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Billet de blog 4 août 2024

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Pas de trêve olympique pour  les victimes de violences policières

Vendredi 26 juillet, loin de l’agitation des Jeux Olympiques, mon téléphone sonne aux alentours de 21h. C'est ma sœur Samia. Elle m'informe que Romain Devassine, l'homme qui a froidement abattu mon fils Souheil d'une balle en plein cœur, se pavane lors d'un spectacle de BMX devant des millions de téléspectateurs pour la cérémonie d'ouverture.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 26 juillet, loin de l’agitation des Jeux Olympiques, mon téléphone sonne aux alentours de 21h. C'est ma sœur Samia. Elle m'informe que Romain Devassine, l'homme qui a froidement abattu mon fils Souheil d'une balle en plein cœur, se pavane lors d'un spectacle de BMX devant des millions de téléspectateurs pour la cérémonie d'ouverture. Alors que nous sommes encore incapables de faire notre deuil, entravés par une enquête biaisée qui s'éternise et sombre dans la médiocrité, pour Romain Devassine, la vie continue sans encombre.

Déjà, il y a presque deux ans, il me disait en me regardant droit dans les yeux : « Oui, la vie est belle. » Aucun remords, aucun regret, aucune empathie de ce policier qui se préparait à réaliser une prestation de BMX à quelques centaines de mètres seulement des lieux du drame. Prévenu à l'avance, je m'étais rendu seul à cet évènement pour comprendre comment cet homme pouvait envisager de réaliser ce show à Marseille, cette ville où il avait tué mon fils. Lorsque je me suis retrouvé à moins de 5 mètres de lui, il me reconnut et je lui lançais la gorge nouée « Est-ce que la vie est belle M. Devassine ». Je ne m’attendais pas vraiment à une réponse de sa part, mais plutôt à un silence, ou à quelques mots pour m’expliquer qu’il ne souhaitait pas me parler. Sa réaction fût tout autre, il me répondit avec un air narquois « Oui la vie est belle ». Il a ensuite menacé de me faire expulser manu militari par les gendarmes présents. Cependant, ces derniers avaient compris que je n'enfreignais aucune loi, et m’ont permis de rester tant que je n’intervenais pas physiquement pour perturber l’exhibition ou la course cycliste qui suivait. C’est ainsi que j’ai pu expliquer aux spectateurs pourquoi j’étais là. Finalement, il a dû renoncer à son indigne prestation puisque le public n’était plus si admiratif.

Mais cette fois-ci, pour les jeux olympiques tout a été orchestré en secret pour son apparition télévisée. Je suis extrêmement curieux de savoir qui a permis à cet homme de monter sur scène à défaut d’avoir pu se qualifier pour les jeux.

Alors que chaque jour depuis 3 ans je me réveille avec cette douleur indicible, avec ce manque insupportable de mon fils, lui, le meurtrier continue sa vie comme si rien ne s’était passé, comme si nous n’existions pas.  À l'approche du 4 août, date marquant l’anniversaire de la mort de mon fils, je n’ai d’autre choix que de reprendre mon combat pour la vérité. Point de trêve olympique. Ce combat, je l’ai entamé il y a trois ans par la quête de témoins, de preuves et de pistes, car il est essentiel de rappeler que, même si elle n’existe pas dans la loi, la présomption de légitime défense des policiers est profondément ancrée dans les pratiques policières et judiciaires.

Je n'évoquerai pas les nombreux manquements des enquêteurs, allant jusqu’à la perte de la vidéo du meurtre (l’intégralité de l'intervention, tir y compris, a été filmée par les caméras de surveillance de la caisse d’épargne, pourtant l’IGPN et le service sécurité de la banque ont réussi conjointement l’exploit de faire disparaître ces enregistrements).  Néanmoins, il est crucial de souligner que la simplicité des faits, la présence de nombreux témoins et de vidéos accablantes auraient dû permettre à des enquêteurs bien moins exceptionnels que Sherlock Holmes ou Hercule Poirot de découvrir la vérité. Malheureusement, il n’en est rien, et trois ans après, l’enquête continue d’être d’une médiocrité absolue. Il est difficile de croire que l'on puisse faire pire que Dupond et Dupont, à moins que ce ne soit pour protéger le jeune Devassine, membre à part entière de cette institution Police, prête à tout pour systématiquement disculper l’un des siens.

N'ayant plus aucune attente d’une quelconque amélioration dans l’enquête policière, j’avais encore quelques espoirs dans l’enquête judiciaire au moment de ma rencontre avec le juge d’instruction Patrick de Firmas, il y a maintenant plus de 20 mois. Je me souviens d’avoir évoqué à ce moment-là le profil du juge avec une amie proche. Il faut dire qu’un ancien militaire, en l’occurrence un commandant de sous-marin nucléaire d’attaque, devrait être imperméable à la pression et uniquement guidé par la recherche de la vérité. "En toutes circonstances, me conduire avec honneur et dignité", voilà ce que j’ai appris durant mon passage dans l’armée de terre. J’en attendais de même pour cet ancien marin.

Comme tous les membres de familles de victimes de violences policières, je fais face à un dilemme : dire ce que je pense ou me taire de peur de braquer le juge. Nous oscillons sans cesse entre notre envie de crier notre désespoir devant tant de mépris de l’institution judiciaire et la réserve prônée par nos avocats. Je reproche à beaucoup de juges d’instruction qui enquêtent sur les violences policières leur partialité, certainement liée à leur proximité avec les policiers et au conflit d’intérêts qui les anime. En effet, ils sont aujourd’hui obligés de confier une grande partie de leurs investigations aux policiers. De fait, braquer cette institution dont l’esprit de corps dépasse le sens de l’honneur compromet à coup sûr la réalisation sereine de leur mission de juge.

On pourrait dire que pour moi également il y a conflit d’intérêt : si je dénonce ce que je considère comme scandaleux, je prends le risque que le juge m’accable encore plus que ce qu’il fait déjà. Mais puisque je demande au juge du courage, de la dignité et de l’honneur, j’en ferai de même pour moi.

Je ne veux plus me taire, je n’en peux plus de craindre les conséquences de mes propos. Ce juge dont j’attendais impartialité et honneur n’hésite pas à écarter toutes les investigations élémentaires que mon avocat et moi demandons et qui nous semblent nécessaires à la démonstration de la vérité. De plus, lors de notre entrevue, je ne lui demandais qu’une seule chose : interroger le plus rapidement possible les témoins oculaires. Il a attendu près d’un an avant de le faire, rendant leurs témoignages moins précis, d’autant plus qu’il n’a pas du tout essayé de réveiller leur mémoire en utilisant leurs propos initiaux consignés par un huissier.

Il interprète de façon complètement erronée les bribes de vidéos qui n’ont pas été effacées par l’IGPN pour s’approcher de la version policière, au mépris des éléments matériels et des témoignages. Deux ans après le drame, il convoque enfin deux policiers témoins de l’homicide. Mais le juge ne daigne pas les convoquer le même jour. Il se permet même de souffler les réponses au second des policiers interrogés pour que sa version converge avec celle du premier, plutôt que de réaliser un interrogatoire contradictoire. C’est tout bonnement scandaleux et indigne d’une enquête judiciaire. De surcroît, trois ans après le drame, le tireur, celui qui a abattu mon fils, n’a toujours pas été interrogé et a, comme il le dit si bien, « la belle vie ».

Pourtant, malgré tous ces obstacles, je ne m’avoue pas vaincu. Je ne laisserai rien ni personne me barrer le chemin de la vérité. Je dis bien la vérité, et non pas ma vérité. Je suis prêt à tout accepter, pourvu qu’on m’en fasse la démonstration. En attendant, cela fait trois ans maintenant que je souhaite m’exprimer, que je souhaite faire la démonstration implacable que les policiers ont menti. Trois ans que je souhaite expliquer comment Romain Devassine a abattu mon fils de sang-froid lors d’un refus d’obtempérer parce que ce champion de BMX ne supportait pas que mon fils puisse échapper à ce contrôle de police. Gagner à tout prix, au mépris du droit à la vie, voilà la mentalité du genre de monstre que l’article 435-1 a engendré. Trois ans que je souhaite confronter les témoignages et les preuves matérielles recueillies aux mensonges des policiers et de leur institution. Le secret de l’instruction m’empêche aujourd’hui de divulguer toutes ces preuves accumulées mais ignorées par l’appareil judiciaire.

Personne n’est au dessus des  lois, ni le procureur André Ribes ou sa supérieure Dominique Laurens directement responsables du naufrage de l’enquête, ni les inspecteurs de l’IGPN de Marseille volontairement incompétents voire hors la loi, ni le directeur de la sécurité de la Caisse d'Épargne de Marseille qui a permis la disparition des vidéos, ni les trois policiers qui ont tué mon fils. C’est ce que devrait garantir l’institution judiciaire. Pourtant, elle reste sourde et aveugle face à tant d’irrégularités, et préfère me plumer en me demandant de payer une caution importante à chaque fois que je porte plainte contre un tiers qui a violé la loi pour protéger Romain Devassine.

Alors, mesdames et messieurs les juges, prenez vos responsabilités et déclarez-vous incapables d’enquêter sur les violences policières. Votre honneur, votre humanité vous obligent à imposer un changement, à faire des propositions pour que les policiers ne soient plus au-dessus des lois. Juges spécialisés, accès immédiat à la procédure pour les avocats dans le cas des violences policières, supervision par une entité civile indépendante et tant d’autres dispositions contribueraient à redonner confiance dans votre institution et à garantir l’égalité des citoyens devant la loi. Faites ce que ni le président, ni le gouvernement, ni l’assemblée n’ont eu le courage de faire. A défaut, vous prenez le risque qu’un jour des pères, des mères, des sœurs et des frères, endeuillés et anéantis, se muent en justicier lorsqu’ils auront sombré dans la folie par désespoir.

Issam El Khalfaoui

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