Des scientifiques médicaux, environnementaux et sociaux ont mené des études qui leurs ont révélés que, lorsque les tensions de guerre augmentent, la violence augmente dans la société. La musique devient forte et brutale et, dans une certaine mesure, elle affecte les organes internes. Donc le corps l’interprète comme un danger pour lui. Alors il sécrète des hormones telles que l’adrénaline et la cortisone, provoquant une forte augmentation de la tension artérielle et une accélération du rythme cardiaque. Semblable au hurlement, ce n’est rien d’autre que la peur animale qui existe en nous depuis des temps immémoriaux.
Mais les hommes dont les os sont habités par la guerre, ont-ils cessé de chercher à tout faire pour servir leurs objectifs au combat ? Jamais. Ils ont découvert ce que l’on appelle la guerre psychologique, et parmi les outils de cette guerre se trouvaient des chants, des films, des drapeaux et des mélodies.
On dit que les noms des instruments de musique sont aussi de la musique, mais les instruments de musique de guerre n’en sont pas. Revenons au premier de ces outils, qui est la terrible trompette primitive, fabriquée à partir des bois du cerf dominant du troupeau, ainsi que des os d’ours, des bâtons, et des calebasses, tous utilisés dans le passé. En jouer aiguisait le cœur des combattants, alors ils poussaient un grand cri que les chefs considèrent être la première arme de bataille. Dans les temps anciens, la force des combattants nécessitait un cri puissant appelé « Yao », qui est la limite maximale de la voix humaine. En fait ce cri extrême est le préliminaire du monde du chaos, celui qui crie le plus fort dominera la bataille. Ceux qui parlent le plus en savent le moins, mais qu’en est-il de ceux qui émettent des sons puissants et dénués de sens ? Shakespeare dit : « Les choses les moins réussies sont les plus bruyantes ». Et du son de la trompette primitive, les sirènes retentissantes de la ville moderne ont emprunté la violence qui envahit les alentours. Elles représentent le son du néant dans l’existence, et ce qu’elles font avec leur rugissement profond, c’est avertir tous les citoyens qu’ils n’ont rien à craindre, que rien ne se passera dans la ville. On a dit : Rien et chaos sont synonymes.
Dans le court métrage intitulé « Mr. Bean Trains Army Soldiers », la star anglaise se met à tousser en passant devant les soldats qui défilent dans la rue. Les soldats adoptent une attitude sévère. Le commandant s’était alors absenté un instant. Mr. Bean est surpris par la réaction des soldats. Il tente de les saluer et leur réaction est automatique : ils se mettent au garde à vous pour se préparer au combat. Mr Bean porte la main à son nez et ils pointent leurs armes sur lui, un ennemi que personne d’autre ne semble voir à part eux. Malgré le comique et le pathétique de la scène, l’image est claire : tout mène vers la guerre. Les chefs militaires entraînent les soldats à être aux aguets, afin qu’ils se précipitent au combat au moindre bruit. C’est Adam, l’homme singe isolé dans la forêt qui interprète tout mouvement autour de lui comme un pas ennemi qu’il ne voit pas. Il doit le surprendre en l’attaquant le premier. C’est la grande peur qui nous vient des temps préhistoriques, avant que l‘homme ne sorte de l’animal et de la terre elle-même. Était-ce le destin de la race humaine que de le laisser contrôlé par des hommes grossiers ? La carence de la vitamine d’amour est-elle la raison pour laquelle on a choisi le chemin de la guerre ? La cause des combats entre les humains n’est pas le manque d’amour mais l’indifférence qui se cache derrière le gaspillage de sang de milliers, de millions d’individus de notre espèce.
L’obélisque d’Hammourabi est conservé au Musée du Louvre à Paris, à côté d’un projectile militaire qui prend la forme d’un obélisque. N’y a t-il pas une plus grande indifférence que celle-ci ? Beethoven a dédié la Troisième Symphonie à Napoléon Bonaparte, puis a retiré la dédicace après avoir découvert qu’il était « un homme comme tous les hommes », évoluant sous la bannière du pouvoir et de la tyrannie. Le musicien a donc pris un couteau et l’a fait glisser sur la première page de sa composition musicale pour arracher le nom de celui à qui il avait dédié ce chef d’œuvre. 2
Car la musique, selon lui, « monte haut et nous élève avec elle et nous sauve de la bêtise ». Et parce que aussi « ce qui vient du cœur va au cœur », et que l’homme qui vénère les dieux de la guerre n’a
pas de conscience. Il n’aura pas besoin du monde, des premières mélodies jusqu’à l’art de la vie le plus connecté et le plus représentatif qui est la musique. Un seul ton peut enflammer chaque cellule de notre corps, développant la passion qui réunit les liens d’amour et d’apaisement entre nous. Si tant est que l’un d’entre nous soit capable d’entendre le rythme du souffle dans les poumons et des battements de cœur de la personne proche, et de respirer l’odeur de la personne éloignée. Avec Shakespeare encore : « Une touche de nature fait du monde entier une famille. » Le témoignage du poète anglais aurait été plus exact s’il avait écrit « musique » au lieu de « nature ». Mais quelle est la différence entre la nature et la musique ? La mélodie est une seconde nature dans l’existence, et elle est créée par l’homme. Tous les autres arts tendent vers le chemin vers lequel mène la musique, et le but de l’artiste est d’atteindre ce chemin et de le suivre jusqu’au bout.
Les américains sont arrivés en Irak en 2003. Je vivais dans le quartier d’Al-Amriyah près de l’aéroport, où la première bataille a eu lieu entre l’armée irakienne et les forces d’occupation. Le terrible grondement me terrifiait alors que j’étais à environ 30 kilomètres du champ de bataille. Alors comment décrire son impact sur les soldats irakiens qui ne connaissaient rien de son origine ? Qui aurait pensé parmi nous, citoyens irakiens, que les forces d’occupation arriveraient avec le cri premier de « Yao » ? Ainsi va la roue de l’évolution qui ramène au premier chemin, sans que personne ne le sache, et sans que personne ne l’approuve ou le rejette. L’avion Apache transporte à l’avant de son fuselage des cornes rugissantes dans le ciel qui surplombe la ville paisible. Au début était la forêt, et c’est encore la forêt à travers un mot qui semble dénué de sens dans la vaste et longue histoire de l’homme. La lutte entre les hommes n’est pas différente de sa lutte avec les bêtes sauvages. C’est plutôt une extension de cette ressemblance qui permet de comprendre que le principe de guerre est inhérent à la nature humaine. Le sociologue irakien Ali Al-Wardi a fait une observation intéressante concernant notre origine, à savoir que « l’homme est un animal, le fils d’un animal et il a une longue lignée chez les animaux ».
Parlons aussi de la guerre civile qui conduit au meurtre et au déplacement de dizaines de milliers de personnes vers les pays voisins. D’autres sont soumis à la torture, et d’autres encore souffrent de traumatismes psychologiques violents lorsqu’ils sont contraints d’assister à la torture des membres de leur famille, voire y participer ou les tuer. Le démembrement, le viol et la torture sexuelle sont une méthode courante dans les guerres civiles, sans compter l’enlèvement des femmes et des filles pour servir de captives aux combattants. De tout temps le seul moyen de résister pour ces femmes est le chant, comme expression de panique et de peur, individuellement ou collectivement. Les voix humaines atteignent une telle pureté dans un état d’oppression permanente qu’elles deviennent, dans la solitude, comme la triste mélodie d’une flûte. L’homme de guerre joue la musique qui l’identifie, et quand le coeur de l’innocent devient un oiseau apeuré, il se confronte au guerrier avec une contre-musique. Et cette guerre musicale fait débat depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Toutes les valeurs les plus nobles créées par les hommes marquent profondément l’histoire et peuvent être transgressées par ces mêmes hommes, à l’exception du principe de la guerre. Cela signifie que l’homme – et c’est une nouvelle définition – est un animal qui croit en le principe de la guerre avec une foi inébranlable et en toute circonstance. La guerre ne peut en aucun cas disparaître, c’est ce que Platon a affirmé il y a longtemps : « Seuls les morts à la guerre sont témoins de sa fin ». Est-il possible d’imaginer les mélodies qui parviennent à témoin ? Et y-a-t-il quelqu’un qui puisse les traduire sous la forme d’une note de musique afin que l’un de nous puisse la jouer et transmettre son message aux hommes ?