
Agrandissement : Illustration 1

Les luttes amorcées par les travailleurs sans-papiers des plateformes avant le début du second confinement résonnent : un mouvement de contestation se généralise, partout en France, afin de faire pression sur la politique menée par les plateformes à vélo au détriment des livreurs
Stuart sur les traces de Frichti
Le 26 octobre avait lieu le rassemblement des livreurs sans-papiers de Stuart devant le siège de l’avenue des Ternes, dans le 17ème arrondissement de Paris. En petit comité -et soutenus par le CLAP, SUD commerces et CNT-SO, les livreurs tentaient d’obtenir des éléments justifiant leur éviction du 13 octobre. Encadrés par un dispositif policier, le groupe a reçu des instructions claires de la part d’un agent détaché en médiateur par les responsables.
Rapidement, il a été révélé qu'aucun livreur ne serait reçu accompagné d’un conseiller syndical, et encore moins de Jérôme Pimot - cofondateur du CLAP. Néanmoins, il a été proposé de les recevoir par petits groupes. Unanimement, ils ont décliné la proposition tout en dénonçant une stratégie d’isolement visant à nuire au potentiel rebond d’un accompagnement syndical.
En contrepartie, la députée européenne LFI (La France Insoumise) Leïla Chaibi, a été élue par les livreurs présents pour éclaircir la situation. Elle est revenue avec peu d’éléments, mais avec l’assurance que Stuart comprenait leur situation, et que l’image de l’entreprise pouvait être ternie : une réponse serait donc prochainement donnée aux livreurs [A ce jour, aucune réponse n’a été donnée par les dirigeants de Stuart. NDLR].
Pour les livreurs, un scénario familier se répète. Rappelons, tout de même, que la suspension de compte des livreurs sans-papiers de Stuart survient quelques semaines apres les évènements de Frichti. Par ailleurs, certains des livreurs suspendus travaillaient auparavant chez Frichti. Une coïncidence ?

Agrandissement : Illustration 2

Contre vents et marées
Après l’annonce du couvre feu, le second confinement marque la baisse prématurée de l'activité de nombreux livreurs. “ De 22h à 00H, c’est le moment idéal pour faire des livraisons. C’est le moment où tout le monde commande. Où, habituellement, tout le monde est chez soi et veut être livré”, explique M. qui travaille pour Stuart. Une heure plus tard, à proximité du Canal Saint Martin, C. répète les mêmes éléments. “Entre 10h et 14h30, je n’ai fait qu’une course aujourd’hui. Tiens, ça sonne", s’exclame quant à lui M. avant de partir vers sa troisième course de la journée. Il est 15h30, en ce jeudi après-midi de novembre. “Tout le monde est dehors. Il n’y a pas beaucoup de course. Je fais entre 8-10 courses, à 4,78€ l’heure puis à 2€ la course”, nous dit D. qui travaille pour Uber Eat depuis six mois.
Avec la fermeture des activités de restauration le constat est collectivement partagé par les livreurs. L’amoindrissement des demandes et le nombre croissant de coursiers ont un impact direct sur leur rémunération, et sur leur capacité à dégager un revenu journalier décent. Face à un modèle économique construit sur leur précarité, ce sont les premières victimes des dérives systémiques des plateformes qu’ils font vivre.
Début novembre, de nombreux mouvements de grève avaient vu le jour à Lyon, Lille, Saint-Etienne, Besançon, Strasbourg, Angers, Toulouse, pour dénoncer ces conditions de plus en plus précaires ainsi que la baisse de rémunération dont ils sont victimes [lire ici, ici, ici]. Récemment, l’union collective a porté ses fruits. Les livreurs grévistes de Saint-Etienne ont obtenu gain de cause en réunissant 90% des effectifs de livraison Uber Eats autour d’une lutte commune. Une réussite qui inspire et incite à faire pression pour obtenir une revalorisation des droits accordés aux livreurs.

Agrandissement : Illustration 3

Vers une législation européenne ?
La publication du rapport Frouin, le 1er décembre, donne du crédit à une législation européenne puisque celui-ci stipule au début du document que “ la reconnaissance d’un statut de salarié à tous les travailleurs des plateformes est une deuxième option. Elle aurait pour avantage de régler immédiatement les questions de sécurité juridique en éteignant les contentieux en requalification. Elle aurait également pour effet d’étendre aux travailleurs des plateformes les droits et protections des salariés. Cette option techniquement aisée à mettre en œuvre amènerait enfin de la clarification. Ce n’est, cependant, pas l’hypothèse de travail des pouvoirs publics ayant initié cette mission”. Autrement dit, le gouvernement ne compte pas réguler le statut des travailleurs des plateformes alors que cela mènerait à une clarification simple à mettre en œuvre. Un aveu qui concorde avec la volonté de nombreux acteurs européens de légiférer auprès de la commission.
Quelques jours auparavant, le 16 novembre, Leila Chaibi animait un direct sur Facebook pour revenir sur sa proposition de directive relative aux travailleurs des plateformes numériques remise à Nicolas Schmit - commissaire européen chargé de l’emploi et des droits sociaux. “Ça fait un an que la commission européenne souhaite réglementer le statut des travailleurs de plateformes qui est actuellement dans un espèce de vide entre non salariés et soit disant indépendants ”.
La directive établit un cadre “sans incidence budgétaire" qui s’appuie sur l’article 153. du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, et s’articule en 8 articles clairs et concis afin de "garantir les droits du travail et les droits sociaux des travailleurs des plateformes numériques, en alignant leurs droits du travail et leurs droits sociaux sur ceux du reste des travailleurs.” Elle va plus loin, et épingle notamment les injonctions des algorithmes, “source d’arbitraire au quotidien” : deux articles sont ainsi consacrés à une réglementation plus stricte à leur sujet. Il s’agit de leur imposer la transparence, ainsi que de soumettre leurs mécanismes pour la protection des données personnelles des travailleurs des plateformes numériques.
Légiférer à l'échelle européenne contraindrait les États membres à adopter des dispositions, tout en réduisant une potentielle propagation des dérives au sein du marché du travail.

Agrandissement : Illustration 4

Si la nécessité d’une législation devient pressante, à l'heure où de nombreux pays européens sont touchés par des vagues de contestations concernant les politiques mises en œuvre par les plateformes de livraisons à vélo, il reste néanmoins des problématiques et interrogations à éluder afin de garantir les droits de l’ensemble des individus. Notamment ceux concernant l’intégration des sans-papiers -sur qui repose, aujourd’hui, la pérennité économique des plateformes.
Cet article a été écrit avec la relecture précieuse de Mes et Kaveh du collectif LaMeute.
Vous pouvez lire mes deux précédents articles -sur les livreurs sans-papiers- sur le site du collectif LaMeute.