« Désinformer », c'est comme cela que je surnomme cette émission de France Info (Radio France) qui invite des « experts » à réagir à l'actualité : « Les informés » (bien mal nommés). Souvent, ces intervenants n'ont qu'une vague idée de certains faits ou des thèmes sur lesquels ils sont invités à réagir. Peu leur importe, et peu semble importer aux animateurs Bérengère Bonte et Victor Matet ainsi qu'à la chaîne ou à Radio France. Il est fréquent que certains au moins de ces « informés » ne fassent que colporter des avis, non informés, sur des questions qu'il ne maîtrisent audiblement pas, franchissant à l'occasion le seuil de la désinformation. Ils ne sont en général pas contredits par les animateurs. Qu'importent, en effet, les faits pour une émission d'information sur une chaîne d'information ? Je vous invite à tenter l'expérience un soir où il y a, parmi les sujets, un qui vous est cher, il y a peu de chance que vous soyez déçus.
Mais le problème est plus profond à France Info (lourdement et sarcastiquement (et en partie injustement) surnommée Rance Infox pour ce billet) où la frontière entre information et publi-reportage ne semble pas être claire pour tout le monde. Certaines chroniques sérieuses sont ainsi suivies de publicité déguisées. C'est souvent le cas pour les nouvelles technologies où le rapport que la chaîne fait d'un salon où d'une sortie de tel bidule sans grand intérêt occupe une séquence élogieuse entière, même quand le gadget en question n'a d'importance que pour quelques obsédés de la babiole connectée. La plupart du temps aucun recul, aucune réflexion, aucune critique ne vient titiller les lèvres du publi-reporter. Si vous ne me croyiez pas (je vous encourage à exercer librement votre sens critique sur mes billets) je vous propose d'écouter cette hallucinante publicité (enfin, c'est sensé être un reportage d'information) pour une nouvelle mise à jour du système d’exploitation iOS (18ème du nom) d'Apple pour ses iphones (téléphones dit intelligents avec une pomme). Révolutions technologiques : on pourra non seulement déplacer ses icones (wigets), mais aussi changer leur taille et surtout leur couleur (ou je ne sais plus quel caractéristique essentielle en ces temps troublés) ! C'est d'autant plus problématique que, sur ce sujet, c'est souvent à ce niveau qu'est « l'information » diffusée. Certaines chroniques media, elles aussi, ne sont guère plus que des accroches pour des programmes télé...
Certaines éditions spéciales oscillent, elles, entre
- le vide inter-stellaire du genre (brodé sur mes souvenirs) : « le président, chemise blanche et air grave, rasé de près, déambule entre les barrières et s'arrête saluer des français venus à sa rencontre, il va probablement bientôt s'approcher du pupitre et on pense qu'il devrait prendre la parole dans quelques instants » (ce n'est pas une vraie citation, mais je la trouve assez fidèle)
- et hagiologie à la gloire du résident de l'Élysée, du style (pas du tout réaliste sur le fond pour le coup) : « En ce moment solennel, le chef de l'État qui a toujours lutté contre la xénophobie rappelle l'importance de laïcité tolérante et renouvelle son serment solennel de faire rempart à l'islamophobie » (qui n'a jamais et ne sera jamais ni prononcé par Macron, ni diffusé par France Info, c'était juste pour la forme).
Et parfois, on tombe sur le cul comme lors de ce reportage autour des équipes participant à l'euro de foot, ici, la Hongrie. Je précise que la neutralité de certains journaux anglosaxons qui savent bien distinguer entre le reportage clinique et factuel, le commentaire et le texte d'opinion, n'est pas habituelle sur les antennes de Radio France en matière de politique dans des pays étrangers. Comme souvent en France, plus il s'agit d'un étranger lointain surtout en termes politiques et culturels, plus toutes information est teintée de réserve ou de sarcasmes que les journalistes s'autorisent du fait de la réputation des régimes (souvent méritée) ou des acteurs locaux sans prendre trop de pincettes. Ainsi donc, cette chronique légère, qui semble se proposer de faire le tour des équipes nationales et évoque le lien entre politique et foot, déroule :
« une nation qu’[Orban] considère historiquement "blanche et chrétienne". Un pays, Orban le répète chaque année lors de sa Conférence d’Action Politique Conservatrice, qui ne se mélange pas : "Si nous nous sommes divisés, c’est que nous avons accepté de nous mélanger. Mais nous ne voulons pas devenir une race mixte. C'est la grande bataille historique que nous menons : démographie, migration, genre". Voilà les grands principes que Viktor Orban s’est employé à diffuser en utilisant le football comme outil de propagande. »
Le racisme, au sens hideux et originel, est traité ici comme simple grand principe et la chronique continue sans plus de précaution...
Le terme propagande n'est pas, en soit, surtout en ces périodes électorales, connoté péjorativement et semble ici employé de manière factuelle et non comme introduisant une qualification négative de la communication gouvernementale hongroise.
La chronique fait passer ces propos violents, intolérables, répréhensibles et scientifiquement démontrés comme faux, pour une simple opinion tout à fait acceptable. N'y a-t-il pas des lois, en France, interdisant la diffusions de propos racistes ? Peut-on, au détour d'un événement sportif, banaliser les propos xénophobes, racistes et aryanistes sans aucune distance oratoire, ni bien-sûr, dénonciation ?
Sport et fascisme ont certes une longue histoire d'interactions malsaines, mais ce n'était pas là le propos de France Info qui cherchait juste à meubler la couverture d'une coupe d'Europe avant son début. On notera, bien-sûr, que « nation » n'est pas ici un pseudonyme de pays mais de groupe ethniquo-culturel (« pur » donc selon Orban, malgré l'absurdité du concept et l'histoire tourmentée des territoires couverts par l'actuelle Hongrie). L'absence de « mélange » concernant les populations de la région, serait risible dans le cas de la Hongrie, si le propos n'était pas sinistrement glaçant. La citation de ce non-sens par le journaliste, sans autre précaution, fait aussi froid dans le dos.
Je tiens à exprimer ici ma solidarité avec les personnels de Radio France secoués par des projets de dissolution du service public radiophonique et des décisions récentes menaçantes de leurs directions et leur signifier ma gratitude pour leur travail fait dans des conditions difficiles. Radio France fait encore des émissions indispensables grâce au travail dévoué de la plupart. Ma solidarité ne s'étend pas, on l'aura compris, à ceux des dirigeants qui laissent prospérer le genre de dérives décrites plus haut. En particulier, il n'englobe pas les médiateurs et autres éternels  
pas-nous pas-nous*, ceux qui, dès qu'on pointe un biais, une dérive, un problème, s'empressent de nier en criant « pas nous à France-Inter, pas nous à France-Info, pas-nous ... ! ».
 *terme à ne pas confondre, malgré la consonance, avec les regrettés Papous (dans la tête) qui faisaient si bien résonner l'oulipisme radiophonique et étaient incontestablement une des émissions indispensables que je mentionnais supra.
 
                 
             
            