoxication alimentaire et une promesse solennelle de « revenir inchallah », qu’il annule avant même de passer la douane. Car pourquoi  revenir à un pays où le marchand de souvenirs vend du cuir qui sent le plastique, du safran qui pique les yeux et de l’argenterie qui verdit dès le lendemain.

Le Maroc est un voyage unique, comme une mauvaise opération des dents de sagesse. Une fois l’anesthésie dissipée, la réalité frappe : les hôtels dissimulent les abattoirs, les riads cachent des prisons fiscales, et les babouches sont fabriquées en Chine.

Dans les cafés, l’ennui s’installe. On parle du roi. Toujours. Le roi est loin. Malade, dit-on. Parfois en France, parfois ailleurs. Il ne gouverne plus, mais gouverne encore. Son fils, spectre en baskets, serre des mains avec une gravité d’enfant puni. Il regarde l’Europe comme un élève regarde un professeur cruel. Il sourit, mais il ne comprend rien. Alors, pour assurer la paix du trône, le Maroc donne. Tout. Les terres agricoles, les contrats, les ports, les filles et les garçons, les plages et les douaniers, même le vent s’il le faut. La France reçoit avec grâce, Israël avec méthode. Chacun sa part, chacun son silence.

Sur les collines, le Kif pousse, noble et modeste. Les autorités ferment les yeux, parfois les deux. On laisse faire. Le cannabis nourrit les villages. Les champs verts financent les mosquées blanches. Allah reconnaîtra les siens.

Dans les salons du peuple, le discours tourne en boucle. Le Maroc ne va pas mal, c’est l’Algérie qui complote. Chaque sécheresse vient d’Alger, chaque échec aussi. L’Algérie a volé l’avenir, la mer, le Sahara, les investisseurs, la Coupe d'Afrique, même les orages. 

À Rabat, la diplomatie se fait à genoux. On normalise avec Israël comme on achète un micro-onde : en solde, sans garantie. La population, entre surprise et fatigue, regarde passer les drapeaux bleus et blancs. Rien n’est dit, mais tout est ressenti. Les anciens quartiers juifs se repeuplent, non pas de Marocains revenus, mais de nouveaux maîtres venus avec papiers, actes, souvenirs, et avocats. Des maisons entières changent de main sans procès ni bruit. Le royaume vend son passé à crédit, en espérant un futur exportable.

Dans les campagnes, les femmes marchent des kilomètres avec l’eau sur la tête, pendant que les ministres volent avec l’intelligence sous les bras. Un hôpital sur deux manque de gants, mais les stades brillent. La FIFA adore. Les influenceurs aussi. Le Maroc montre ce qu’il n’est pas, comme un homme qui porte une Rolex volée en croyant être milliardaire. L’illusion tient tant que personne ne pose de question.

Les enfants rêvent de Paris, les parents rêvent d’un visa, les grands-parents rêvent que la pluie tombe, et les chiens rêvent de manger. À Tanger, un ferry part chaque jour avec des valises pleines de regrets. Certains reviennent avec des chemises plus chères, d’autres restent en Espagne pour cueillir les fraises. Le retour n’est jamais certain, car l’avenir est en solde, et l’espoir hors stock.

Les grandes avenues de Casablanca ressemblent à une ville en train de se construire et de s’effondrer en même temps. Les grues côtoient les mendiants, les banques s’installent à côté des hammams en ruine. Le progrès arrive, mais il prend des pauses. Il s’arrête dans les ministères, s’endort dans les commissions, et meurt dans les appels d’offre. Le béton pousse plus vite que la pensée. L’urbanisme précède la culture comme une voiture sans conducteur.

Pendant ce temps, le peuple attend. Que quelque chose vienne. Une pluie, une aide, un miracle. Un roi guéri, un fils éclairé, un plan divin.

Mais rien ne vient, sinon les dettes. Et les drapeaux étrangers. Et les contrats à sens unique. Le Maroc avance comme un derviche tourne : beaucoup de mouvement, aucun progrès. Tout semble danser, rien ne se déplace. Le royaume regarde le monde avec le sourire d’un serveur sous-payé : accueillant, servile, vide à l’intérieur.

Avec un roi duquel on dit qu’il vit entre deux avions et trois hôpitaux. Il gouverne par hologramme. Son fils, prince sans royaume, continue de serrer des mains molles avec des sourires préenregistrés. Il gouvernera peut-être un jour, ou peut-être pas. En attendant, le royaume vend ce qu’il peut, à qui veut.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.