Jacbal

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 juin 2022

Jacbal

Abonné·e de Mediapart

NIHILISME ADMINISTRATIF ET MYSTICISME A LA FRANCAISE. L'AFFAIRE ROMAIN DUPUY

Le pouvoir politique rencontre un problème fondamental: Comment se comporter à moindre cout devant la croissance des maladies mentales stigmatisées dans une opinion publique manipulée

Jacbal

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’affaire Romain Dupuy : nihilisme administratif et mysticisme à la française.

Si l’on estime que la vérité d’une société tient dans la manière dont elle traite ses malades, ses handicapés et sa population vieillissante, on peut dire que la vérité française n’est pas bonne à dire.

L’affaire Romain Dupuy en est l’exemple archétypal et éclatant. Elle a donné également un infléchissement inquiétant dans l’évolution de l’administration française qui n’a plus eu pour simple fonction traditionnelle de bloquer les dossiers comme elle le faisait auparavant, mais également de s’élever au rang de juge et de preneur silencieux de décision de justice.

Nous avons eu affaire ici à une évolution administrative introduisant une forme de criminalisation de la maladie. Les meurtres commis par Romain Dupuy ne peuvent naturellement pas être acceptés par une société. Néanmoins il est évident que la responsabilité de ces actes ne relevait pas de cet être malade qui n’était pas souverain dans son comportement à ce moment-là. Ces actes auraient pu être évités si la maladie et les appels à l’aide de la famille avaient été considérés par l’administration française Par sa négligence et sa non-assistance cette dernière est incontestablement pleinement et complètement responsable des conséquences fatales que l’on déplore sans réserve

Nous parlons ici de ce qui est moral et pleinement visible dans ce dossier. Il a fallu toute sorte de contorsion de la part de l’Etat pour arriver à se dégager de cette affaire embarrassante. Cette gymnastique n’a été rendue possible qu’avec l’élection d’un Président aussi sulfureux que Nicolas Sarkozy qui par un tour de passe-passe intellectuel est parvenu à nous expliquer que c’était une question somme toute légitime de savoir s’il ne faudrait tout de même pas juger les malades psychiques.

Drôle de tour de passe-passe. Pourquoi ne pas demander si les diabétiques ne sont pas responsables de leur hyperglycémie alors qu’on ne leur donne pas d’insuline ? Criminalisation de la maladie ? Assurément. Mais on n’appelle pas les choses comme cela. On appelle cela « justice ». Et qui rend cette justice ? L’administration, c’est-à-dire les préfets.

Car aujourd’hui les préfets ont la possibilité de décider si un malade psychique est libre de se déplacer en liberté ou non. Dans la mesure où les préfets ne sont pas des médecins, on peut douter de leur légitimité à prendre ce genre de décision. D’un point de vue légal, en revanche, il n’y a aucune difficulté. Ce sont eux qui décident. Merci Rachida Dati et son ami tutélaire Nicolas Sarkozy. Merci à François Hollande ou Emmanuel Macron qui en tant qu’énarque étaient bien trop heureux de voir ces fonctions nouvelles données à l’administration.

Car en fin de compte la question est celle du rôle de l’administration.

Si on porte un éclairage sur l’administration française sa dimension, ses règles internes, ses droits on découvre très vite une organisation dont de nombreux observateurs étrangers dénoncent un caractère nauséabond et néfaste.

Ainsi, Hannah Arendt dans les origines du totalitarisme relevait :

« Il ne faut pas confondre le gouvernement bureaucratique avec le simple débordement et la déformation de l’administration qui ont fréquemment accompagné le déclin de l’Etat-nation, comme ce fut le cas en particulier en France. L’administration y a survécu à tous les changements de régime depuis la Révolution et elle s’est lovée comme un parasite dans le corps politique, défendant ses propres intérêts de classe pour devenir finalement un organisme inutile dont le seul but semble être de chicaner et d’empêcher un développement économique et politique normal. Il existe bien sûr de nombreuses similitudes superficielles entre les deux types de bureaucratie, surtout si l’on observe de près l’étonnante similitude psychologique des petits fonctionnaires. Cependant si le peuple français a commis l’énorme erreur d’accepter son administration comme un mal nécessaire, il n’a jamais commis l’erreur fatale de gouverner le pays — même si la conséquence en est qu’il n’est pas gouverné du tout. Le climat gouvernemental français se compose d’incapacités et de brimades ; mais il n’a pas créé une aura de pseudo-mysticisme ».

Publiées dans les années cinquante, ces lignes faisaient de la France un corps politique malade, mais presque vertueux. Par sa retenue, le pays aurait échappé au totalitarisme.

On peut néanmoins se demander si aujourd’hui pour tenter de résoudre un problème politique fondamental, le pouvoir qui confie aux préfets des fonctions d’autorités médicales dans le simple cadre de la gestion de leur domaine  administratif n’engage pas la République dans une nouvelle dérive conduisant vers un nihilisme administratif radical.

On se rappelle ce qu’est le nihilisme : le culte du néant et l’absence de sens et de signification élevé au rang de valeur suprême.

Comme le disait Nietzsche : « Nihilisme : le but fait défaut. La réponse au pourquoi fait défaut. Que signifie le nihilisme : que les valeurs se dévalorise ».

Le politique ne se dissout pas dans l’administratif

L’administration impotente décide aujourd’hui du bien et du mal et rend la justice en niant ses torts (Si on se rappelle bien, les meurtres commis par Romain Dupuy n’auraient pas été commis sans elle) et atteint ce rôle pseudo-mystique de ce type de régime qu’Hannah Arendt appelait Totalitarisme.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.