A l’aube de cette nouvelle année et en pleine recherche effervescente de travail, je me suis demandé dernièrement si Séguéla pouvait avoir raison lorsqu’il affirmait que l’on avait raté sa vie si l’on n’avait pas de Rolex à 50 ans. A cette réflexion hautement philosophique, et, il faut l’admettre, à l’image d’un idéal sociétal majoritaire, je fus prise d’angoisse et commençais à compter les années qui me séparaient de la cinquantaine ; une cinquantaine ridée d’échecs se profilait, pourrais-je en 17ans arborer pareille monture ? Néanmoins, je constatais, au même moment, qu’on n’évoqua pas (avec le même fracas que son élection, et, sa rolex), le départ de Cécilia, peu de temps après l’intronisation de Nicolas Sarkozy, très vite marié, comme pour cacher ce tout petit échec sentimental. Enfin, je constatais, à quel point il eut été impossible de présenter, à la face du monde, un président célibataire, qui plus est quitté par sa femme. Pour effacer cet échec cuisant il lui fallait épouser une femme « sublime », riche héritière, bref une Femme Rolex à la hauteur de l’Homme Yacht.
Ainsi au même titre que la réussite professionnelle, la réussite de la vie privée obéit de plus en plus aux mêmes règles : si je suis célibataire, divorcé(e), bref sans personne dans mon lit, j’ai raté ma vie ? Je cherche un mec sur internet comme je cherche mon boulot, j’affine ou j’élargis les critères selon mon humeur. La trentaine passée on se sent aussi mal à l’aise de dire qu’on est à la recherche d’un emploi, que d’annoncer notre célibat en société. Lors d’entretien d’embauche, le recruteur trouve normal de poser la question du célibat ou non au candidat (plus souvent à la candidate d’ailleurs, surtout si elle a dépassé la trentaine), en plus d’un pedigree professionnel on exige un pedigree « personnel » à la hauteur : savoir-faire et savoir-être indispensable à l’échiquier de la réussite. Mais de quel savoir-être s’agit-il ? C’est bien là le hic, le savoir-être dont nous parle les recruteurs n’a rien du savoir-être (comme l’entendrait Freud par exemple), il doit correspondre aux normes économiques : je dois pouvoir répondre aux questions tordues d’un recruteur sans avoir l’air choqué, ainsi pourra-t-il juger de ma capacité à résister face au stress ou je ne sais quelle autre déduction. Le savoir-faire(ou avoir) est quantifiable et les entreprises ne peuvent pas se tromper, encore que la falsification de cv se développe…, mais comment évaluer le savoir-être et surtout de quel « être » s’agit-il? Celui ou celle qui aura l’esprit d’équipe, qui saura être malléable, corporate, proactif, extensible avec une vision à 360 (flexible étant un euphémisme dans le monde du travail d’aujourd’hui) : un cyborg en somme.
Au fond qu'est-ce que réussir sa vie: réussir le travail, l'amour... ? Le film de Mike Leigh Another Year, finit sur une note difficile et amère tel le visage de Mary un des personnages clés du film. Elle écoute un couple parler de sa réussite professionnelle s’accompagnant d’un bonheur conjugal qui saute aux yeux, mais comme le montre Mike Leigh au travers de leur passion du jardin, ce couple a réussi à « cultiver » leur Etre pour être heureux, ce qui est difficile et long (ce que le film ne montre pas et c’est bien dommage). En ces temps d’immédiateté, d’instantanéité du bonheur, du refus de la frustration où l’homogénéité est reine, on peut effectivement rater sa vie et passer à côté de l’essentiel.
Bref, je trouve que ces 17 années qui me séparent de ma première montre de luxe sont trop courtes, je me laisse le temps d’être, ça me passera peut-être l’envie d’avoir.