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Billet de blog 28 janvier 2013

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Sugar Man, plongée dans l'Amérique fantôme

Il est des films sur lesquels il faut écrire tout de suite après les avoir vus, pour ne pas en perdre la saveur particulière. Sugar Man est de ceux-là.

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Il est des films sur lesquels il faut écrire tout de suite après les avoir vus, pour ne pas en perdre la saveur particulière. Sugar Man est de ceux-là.

Ce n'est pas juste l'histoire de ce Bob Dylan latino passé à côté du succès aux USA qui nous chamboule tant. L'enquête menée par le réalisateur pour retrouver la trace de Sixto Rodriguez, alias Sugar Man, est la partie la moins intéressante du film, même si c'est sur ce ressort que la bande-annonce tente principalement d'attirer le chaland. Le premier tiers du film alterne donc classiquement interviews (caméra sur pied, visage en gros plan) et plans d'ambiance. Ne boudons pas notre plaisir, l'enquête est excitante, avec un dénouement à peine croyable, que je ne dévoilerai pas dans ce post. L'histoire de Rodriguez aurait pu être racontée en un reportage-choc tel qu'on en trouve sur la TNT: personnage mystérieux, musique seventies cool, ville fantomatique de Detroit en arrière-plan. Parfait pour faire du doc entertainment, surligné par une musique dramatisante et des sous-titres explicitant l'explicite.

Sauf que Malik Bendjelloul, en évacuant relativement vite ce fameux scoop, nous donne à voir et à entendre une autre histoire, bien plus profonde et bien plus cinématographique. Dès ses premiers travellings latéraux oniriques de Detroit, superbes, le réalisateur nous suggère qu'il s'agit d'autre chose que d'une simple enquête à rebondissements sur un jeune prodige passé à côté de son destin. Une fois l'enquête résolue, le vrai film commence, et nous fait rencontrer un fantôme habitant aux marges d'une Amérique fantôme.

 Chaque nouveau travelling nous amène toujours plus loin dans les coulisses, au sens propre comme au figuré. Dans les coulisses cruelles de l'industrie du disque, d'abord, qui fabrique des icônes pour mieux les détruire ensuite sur l'autel de l'insuccès.

Dans les coulisses de la musique, ensuite, qui unit les êtres humains mieux que n'importe quelle autre pratique artistique: dans le cas de Rodriguez, sa musique rencontre l'histoire des opposants à l'apartheid, de l'autre côté de la planète. Dans Sugar Man, jamais la musique n'illustre, toujours elle exprime, au même titre que l'image. Elle est à la fois le fond et la forme du film, qui offre ainsi un écrin majestueux aux compositions nostalgiques de Rodriguez.

Dans les coulisses d'une vie particulière, enfin, la vie d'un vénérable paria, racontée avec émotion par ses 3 filles et son patron. Un héros du réel, comme le documentaire peut nous en donner à voir parfois. Un héros intègre, mystérieux, lointain, qui nous transporte sur le versant ouvrier et néanmoins combatif de l'Amérique qui lutte pour joindre les deux bouts. Un héros dont la vie nous ramène à nos désirs avortés, à nos compromis, à nos choix. Un vrai héros de cinéma, en somme.

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