Alyah est de ces œuvres mineures qui ne font pas de vagues. Un film-esquisse. Certains diraient, c’est un « petit film ». Petit par l’ambition, petit par les moyens, petit par le résultat. « Sobre et élégant » , lit-on dans Libération. Un film dans la veine réaliste européenne qui nous interroge sur l’effet de réel, tant au niveau du langage que des images.
La vie floue
Alex est un parisien de 27 ans. Il deale et il est doué pour ça. Bon, il ne roule pas pour autant en Mercedes, mais cela lui permet de survivre. Il a un frère envahissant, Isaac (joué avec sincérité par le réalisateur Cédric Kahn), qu’il n’arrive pas à lâcher. Esther est son ex, celle qu’il a vraiment aimée. Jeanne, c’est la nouvelle, qu'il aime mais qui ne lui fait pas pour autant renoncer à son départ pour Israël.
Car Alex a décidé de suivre son cousin Nathan à Tel-Aviv, et de faire son alyah, la procédure juridique et religieuse pour émigrer en Israël. Il n’est pas plus juif que ça, Alex, mais il vient de se trouver un eldorado, une terre promise, et il ne lâche plus ce projet. Sa vie est floue, ses ambitions sont floues, son avenir est flou, il veut y voir clair, et ce but lui permet d’avancer. Le film suit cette dernière ligne droite jusqu’à l’arrivée à Tel-Aviv.
Alex n’est pas le porte-voix de la jeunesse française des années 2010, de celle qui se cherche un logement et un travail. Alex n’est pas l’Antoine Roquentin du début du XXIème siècle.
Alex est Alex.
Du James Gray à l’européenne ?
Le réalisateur, Elie Wajeman, admire les films de James Gray : il en aime particulièrement le côté faux polar, où le vrai suspense est moins dans l’enquête que dans l’évolution des sentiments des personnages. Si Pio Marmaï n’a pas à rougir de la comparaison avec Joaquin Phenix, en revanche, Alyah ne dégage pas la même intensité que Two Lovers ou The Yards .
Pourquoi ? Pourquoi y a-t-il dans Alyah quelque chose qui ne décolle pas ? Pourquoi les personnages d’Alyah ne renvoient-ils qu’à eux-mêmes, alors que ceux de James Gray, aussi lointains soient-ils de nous, tant dans leurs modes de vie que dans leur psyché, nous parlent immédiatement ?
L’association d’idées peut paraître inopportune, mais j’ai ressenti la même chose qu’en sortant de Tomboy , le deuxième film de Céline Sciamma, également une ancienne de la Femis en section scénario : sujet emballant (l’identité sexuelle), personnages prometteurs, mais résultat petit, sobre, peu intense. Il ne me semble pourtant pas être une amatrice de grandiloquence et d’explicite (l’emphase mystique d’un Terrence Malick peut rapidement m’agacer par exemple), mais j’ai le sentiment de voir une bombe à retardement qui n’explose pas. Un réalisme qui se limite à la réalité. Or, la réalité est petite, très petite.
Effets de réel
Représenter la réalité la plus banale et la plus triviale, ce n’est pas donné à tout le monde. Filmer le banal sans que cela confine au banal, c’est compliqué. On pense à Pialat, à Zola, où le naturalisme est transcendé, sans cesse fourvoyé. Or, n’est pas Pialat ni Zola qui veut.
Dans Alyah, le réalisateur cherche à tout prix l’effet de réel, dans une classique veine réaliste européenne : caméra à l’épaule, dialogues quasiment ânonnés par les acteurs, langage contemporain, jeu sans emphase (dans lequel, par ailleurs, la comédienne Adèle Haenel excelle), séquence purement documentaire dans Tel-Aviv, décors naturels aussi laids soient-ils (notamment le studio où vit Alex).
Seule la lumière est étrange et peu réaliste pour le coup : je ne sais pas si c’était la copie qui était détériorée ou un choix esthétique, mais les personnages comme les lieux sont souvent filmés en contre-jour, ce qui nimbe la réalité du héros d’un halo blanc (qui exprime justement le flou de son parcours).
Mais à trop flirter avec le documentaire, le film frôle l’émotion sans nous la transmettre. James Gray donne l’illusion d’une réalité plate, mais il n’a pas besoin de caméra subjective pour dévoiler l’hésitation existentielle de Joaquin Phenix. Sa réalité n’est que représentation, sa fiction n’est que fiction, prétexte à dévoiler la vérité des âmes, ce en quoi le cinéma est roi, et les arts narratifs en général. Peut-être est-ce pour cela que les films de James Gray nous bouleversent tant et qu’Alyah nous bouleverse si peu, trop embourbé sans sa recherche de l’effet de réel à tout prix.
Sortie en salles mercredi 19 septembre