Qu'est ce qu'être de droite ou de gauche ?
Voilà une question bien d'actualité et que bien des sociologues, comme Bourdieu, ont cherché à résoudre.
Nous vivons une période de crise qui ébranle nos système de valeur et les références qui le définissent. Il est donc déterminant de se pencher sur l'essence de ce schisme pour l'isoler de tout critère dépendant d'un contexte, d'un sujet. Etre de droite ou de gauche n'étant déjà pas une fin en soit, cette caractéristique ne peut donc se concevoir que par les moyens mis en œuvre, un comportement, une vision des choses, et non la chose en elle même. C'est donc par l'étude empirique de la pratique politique (au sens large), qu'il convient de chercher l'essence en dernier ressort, de la différenciation.
Les exemples de sujet sont nombreux, et les revendications de tel ou telle autre aussi. Pour y voir plus clair, il faut donc pousser l'analyse jusqu'à sa caricature, en prenant les conceptions les plus opposées l'une à l'autre. Quelles sont elles ?
Politiquement, que ce soit en doctrine ou en pratique, la question proéminente est celle de l'exercice du pouvoir: Qui est le souverain ?
Au delà, des programmes et des personnes, on peut en effet définir ici deux visions de l'exercice du pouvoir, et par là même, de la détention de souveraineté, selon que l'on soit de droite ou de gauche.
Il est coutume à droite, et force est de constater que c'est vrai, de parler de "culte du chef". Ce principe, totalement incompréhensible à ceux qui se revendiquent de "gauche", consiste à placer le critère déterminant au niveau de la personne exerçant le pouvoir et non sur la façon qu'il aura de l'exercer (programme). Ce blanc-seing accordé à une personne censée être élue car étant la meilleure pour trouver de manière pragmatique, des solutions aux problèmes qui se posent, a un nom: C'est l'aristocratie (aristoi: les meilleurs, l'élite; kratos: pouvoir autorité).
A l'inverse, parmi les références reconnues de gauche, on notera que toute forme de personnalisation du pouvoir est bannie, qu'il s'agisse d'un individu, ou d'une caste (oligarchie). En effet, pousser à ses limites, l'idée de gauche aboutit au communisme résumée par l'oxymore "dictature des masses". Dans cette vision du politique, le pouvoir est diffusé à part égale, dans chacun des éléments qui le compose. Le système trouve ainsi son équilibre dans un mouvement permanent, le total des souverainetés individuelles, définissant la souveraineté commune.
Si l'on doit dès lors essayer de déduire une logique fondatrice de ce schisme politique, nous constatons une opposition entre une incarnation du pouvoir d'un coté, sa diffusion abstractive de l'autre. En 1789, nous sommes ainsi passé de "l'Etat, c'est moi", monarchiste, à l'Etat c'est nous tous, libéral.
Précisément, quid du libéralisme puisque le sujet est posé ?
Bien que celui-ci ait été le fondement de la Révolution dont la gauche se prévaut, il est aujourd'hui assimilé à la droite, sous l'appellation de néo-libéralisme.
La façon dont on perçoit le néolibéralisme, au moins empiriquement, est la volonté acharnée de s'affranchir du politique. Mais, en le remplaçant par l'économie, il ne fait que substituer un despote humain (Etat, roi, etc), contre une "main invisible", dont la perception est justement proche des dogmes religieux que les libéraux de 1789 ont abolis. Le principe même de souveraineté libérale (diffuse) ne permet pas qu'une entité, divine ou économique, supplante la volonté ou les capacités des peuples. C'est d'ailleurs bien pour cela que Louis XVI ne pouvait que mourir, fusse-t-il privé de tous ses pouvoirs, car étant de droit divin, sa seule présence (vie), supposait un pouvoir supérieur.
Reprenant les tables de la loi religieuses, en forme et en fond, les révolutionnaires libéraux ont posé les codes de la vie en ses droits et devoirs, dans la Déclaration des Droits de l'Homme (les 10 commandements de l'Homme, par l'Homme, pour l'Homme).
Pourquoi l'ont ils fait ? Parce que le seul souverain est celui qui est en haut, qu'il soit le roi, Dieu, ou le peuple.
L'idée même d'un "libéralisme" se fondant sur un pouvoir supérieur, définit ou non, mais régissant la vie des individus au delà de leur propre volonté, est donc en soit une atteinte aux libertés, donc au libéralisme.
De plus, ce néolibéralisme fondée sur une autorégulation économique, n'aboutit au final qu'à entretenir une forme d'élitisme par la reproduction des élites (les "champs sociaux" de Bourdieu), ou par la possibilité donnée aux puissants, notamment économiques, d'interdire toute concurrence (monopole). D'un point de vue politique, il ne sert au bout du compte que d'outil qui, prétendant s'attaquer à un Etat vampire, ne fait que le priver de sa part démocratique.
On constate donc que ce néo-libéralisme, privé d'idéologie politique, est une forme totalement dévoyée du libéralisme de 1789.
Dans la façon dont il est mis en place, dans les fondements que les économistes lui ont donné, il est en réalité monarchique:
- L'économie de marché qui s'autorégule (principe de la main invisible) suggérant une puissance divine.
- L'entité charismatique agissant "pragmatiquement" en fonction du contexte économique (principe de l'aristocratie, monarque)
- La population, soumise aux deux précédents et n'ayant de liberté qu'en fonction de leurs bon vouloir. (soumission au travail, donc au marché)
Pour résumer, le néolibéral dira que l'Etat est le problème; Le libéral (historique) dira que l'Etat, c'est nous.
Ainsi donc, comme pour le politique plus haut, on remarque que sur un même sujet, deux visions se détachent, chacune revendiquée par un "camp" droite, ou gauche. L'une aboutit à la centralisation du pouvoir, l'autre à sa diffusion. Autrement dis, l'un tend à s'incarner dans une entité (roi ou corps d'élite), l'autre à se dématérialiser (le peuple).
Puisque nous évoquons l'incarnation, penchons nous donc sur le thème religieux.
Par soucis de clarté, nous regarderons la façon dont une religion en particulier, le christianisme, est perçue à droite et à gauche pour essayer, toujours, de comprendre le principe de différenciation entre les deux.
Force est de constater, de prime abord, que les religions dans leur ensemble, ne font pas partie du crédo de gauche. A l'inverse, difficile, en ce moment tout particulièrement, de trouver un cadre de parti de droite, n'ayant pas évoqué les "racines judéo-chrétiennes" de notre pays.
La religion est elle donc de droite ? Pas si sur.
Si on se penche précisément sur les "valeurs" du christianisme, dont se prévaut le politique de droite, nous remarquons qu'un certain nombre de critères paraissent pour le moins "gauchistes". Les notions de partage, d'équité etc. sont même les piliers de tout programme de gauche, quand celles ci sont immédiatement conditionnées, voir éliminées, dans un programme de droite.
Si les "valeurs" définissant le christianisme aujourd'hui, se trouvent donc à gauche, pourquoi celle-ci ne s'en revendique pas, contrairement à la droite ? La gauche serait-elle une version politique d'une religion sans Dieu ? Précisément, en religion, comme en politique, nous pouvons constater une corrélation dans la façon de concevoir la vie et la société. Qu'est ce donc qui les distingue ? L'incarnation. Là où la gauche voit le souverain en chacun de nous (libéralisme), une version du christianisme procède de même avec Dieu: la Gnose. Le parallèle s'impose lorsqu'on se souvient de la transcription du religieux au politique, par les révolutionnaires (Décalogue/Droits de l'Homme).
A l'inverse, la droite se revendique d'une version très incarnée du christianisme: le catholicisme.
Celui-ci, contrairement à la gnose, identifie clairement, de manière charnelle, le divin: Jésus.
Cette externalisation du caractère divin, conduit les catholiques à se définir chrétiens non en fonction de leur actions propres, mêmes si elles restent évidement importantes, mais en fonction de la croyance en un être. Ce que l'Eglise catholique résume en son crédo.
Nous constatons, et affinons donc notre différentiel droite / gauche, sur un même sujet, par deux systèmes de visions d'une même réalité: l'une centralisée, incarnée; L'autre dématérialisée, diffuse.
Si cela semble opérer dans les grandes lignes de la religion et de sa version laïque, la politique, il reste à éprouver le concept dans les moindres aspects, pour en prouver ou non la réalité sociologique.
Prenons donc quelques exemples:
- L'entreprise:
La droite glorifie et soutien l'entrepreneur. C'est lui qui créé la richesse dont les bienfaits retombent sur la base. Cette base, est peu ou pas évoquée en tant que salarié. En revanche, elle commence à exister dès lors qu'elle n'est plus l'objet de l'entreprise, donc de l'entrepreneur. Politiquement, cela se traduit par des actes au profit de l'entrepreneur, souvent de manière personnelle (bouclier fiscal etc), et contraignant le chômeur (baisse des indemnités, en durée ou en montant, etc.) Le salarié n'est que rarement évoqué, sinon comme à la charge de l'entrepreneur (charge économique, mais aussi hiérarchique: paternaliste).
La gauche quand a elle, glorifie, parfois à outrance, le collectif. Au travers du syndicalisme ou du "prolétariat", la création de richesse vient d'un ensemble regroupant et dépassant la valeur travail de ses membres. Le représentant est quand à lui, l'objet des critiques du comportement de cet ensemble: le patron.
Ici encore, nous avons donc bien une opposition entre incarnation et diffusion.
- La justice:
Les exemples ne manquent pas ces derniers temps, qu'il s'agisse des faits divers, ou des réformes pénales. Si on analyse, au regard de ce prisme d'incarnation, la façon dont la droite et la gauche, conçoivent le droit et la justice, nous comprenons (et anticipons) plus clairement les positions.
La droite semble en effet bien concevoir la justice au travers de ses personnes. A chaque fait divers, le responsable est voué au gémonies, au travers de l'incarcération, voir de la peine de mort. Cette vision tant à ce que le coupable soit "retiré" de la société de manière physique.
L'autre partie, la victime, est parfois portée aux nues ("honnête citoyen", "bon français" etc.) et le droit à la légitime défense lui est souvent octroyé a priori, tant dans la forme (défense personnelle) que dans le fond ("faire justice soi même). De plus, lorsque la justice se penche sur une personne que la droite souhaite défendre, ce n'est pas l'entité "justice" qui est alors visée, mais l'incarnation de ses membres: les juges.
La gauche a une tout autre vision de ce même fait. Bien que les acteurs aient un rôle, celui-ci est immédiatement placé au second plan, derrière les circonstances qui ont amené à sa commission.
Tout comme le code des délits et des peines (futur code pénal) des révolutionnaires, la gauche s'attache à l'acte et non à l'acteur. Ainsi le code ne punie-t-il pas le meurtrier, mais le "fait de tuer". Car dans son soucis d'appréhender le rouage dans son ensemble et non l'écrou en particulier, la gauche cherche à comprendre les circonstances, autant pour éviter qu'elles ne surviennent à l'avenir, que pour "corriger" l'acteur des faits.
Le principe du "tout carcéral" apparait donc autant comme la solution pour la droite, car elle supprime le problème physique, que comme une hérésie pour la gauche car elle n'interdit pas que les faits puissent être à nouveau commis.
Par extension de ce principe d'incarnation, la gauche ne peut défendre qu'une loi identique pour tous, s'appliquant donc à un ensemble. La droite ne verra en revanche pas d'objection à ce que la loi soit définie de manière plus personnelle, c'est à dire concrètement, de manière contractuelle (par opposition au contrat social, collectif).
Nous voici donc avec deux visions distinctes de chacun des aspects de la société, qui semblent bien caractériser le schisme gauche / droite: l'incarnation, l'abstraction.
Quelle est alors la portée de ce constat ?
Il ne s'agit pas là de hiérarchiser ces visions, même si, historiquement, elle a été utilisée comme une arme par une exploitation cynique. Mais force est de constater que le fonctionnement de notre système politique, nous amène à faire régulièrement un choix parmis ceux qui se revendiquent de l'une, ou de l'autre.
Si l'on considère le principe d'incarnation de la droite, il semblerait dès lors probable que celle-ci ait une meilleure efficacité dans les domaines concrets, ce que l'on nomme politiquement, le pragmatisme. En effet, son identification matérielle des problèmes, et le droit octroyé au leader à opérer librement, lui laisse la possibilité d'agir vite, sur un problème donné.
Les risques, énoncés plus haut, étant la dérive possible vers un système aristocratique, voir dictatorial, à l'extrême.
En revanche, la gauche, par sa plus grande appréhension des mécanismes sous jacents aux évènements, sera plus à même de les corriger à terme. Cela néanmoins au prix de plus de temps, le pouvoir étant diffue, la prise de décision en va de même, à l'image de notre administration tant vilipendée à droite.
Nous retrouvons donc bien la conception que nous avons de la politique, dans son dualisme: Conservateur (celui qui gère, par son efficacité et son pragmatisme) contre progressiste (celui qui innove par sa compréhension de l'abstrait).
L'une n'est donc pas meilleure que l'autre, puisqu'elles sont toutes deux indispensable pour conjuguer gestion du présent et progrès futur. Le meilleur système étant donc, celui qui permet de combiner ou d'alterner les deux. On notera d'ailleurs, que le système romain antique alternait, presque sereinement, les système centralisé en cas de crise (imperium) et diffue en tant de paix (Sénat etc).
Mais la prise de conscience de ce schisme droite / gauche, peut aussi devenir une arme, lorsqu'elle est instrumentalisée de manière cynique.
En effet, et nous touchons là aux limites du politiquement correct, s'il est exact que le critère d'abstrait / concret est l'essence de la différence gauche / droite, il est possible d'user d'eugénisme, médical ou social.
Médical car il est maintenant connue que notre cerveau opère la même distinction. Le cerveau droit étant le siège de l'abstrait, de l'invention, de l'émotion; Le cerveau gauche, celui de l'effectif (raisonnement). Sans que cela ne soit prouvé d'aucune manière scientifiquement acceptable, il est donc possible que nous ayons des prédispositions antérieurs même au contexte social et sociétal.
Social, car sans avoir les preuves ou les connaissances permettant un eugénisme médical, il est tout à fait possible de façonner une société en partant des "symptômes" révélant une possible orientation politique. Historiquement, on se souviendra notamment du "tri" qu'opérèrent les nazis dès le début de la mise en place de leur politique. S'il parait évident que communistes et socialistes leur étaient opposés, on pourrait, selon ce principe, se demander si le fait de priver la société de ses artistes, écrivains etc. n'a pas eu pour effet, sinon pour but, d'éliminer une partie de la société ayant une certaine propension à l'opposition. En ne conservant qu'une population réceptive à l'incarnation, au détriment de celle trop ouvertement abstractive, le régime asseyait donc, consciemment ou non, une société tolérante à la centralisation du pouvoir, jusqu'à son extrême.
Sur ce constat empirique, et évidemment non scientifique, nous pouvons donc jauger sur une échelle à peu près définit, ce qui correspond à un comportement, une politique, de gauche, ou de droite.
Chacun pourra bien sur en juger, mais sur ce critère notamment:
La loi Taubira cherchant à minimiser l'incarcération au profit de la réhabilitation, conviendra à une personne de gauche. Un gouvernement s'octroyant, de gré ou de force, la liberté d'agir en fonction de circonstances et non d'un programme, est donc bien, de droite.
Sans que tout ceci ne soit parole d'évangile, il parait donc bien possible de déterminer, au delà des étiquettes, ce qui est de droite, ou de gauche.
On notera en postscriptum semi-prophétique, que si ce schisme droite / gauche de la définition en dernier ressort du souverain (incarné/roi contre diffue/peuple) constitue l'essence même de notre fonctionnement, il devient alors logique que toute crise politique majeure, se termine par l'opposition de ces "deux mondes", après que tout ce qui est circonstanciel ou mixte, ait disparu.
La crise poussée à son extrême ayant fait voler en éclat les différents habillages, ne se retrouvent plus confrontés que ceux, du système politique, qui incarnent de la manière la plus pure, les deux conceptions. Ce que Jean-Luc Mélenchon avait résumé parfaitement dans l'émission "Des paroles et des actes" en 2012, par la phrase: "A la fin, ça se terminera entre eux et nous"(ndlr: FN contre FdG). Cela tend à expliquer également, que durant les crises, la droite extrême l'emporte toujours en premier, convainquant par l'efficience d'un ennemi/problème identifié, incarné; Puis la gauche extrême, quand l'heure est venue d'inventer un avenir sur les ruines du concret.