De l’histoire comme justification des positions guerrières
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Il a été de bon ton ces derniers temps de considérer que la Russie de
Vladimir Poutine se livrait à une «!réécriture de l’histoire!» et à une
falsisication de cette dernière au sujet de l’Ukraine.
Et il faut bien reconnaître que cela est tout à fait vrai. Il faut toutefois
demander au nom de quoi on peut émettre un tel jugement.
Car plusieurs logiques peuvent s’affronter ici.
On peut considérer une logique de tiers exclus qui dirait si cela est faux,
c’est que l’inverse est vrai. Il peut sembler difficile d’admettre qu’une
telle logique soit applicable à des discours aussi complexes que les
discours historiques.
On peut considérer une autre forme de logique qui ne dirait pas si A est
faux, non A est vrai, mais une logique qui dirait «!tout est faux!». A et non
A sont faux. Une telle vision est probablement plus proche de la réalité.
Cependant elle possède ce côté désespérant de conduire à se dire!: quoi
qu’on dise de l’histoire, tout est faux. Assumer ce désespoir est sans
doute une marque de lucidité, mais cela n’est pas à la portée de toutes les
psychologies.
Reste une troisième logique intermédiaire!: celle d’admettre que dans
tout discours sur l’histoire, il y a une part de vérité et une part de
fausseté.
L’objet du discours historique n’est d’ailleurs pas forcément le vrai, mais
plutôt la compréhension. Il s’agit de savoir quel est le sens de ce qu’on
fait par rapport à un passé fantasmé sans doute (après tout le passé n’est
plus là), mais par rapport auquel on se détermine.
Histoire donc dont la source serait la légende comme le remarquait
Hannah Arendt. En France, légende de la Révolution française avec son
discours révolutionnaire et contre révolutionnaire par exemple. Dans la
guerre en Ukraine, opposition entre le discours de la «!grande Russie!» et
celui néolibéral de la réconciliation de toutes les nations dans un
prétendu «!ordre mondial!» privé de guerre et voué au commerce.
Ces deux fables ont naturellement le défaut d’être factuellement fausses
sur bien des points. Elles donnent néanmoins une forme et une vision (au
sens de la Gestalt de la Gestalttheorie) de la manière dont les actions
politiques vont être ordonnées dans les temps à venir. Hannah Arendt
disait à ce sujet!:
«!Les légendes ont toujours joué un rôle puissant dans la construction de
l’histoire. L’homme qui n’a pas reçu le don de défaire, qui est toujours
bon gré, mal gré, l’héritier des actes d’autres hommes, et qui porte
toujours le fardeau d’une responsabilité qui apparaît comme la
conséquence d’une chaîne ininterrompue d’événements bien plus que
d’actes conscients, cherche une explication et une interprétation à ce
passé où semble cachée la mystérieuse clé de son destin futur. Les
légendes ont constitué les fondements spirituels de toutes les cités, tous
les empires, tous les peuples de l’Antiquité, promesse d’une conduite sûre
à travers les espaces illimités du futur. Sans jamais rendre compte des
faits de manière able, mais exprimant toujours leur signication vraie,
elles sont la source d’une réalité au-delà des réalités, une mémoire au-
delà des souvenirs!».
La légende qu’on reconnaîtra comme factuellement fausse possède
néanmoins une vérité comme sens. La légende est sélection et
«!rectification après coup des faits (Hannah Arendt)!». Le problème est
qu’aucun discours historique n’échappe vraiment à cette part légendaire.
On aura beau nous accabler de faits et prétendre opposer à une histoire
légendaire une histoire «!scientifique!», étant entendu que la science
c’est nous et la légende, c’est l’autre, on n’échappera pas au fait du
caractère légendaire de tout discours historique.
Comme le disait Hannah Arendt, «!les légendes ne comptent pas
seulement au nombre des premiers souvenirs historique du genre
humain, elles constituent en réalité le commencement de l’histoire
humaine!».
Ou pour le traduire en termes de Gestalt-theorie, la vérité de l’histoire et
sa forme n’est pas la collection des faits qui y ont eu lieu, mais quelque
chose de plus.
Alors oui, l’histoire est toujours falsication et l’on n’a pas de vérité à
opposer à une fausseté, mais simplement une légende à opposer à une
autre. Tout ceci relève d’un imaginaire.
Ces considérations touchent directement la guerre en Ukraine. Tant
qu’on ne s’accordera pas sur une légende commune avec l’ennemi, on ne
verra pas les faits de la même manière et l’on ne comprendra jamais que
la population Russe voit les choses avec un autre grille de compréhension
que la nôtre.
Gardons-nous simplement de penser que dans un tel con?it, nous
puissions opposer une «!vérité!» aux falsications adverses. Il leur serait
facile de nous opposer nos falsications qui par nature sont inévitables.
Billet de blog 7 juin 2022
De l'HISTOIRE comme JUSTIFICATION des POSITIONS GUERRIERES
Il a été de bon ton ces derniers temps de considérer que la Russie de Poutine se livrait à une réécriture de l'histoire et à une falsification de cette dernière au sujet de l'Ukraine ..........
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