Un film documentaire sur la guerre de l'Occident contre la Libye, telle que BHL dit l'avoir réussi à imposer grâce notamment à ses démarches auprès d'un ami qui s'est trouvé être Président de la République, en sélection officielle du dernier festival de Cannes, vient de sortir sur les écrans.
Sauf que, pas de séance programmée à moins de 200km de mon domicile, impossible donc de le voir dans l'immédiat.
Je ne suis pas pour autant insensible aux articles des journalistes, à la bande d'annonce et aux interventions promotionnelles de BHL dans les médias.
La guerre, le film, les médias, le personnage. Difficile de s'y retrouver, tout s'y mélange, tout est dans tout, une certaine confusion semble y régner.
Mais hier j'ai assisté, au théâtre da la petite ville voisine, au spectacle musical écrit et réalisé par les profs et élèves du collège du coin. J'en ai souffert. C'est une vraie plaie de notre époque que ces milliers de décibels déployés par le moindre musicien, ce qui se comprend tant il est facile de tourner le bouton alors que c'est jouissif comme un accélérateur d'une moto. Le petit orchestre, sensé accompagner les copains chanteurs, n'a pas laissé la moindre chance au moindre mot de l'histoire qu'ils narraient. Mais ensemble ils ont fini par sauver la petite fille malade conformément au livret, et sur la scène ils étaient heureux. Ils ne se sont même pas rendus compte que le public n'a pas pu suivre. Ce n'était pas grave. C'étaient des collégiens, artistes amateurs innocents.
Alors j'ai pensé à BHL qui n'est plus collégien, mais qui use de cette sorte de candeur et de sincérité qui font partie de son charme. Je le regrette mais je ne peux croire en son innocence car je sais que l'on n'accède pas au pouvoir, celui qu'il détient et dont il use aujourd'hui, sans le conquérir, sans l'imposer, sans quitter donc son innocence.
A l'entendre défendre avec brio et candeur ses convictions, je pensais qu'enfants que nous étions avant de rentrer dans le rang, on a tous joué à la guerre.
BHL aussi est rentré dans le rang mais, à croire ce qu'il dit, il vient de faire la guerre pour le vrai.
Il en parle sans cette gravité qui caractérise les gens habitués à prendre les décisions lourdes en conséquences, il en parle un peu comme d'un jeu, comme d'un exploit. Même si les conséquences, dont il tire sa fierté, sont: l'engagement des armées, des mois de bombardements lourds, des milliers des victimes.
Le bénéfice de l'opération? Impossible de le mesurer sans être spécialiste de la géostratégie. Le bilan en tout cas semble lourd (Officiellement 9650 attaques aériennes occidentales, officiellement 30 000 mais vraisemblablement plus de 100 000 Libyens morts, officiellement 300 millions d'€ de dépenses pour la seule France).
Mais alors, est-il raisonnable de penser que les spécialistes, les ministres, l'Etat Major, le Président de la République, ceux qui appuient sur le bouton afin de mettre en action les hommes armés, leurs chars, leurs avions, leurs bombes, ces spécialistes donc, peuvent-ils se laisser influencer par les manœuvres d'un people germanopratin?
Nombreuses interviews de BHL accessibles sur le web témoignent de sa conviction d'en être instigateur.
Le but et l'intérêt du film semble être justement la démonstration que cela non seulement est possible mais que cela a effectivement été réalisé, par BHL, qui avec un peu de volonté, un coup de fil au Président de la République, un autre au chef des insurges, à vu les portes s'ouvrir transformant l'impossible en possible.
A l'écran, BHL le personnage principal présent tout au long du film, s'emploie à faire allier à son projet les responsables directs nationaux et internationaux, gouvernementaux et intergouvernementaux.
Je crains qu'hélas il soit impossible de mesurer tant l'efficacité que la véracité de sa démarche, tellement cet exercice, qui n'est qu'un jeu de séduction est fait de nuances difficilement saisissables et quasi impossibles à restituer pour un cinéaste autoproclamé pour l'occasion. C'est la voix off qui nous fait comprendre que BHL est en train de faire sa guerre pendant qu'un cameraman filme BHL en train de faire sa guerre pendant qu'un cameraman filme BHL… Je suppose qu'ici comme ailleurs le travail de cinéaste se résume à un montage astucieux du matériau fixé sur le support et à l'ajout d'un commentaire.
Le principe d'une fiction cinématographique est de faire croire au récit voulu par le réalisateur. Un documentaire est censé apporter les preuves.
Or si le résultat, à savoir la guerre, a effectivement eu lieu, il est impossible de savoir quelle part de responsabilité revient à l'intervention de BHL. On peut même imaginer quelqu'un sans la moindre influence politique réaliser le même film documentaire. En fait ce film censé témoigner et démontrer quelque chose, fait penser à une vidéo souvenir d'un voyage d'affaires de BHL.
C'est pourquoi trouver ce film en sélection officielle du Festival de Cannes étonne. Par où BHL est il donc passé pour voir son film sélectionné?
On a tendance à adhérer spontanément à l'idée, au geste même de secours. Ainsi le Téléthon, les Pièces Jaunes, le don du sang, l'Emmaüs, la Mère Teresa, l'Abbé Pierre, on connait, on respecte, on admire, on participe.
Ainsi un appel façon l'Abbé Pierre: "Au secours mes amis, un dictateur fou, pervers et sanguinaire massacre la population innocente en grande souffrance. On ne peut pas laisser faire, ils ont besoins de notre aide!" est censé susciter, comme c'était le cas à l'époque, une réponse spontanée du genre: "Tenez bon les gars on arrive".
Mais la motivation de la démarche de BHL s'avère ne pas être tout à fait de cette nature dès lors qu'il apporte cette précision : "Je l'ai fait parce que je suis juif. Sinon je ne l'aurais pas fait". Ce n'est donc pas au Bon Samaritain que l'on a à faire alors que sans cette précision on aurait peut-être tendance à le croire. Il s'agit là d'une autre logique.
D'après la parabole biblique de bon Samaritain qui met en scène trois représentants des trois tribus: un Cohen, un Levi et un Samaritain, seul le Samaritain, méprisé par les deux autres, se montre charitable car obéissant à l'appel de Dieu plutôt qu'à la Loi. Aucune raison, par ailleurs, de moquer l'envie de BHL de croire en sa parenté avec l'une de 13 tribus constitutifs du peuple juif biblique, même si les récents travaux des historiens israéliens, mettent fortement en doute la réelle existence de juifs en tant qu'un peuple.
Connaissant le personnage, pourquoi ne pas songer à un projet plus conforme à sa préférence sioniste affichée, et ne pas avoir compris plus tôt que ce rabattage médiatique, que ces armées, que ces milliers des victimes n'étaient pas dans le projet de BHL le prix d'une action de secours aux malheureux Libyens, mais une réponse à sa motivation à lui qui est "sa fidélité à son nom, au sionisme et à Israël".
Il faut reconnaitre que là il a le mérite d'être explicite Bernard-Henri Lévy.