C’est drôle ces représentations que les salopards ayant le pouvoir se font de nous les opprimé-es. Ils sont persuadés que notre émancipation ne peut se faire qu’à la suite d’un drâme, une grosse merde devenant le point de rupture, ou de départ, d’une (re)prise de pouvoir et d’un début de rébellion. Comme s’il nous fallait une merde plus grosse que les autres pour que l’on arrive à s’émanciper. La bonne blague. Il n’y a que ceux qui n’ont jamais vécu d’oppressions pour penser que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Il n’y a qu’eux pour croire à ce mythe et pour nous le faire gober.
Non, ce qui ne nous tue pas ne nous rend pas plus fort. Ce qui ne nous tue pas nous détruit. Et notre seule option pour rester debout est de rassembler et scotcher les morceaux en nous auto-convaincant que nous sommes bien mieux comme ça, qu’au final, on l’a désiré cet éclatement, parce que nous en ressortons plus fort-es, plus solides, plus grand-es.
Voilà notre drame. Ils font de nous leurs complices, ils nous forcent à nous empoisonner l’âme pour que l’on devienne ce qu’ils veulent que nous devenions : de parfaits petits opprimé-es dociles, prêt-es à se reprendre une tarte dans la gueule presque avec plaisir car, après tout, ça nous rend plus fort-e de bouffer de la merde encore et encore et encore.
Non, ce qui ne nous tue pas ne nous rend pas plus fort-es. Ce qui ne nous tue pas ne fait qu’enfoncer l’aliénation au plus profond de nos âmes. Ce qui ne nous tue pas nous détruit et la destruction n’amène pas l’émancipation, elle n’amène que la honte et la douleur sagement refoulées par les petites histoires empoisonnées que nous nous racontons pour ne pas y penser. Ce n’est pas en souffrant que nous nous sauvons. Le drame n’est jamais salvateur.
L’émancipation ne vient que de nous même. Elle n’est que le résultat de notre rage, notre amertume et notre désir de vengeance. Voilà notre émancipation. Elle ne vient pas de la douleur, elle vient de la colère, elle ne vient pas de l'apitoiement, elle vient de la résilience. Elle se déploie lorsque la rage se fait si violente qu’elle en rallume notre âme. Âme bien endormie par le poison qu’on s’est forcé-es à gober pour nous protéger de l’immondice de ceux qui nous dominent.
La rage est ce qui nous sauve. La gniak, la fureur, la violence, l’emportement, l’hors de contrôle, la survolte, le déchainement, la tempête, l’urgence de frapper, de cogner, de goûter la douleur autant que la faire goûter à celles et ceux qui nous ont humilié-es, abusé-es et aliéné-es pendant des années. S’approprier notre rage c’est ouvrir les yeux sur ce que l’on a vécu et ce que l’on s’est infligé. C’est retirer le poison de l’âme goutte par goutte, se réveiller et retrouver ses forces à mesure que l'aliénation est arrachée et l’émancipation ancrée.
Nous nous émancipons. Nous nous émancipons parce que nous ne pouvons plus nous mentir à nous-même. Parce que les petites histoires que nous nous racontons sonnent faux. Parce que nous ne pouvons plus ignorer nos éclairs de lucidité.
Nous ne nous émancipons pas parce que nous avons mangé une nouvelle tarte dans la gueule, nous nous émancipons parce que nous avons fait l’effort conscient de regarder vers l’étincelle de rage que nous refusions de voir par peur.
L’étincelle a mis le feu à l’âme et l’incendie irradie l’esprit. La rage ne sera éteinte qu’une fois le désir de vengeance assouvit. Jamais nous ne pardonnerons à ceux qui nous ont forcé-es à nous auto-mutiler. Jamais notre âme n’oubliera l’amertume qui en est née. Le désir de vengeance a cela de doux qu’il s’auto-suffit permettant d’entretenir à jamais l’incendie.