À Paris, où les cafés se prennent pour des parlements, un personnage a troqué sa guitare pour une plume trempée dans l’encre de l’ambition. Il s'appelle Ferhat Mehenni. Non content de chanter les louanges de la Kabylie, il s’est mis en tête de la détacher de l’Algérie, comme on arracherait une page d’un vieux carnet pour en faire un avion de papier. Et, suprême audace, il brandit des documents, prétendument historiques, dont l’authenticité semble aussi solide qu’un château de cartes sous une bourrasque. Apôtre autoproclamé de la liberté kabyle, il parcourt certains plateaux, exhibant des parchemins qu’il jure être les testaments d’une nation oubliée. Ces feuillets, dit-il, prouvent que la Kabylie fut jadis un royaume indépendant, avec ses lois, ses frontières, et peut-être même une flotte de chèvres navigantes. Mais à y regarder de près – hélas, personne ne regarde de près –, ces documents fleurent bon l’imprimante de quartier et l’encre encore fraîche. Un scribe maladroit, sans doute pressé par l’heure de l’apéritif utilisant une imprimante Epson en fin de vie. Mais le plus cocasse, dans cette farce aux accents tragiques, ce sont ces opposants algériens qui applaudissent Ferhat comme s’il était le Messie de la dissidence. Endossant le costume de l’émancipateur, taillé dans un tissu de rêves et de demi-vérités, avec des documents, de simples accessoires, des partitions pour son opéra personnel. Peu importe qu’ils soient faux, tant qu’ils font vibrer la corde sensible de ses partisans. Ces opposants algériens, réfugiés dans les brasseries de Montparnasse, qui l’acclament comme s’il était l’oracle de la révolte. Eux, qui passent leurs jours à rédiger des libelles contre le pouvoir algérien trouvent en Ferhat un champion inattendu. Il y a le Maroc aussi, ce voisin rusé, qui applaudit Ferhat depuis les coulisses. Ennemi juré de l’Algérie, le royaume chérifien voit dans ce trublion un pion délicieux sur l’échiquier des rancunes. Peu importe que ses documents fleurent la fable ; pour Rabat, tout ce qui irrite Alger vaut son pesant de dattes. On murmure que des émissaires marocains glissent des encouragements discrets à l’oreille de Ferhat, ravis de voir un ancien chanteur semer la zizanie chez le rival. La France, elle, joue un jeu plus subtil. Dans les salons feutrés de l’Hexagone, où l’on manie l’influence comme une épée de velours, Ferhat est toléré, caressé parfois, non par amour de sa cause, mais par pragmatisme. Une Kabylie frondeuse, vraie ou fantasmée, offre à Paris un levier commode pour titiller l’Algérie. On ne soutient pas ouvertement Ferhat – trop risqué –, mais on le laisse parader, on le laisse discourir, on le laisse agiter ses parchemins de pacotille. Après tout, un trublion de plus dans la mare maghrébine, cela ne fait jamais de mal aux stratèges du Quai d’Orsay. Dans d'autres cercles où l’on murmure plus qu’on ne parle, certains chuchotent que Ferhat, en bon artiste, a simplement changé de répertoire. La chanson ne suffisait plus ; il lui fallait une épopée. Et quoi de plus grandiose qu’une nation à inventer ? La Kabylie, avec sa langue, sa culture, ses blessures, offrait un décor idéal pour son nouveau numéro. Alors, il a plongé dans l’écriture d’un mythe, griffonnant des brouillons d’histoire comme on compose une ritournelle pour plaire à certains dont le plaisir ultime est de voir l’Algérie se faire caricaturer par l’un des siens. Peu importe qu'il dessine les frontières d’une république qui n’a ni population ni budget, le plus important, c'est qu'elle a un site web très actif. Les montagnes de Tizi Ouzou, elles, continuent de fumer paisiblement sous le soleil, indifférentes à leur indépendance virtuelle. Une indépendance déclarée dans des conférences où le public se limite à : deux diplomates retraités, un vendeur de merguez, et un journaliste franco-marocain en quête de buzz. Ferhat envoie des lettres aux Nations Unies comme d’autres envoient des cartes postales. À New York, on les classe avec les requêtes des indépendantistes texans et les pétitions pour rendre la Lune au peuple inuit. Les Algériens de Kabylie, pendant ce temps, vivent leur vie. Ils travaillent, râlent, fument, se marient, et rient beaucoup — surtout en entendant que leur région était désormais un État virtuel soutenu par quelques intellectuels en goguette. Ferhat Mehenni ne gouverne rien, sinon sa propre mythologie et se voit se voit déjà en père fondateur d’un État qui n’existera jamais.
Billet de blog 24 avril 2025
Ferhat Mehenni, l'homme, le mythe, le PDF
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