Ah, que ferions-nous sans la case Infrarouge dédiée au film documentaire sur France 2 le mardi en deuxième partie de soirée ? Nous nous coucherions certainement plus tôt, c’est vrai ! Courageuse chaîne publique qui ose avec un grand O diffuser du documentaire avant minuit.
Sauf qu’en fait de films documentaires, ce sont des reportages que France 2 programme.
Vous allez me dire qu’on se moque pas mal de la nuance, et pourtant celle-ci est de taille : le documentaire n’est ni meilleur ni plus noble que le reportage, il n’a simplement rien à voir ou presque. Alors que le journaliste chargé de réaliser un reportage a pour mission de nous rapporter une réalité supposée objective, le documentariste se donne pour travail de représenter une vérité qui se situe autant dans la parole des personnages que dans la relation filmeur-filmé.
Ceci n’est pas du doc
Comme l’écrit François Niney dans son essai Le documentaire et ses faux-semblants (Ed. Klincksieck, 2009) :
« Le documentaire est au reportage ce que l’essai est au journalisme. » (p. 120)
Et plus loin :
« Un auteur de documentaire dit de création (différant en cela du documentaire didactique) ne vise pas à transmettre un savoir chiffré à une audience (et un audimat) mais plutôt à faire éprouver à des spectateurs ce qui se joue là et à mettre cet aspect du monde à l’épreuve du cinéma. » (p. 121).
Au vu de cette définition, autant dire tout de suite qu’il y a extrêmement peu de films documentaires diffusés à la télévision ! La grande majorité est cependant visible dans d’innombrables festivals ainsi qu’au cinéma, ce qui prouve paradoxalement l’appétence du public pour le film documentaire, loin des craintes de diffuseurs frileux obsédés par les colères de la Déesse Audience.
Sexe, mensonges et harcèlement, de Clarisse Feletin
Revenons à nos moutons. Ce mardi, dans la fameuse case Infrarouge, deux films dits documentaires sont diffusés : Sexe, mensonges et harcèlement de Clarisse Feletin et La tête de mes parents de Sophie Bredier. Au fil de la soirée et des séquences, je me suis trouvé successivement face à un (excellent) reportage puis à un (bon) film documentaire.
Le film de Clarisse Feletin sur le harcèlement sexuel, est, comme on dit, « édifiant ». Il nous rapporte principalement le travail essentiel réalisé par l’AVFT, l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail, auprès de victimes pour la plupart désespérées. En montant en parallèle les paroles des harceleurs se dissimulant derrière l’argument classique de la séduction et celles des victimes, la réalisatrice montre clairement la violence sous-jacente. Les témoignages sont émouvants et la narration chronologique permet au téléspectateur un visionnage confortablement didactique.
Précision des chiffres et des mots, distanciation objectiviste de la réalisatrice, absence de mise en scène cinématographique, prises de vues journalistiques, nous regardons bel et bien un reportage.
La tête de mes parents, de Sophie Bredier
Le deuxième film de cette soirée Infrarouge est consacré à l’adoption, et plus précisément aux retrouvailles d’enfant abandonnés avec leurs parents biologiques. Un rapide coup d’œil sur Télérama m’informe que la réalisatrice, Sophie Bredier, est elle-même une enfant adoptée. Cela s’en ressent sur la relation filmeur-filmé. La caméra, la plupart du temps en subjective personnage, est émouvante, empathique. Une jeune femme vivant en région parisienne rejoue la rencontre avec son père biologique : Sophie Bredier évite le piège de la reconstitution et nous laisse imaginer la scène au gré des mots et des émotions du personnage. Une belle séquence. Pas de prétention exhaustive, pas de statistiques sur l’abandon en France depuis Mathusalem, mise en scène des récits par un écho alterné des témoignages, nous regardons bel et bien un film documentaire.
Ces deux films peuvent être visionnés gratuitement sur France 2 « Pluzz » ici :
http://www.pluzz.fr/sexe-mensonges-et-harcelement-2012-09-04-22h40.html
Et ici :
http://www.pluzz.fr/la-tete-de-mes-parents-2012-09-04-23h35.html