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Billet de blog 24 mai 2025

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L’Algérien peut-il aimer une seule femme ?

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La clandestinité affective commence souvent par une formule polie : “je suis avec des amis”. Les amis, ces entités mythologiques capables d’effacer des traces de rouge à lèvres, de justifier une virée nocturne et  d’absoudre mille et une trahisons. L’Algérien ne ment pas, il décore la réalité.

L'Algérien regarde la femme comme un projet immobilier. Belle façade, bon emplacement, mais trop de charges sociales. Il hésite. Il promet la lune, mais n'offre rien. Il veut une femme moderne qui cuisine comme sa mère, parle comme une Parisienne, s’habille comme une Turque, obéit comme une villageoise et rit comme une Espagnole. Bref, un hologramme affectif impossible à localiser.

Et dans ce labyrinthe, l'homme raconte ses conquêtes comme un vétéran de guerre, mais oublie les blessures reçues. Chaque femme devient une anecdote, une date, un surnom : '  El Fermliya ', ' El Hajjala ', 'El Migriya ', ' El Kwafira ', 'Place d'armes '... Toutes sauf la femme.  

Choisir une seule femme, c’est comme choisir un seul parfum de glace dans un salon bondé. L’Algérien goûte tout, puis dit qu’il n’aime rien.

Dans les mosquées, l’imam dit qu’il peut en avoir quatre. L’Algérien sort, le cœur embaumé, l’œil brillant. Il n’a pas les moyens pour une, mais rêve déjà d’un harem climatisé. À la maison, il oublie de sortir la poubelle, mais promet à sa femme qu’il aurait été un bon polygame, dans une autre époque.

Et puis il y a la nostalgie. L’Algérien aime aussi par mélancolie. Il pense à son ex de terminale qui l’a quitté pour un ' Migri ' qui a un pied-à-terre à Porsy. Il pense à la fille du cybercafé d'antan qu’il n’a jamais osé aborder. Il pense à celle qui lui a envoyé un emoji cœur en 2013. Il aime toutes les femmes qu’il n’a pas eues. L’absence lui inspire plus que la présence.

Alors, l’Algérien peut-il aimer une seule femme ? Techniquement, oui. Biologiquement, possible. Psychologiquement, c’est plus compliqué. Il confond souvent désir et amour, tendresse et possession, fidélité et silence.

Le comble de l'ironie, l'incarnation de la complexité de la chose est l'Algérien qui se déplace beaucoup. Une Kabyle pour la noblesse, une Chaouie pour le tempérament, une Mozabite pour le commerce, une Parisienne pour l’exil, une Tunisienne pour les vacances. À la fin, il épouse sa cousine, parce qu’elle connaît déjà la famille et qu’elle ferme les yeux sur les messages à trois heures du matin.

L'étudiant? Il tombe amoureux d’une fille qui lit Nietzsche. Il télécharge Ainsi parlait Zarathoustra en PDF, mais ne dépasse pas la préface. Il change sa bio Facebook : “amoureux de la pensée libre et de l’absurde.” Deux semaines plus tard, il sort avec une fille qui a liké  son commentaire sur TikTok.

Il y a bien sûr des exceptions. Des couples qui durent, des regards qui vieillissent ensemble, des mains qui se cherchent encore à soixante ans. Mais même là, la tentation reste un personnage secondaire. La cousine, la collègue, la voisine du dessus. L’Algérien aime les possibles.

La vérité, c’est que l’Algérien veut aimer une seule femme. Mais il est distrait. Par le passé, par l’histoire de ses parents, par l’imam du coin, par l’oncle de Paris, par la peur de s’engager, par la peur de décevoir. Il veut une femme totale, sans conflit, sans défaut, sans passé. Il oublie qu’il est lui-même un brouillon affectif, mal écrit, mal relu, jamais corrigé.

Une question s'impose: Peut-on aimer une seule femme quand on croit que la virilité se mesure au nombre de cœurs brisés ? Peut-on aimer une seule femme quand on n’a jamais appris à s’aimer, à se connaître, à se réparer ?

L'auteur ? Il croit qu'ne seule femme, c’est un roman entier. Il faut apprendre à le lire, page après page, sans sauter de chapitres. Aimer une seule femme, c’est un acte révolutionnaire. C’est refuser la dispersion, le zapping, l’obsession de la nouveauté. C’est cultiver la lenteur dans un monde pressé. C’est choisir l’approfondissement contre la distraction. C’est admettre que l’amour n’est pas une conquête, mais une construction.

Il faudrait donc que l'Algérien sache ce qu’aimer signifie. Car il croit souvent que c’est surveiller, soupçonner, tester. Il croit que c’est faire des crises pour prouver l’intérêt parce qu'il aime comme on garde un jardin clos, en oubliant d’arroser.

Il veut une femme fidèle comme une chèvre sacrée, discrète comme un casier judiciaire vide, pudique mais photogénique, douce mais ferme, moderne mais sans autonomie. Qu’elle soit grave dans la rue, légère le soir, voilée pour la famille, décolletée pour la nuit. Qu’elle soit une série Netflix aux mille rebondissements, un plat constant mais toujours un nouveau goût.

Et pendant ce temps, elle, l’unique, celle qu’il aurait pu aimer vraiment, regarde le ciel, soupire, et bloque son numéro.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.