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Billet de blog 24 mai 2025

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Le peuple contre l’écrivain

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur a déjà critiqué Boualem Sansal dans un texte long comme un hiver à Tizi-Ouzou, traité le Maroc de royaume en carton-pâte qui s’enduit de fond de teint diplomatique, moqué la France avec l’application d’un artisan qui polit un cercueil, et ridiculisé AmirDZ comme on moque un présentateur de télé-réalité qui aurait appris la politique en regardant des compilations TikTok.

Et pourtant, c’est lorsqu’il pointe, du bout d’une phrase, les incohérences de l’Algérien lambda que la foule sort les fourches numériques et appelle les forces de l'ordre comme si la vérité était un incendie.

L’Algérien n’a toujours pas compris que l’intellectuel n’est pas un miroir. Il n’a pas vocation à refléter l’opinion du citoyen, encore moins à la flatter. Il observe, décortique, bouscule, parfois même blesse. Il n’est ni un agent de relations publiques ni un distributeur automatique de patriotisme.

 Le citoyen veut un penseur qui l’approuve, alors que l’intellectuel, par essence, est celui qui doute, qui dérange, qui dit non quand tout le monde applaudit. Aucun être humain ne partage 100% des idées d’un autre, sauf avec lui-même, dans le confort d’un monologue intérieur. Vouloir un écrivain qui pense comme soi, c’est vouloir un perroquet de luxe.

Il faut rappeler une vérité simple, que la rage populaire semble avoir oubliée : l’intellectuel a lu plus de livres que le citoyen qu'on croise tous les jours ne pourra jamais porter en une seule main. Ce serait donc un prodige inquiétant que, malgré ces lectures, il pense comme le premier quidam croisé dans une station-service. Les idées, comme le bon vin, demandent du temps, de l’ombre, du silence. Elles ne naissent pas dans le tumulte d’un fil Facebook ou dans l’ivresse d’un commentaire anonyme. Elles viennent des bibliothèques, des nuits d’insomnie, des dialogues avec les morts. Et il est absurde, voire dangereux, d’exiger qu’un homme nourri de mille livres pense comme un youtubeur à casquette.

L’Algérien, ce grand sentimental de la nation, n’a pas encore compris que ' Nokhba Lmotakafa ' n’est pas un guichet d’accords. Il croit que penser, c’est épouser l’avis du plus bruyant, et que la plume doit se plier aux publications facebook majoritaires. L'Algérien rêve d’un écrivain qui l’embrasse sur le front et lui murmure : "Tu es parfait, ne change rien." Mais l’intellectuel n’est ni psy, ni mère, ni porte-voix du consensus. Il est le gêneur, le trouble-fête.

 À vouloir des penseurs qui pensent comme soi, on finit avec des perroquets qui votent. Même dans un miroir, on se trouve des défauts. Alors espérer une concorde parfaite entre l’écrivain et le citoyen relève de la magie noire.

Et il faut dire la chose comme elle est, avec l’élégance d’un coup de pied dans une porte : l’intellectuel a écrit plus de lignes que le citoyen lambda n’a lu de messages WhatsApp. Ce n’est pas une insulte, c’est une statistique affectueuse. Imaginer qu’après avoir fréquenté Camus, Khaldoun, Cioran, les Grecs, les Russes, les mystiques perses et quelques fous utiles, il revienne à la case départ pour répéter ce que dit ton cousin à la cafétéria près de Sonelgaz, c’est croire qu’une girafe peut passer sa vie à imiter une vache. Il est normal – vital, même – que celui qui a plongé dans les grands fleuves de la pensée revienne avec des poissons inconnus, et non avec les mêmes bouteilles vides qu’on jette dans le caniveau chaque soir.

Malheureusement, sur les réseaux sociaux, la masse est devenue sacrée. Intouchable. On l’idéalise comme une statue antique dont le nez cassé serait un chef-d'œuvre de douleur. Pourtant, cette même masse traverse au rouge, crache par la fenêtre, et confond liberté et vacarme. Malheur à celui qui suggère une réforme, une introspection, une mise à jour du logiciel mental. L’auteur, lui, ne croit ni aux cortèges bêlants ni aux slogans hurlés par des gorges asséchées dans les manifestations. Il préfère les révolutions silencieuses : un enfant penché sur un livre au lieu d’un écran ; une femme qui, la nuit, imagine une vie qui ne commence pas dans une cuisine ; un vieillard qui, sans témoin, décide de ne plus haïr.

L’idéalisation est devenue un sport de haut niveau. Le peuple est toujours noble. Toujours victime. Toujours magnifique. Et si par malheur un chroniqueur dit que le peuple pourrait, peut-être, se remettre un peu en question, il devient directement une menace. Pourtant, aimer son pays, c’est le vouloir meilleur. Pas le scotcher dans une image photoshopée de 1962.

Et si jamais l’État décidait que ces mots sont trop lourds pour ses prisons de papier, alors l’auteur se taira. Il ne s’exilera pas. Il ne se défendra pas. Il laissera les pierres redevenir pierres, et les hommes redevenir foule. Car une seule nuit en prison vaut mille silences. Et parfois, dans ce pays, se taire est le dernier acte de courage.

D'ici là, il continuera à noircir des pages pour essayer de comprendre pourquoi dans notre beau pays, critiquer l’Algérien revient à gifler une icône. L’auteur l’a appris en observant le feu sacré des indignés numériques. Dès que l’on touche à l’image du peuple, c’est l’hallali : plusieurs avatars sans visage taguent la police. On appelle ça l’engagement citoyen. En vérité, c’est une chasse à l’idée. Une dévotion stupide, où l’on croit protéger l’Algérie en souhaitant l’arrestation d’un écrivain, pendant que l’incivilité prospère en toute tranquillité.

Si un jour l’État lit ce texte et fronce les sourcils, qu’il sache ceci : l’auteur ne le répètera jamais assez, il préfère l’exil intérieur à l’odeur des matelas mouillés d’une cellule. Il ne fera pas de bruit. Il n’enverra pas de lettre ouverte, il n’écrira pas de manifeste. Il fermera les yeux, et rentrera dans la clandestinité de son silence. Parce qu’une seule nuit en prison pour avoir dit que le peuple n’est pas un ange, c’est déjà trop d’honneur pour un délit d’honnêteté.

L'auteur ne se prend pas pour Che Guevara, ce fou qui revient souvent dans les conversations. Comme un poster jauni dans une chambre d’adolescent.  Che Guevara, c’est une illusion. Une barbe photogénique dans un monde où les vraies batailles se gagnent en silence. Ce n’est pas avec des poings levés qu’on change un pays. C’est avec une lecture interdite, un doute qui germe, une certitude qui tombe.

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