L’euro dans le débat électoral
Dernières réflexions d’un euro-sceptique[1] de la première heure
À cinq jours d’un scrutin aux conséquences potentiellement dramatiques, la question de la sortie de l’euro et de ses conséquences occupe toujours une place importante et parfois essentielle, quoique de plus en plus floue, dans le débat. Tout en reconnaissant la dimension exceptionnelle et totalement inédite que prendrait un tel retrait, nous pensons que la médiatisation excessive des menaces qu’il ferait peser sur la prospérité des français relève d’une stratégie, classique dans la pensée conservatrice, de mise en avant du risque de chaos. Témoin d’un enracinement profond de la Pensée Unique, cette stratégie révèle surtout une incompréhension fatale des racines du populisme, en conférant a priori à ses aspirations un label d’irresponsabilité.
L’euro, une ambiguïté aggravée
On peut évacuer une fois pour toutes le constat irréfutable des tares congénitales d’une zone monétaire non optimale et de leurs conséquences lorsque les économies de ses membres divergent fortement. Il faut alors en revenir à l’idée fondatrice : la monnaie unique devait être la première étape d’un grand projet d’union politique et économique, projet submergé par un élargissement aux pays de l’ex-bloc soviétique mené à marche forcée et dont les visées mercantiles et géopolitiques s’accompagnaient d’un renoncement définitif à toute ambition d’harmonisation (fiscale, sociale et budgétaire) qui seule pouvait donner corps et pérennité à la monnaie unique.
L’euro reste ainsi à la fois le vecteur emblématique d’une Europe définitivement en paix, quasi consubstantiellement à la libre circulation des biens et des personnes et à l’espace Schengen, et le symbole de l’inachevé de cette construction, voire de sa récupération à des fins strictement marchandes et de son échec quant à sa contribution à une prospérité équitable des peuples. Il n’est alors pas nécessaire de pousser très loin pour que cet euro à deux visages devienne aux yeux de la critique « populiste » l’instrument de la trahison des peuples.
Les économistes qui s’alarment depuis longtemps de cette ambigüité, tels Stiglitz, Lordon ou Sapir, pour ne citer que ceux-là, enragent que cette analyse n’ait été reprise, dans le champ politique, que par les extrêmes, en particulier de droite, tandis que les partis dits de gouvernement (jusqu’à quand ?) s’en tenaient à alerter sur les conséquences catastrophiques d’un retour aux monnaies nationales pour justifier le statu quo. D’avril 2002 à avril 2017 quinze ans se sont écoulés, marqués par une crise majeure qui perdure sous la forme d’un QE prolongé, sans que rien ne change vraiment.
En quoi consisterait donc cette catastrophe ?
Notons en premier lieu un biais méthodologique, directement issu du tropisme évoqué ci-dessus, qui consiste à ne s’intéresser qu’à ce qui adviendrait de la France si elle abandonnait la monnaie unique, au lieu de considérer, aussi, ce que deviendrait l’euro, une fois la France sortie, avec les possibles effets de contagion, par exemple sur nos voisins d’Europe du sud.
Que nous disent donc les sages qui nous préviennent du cataclysme à venir ?
·Que le gouvernement pourra créer de cette monnaie nationale inconsidérément, creuser le déficit et allumer la mèche de l’inflation.
·Que les marchés financiers sanctionneront d’emblée le retour au franc en vendant massivement les titres de dette française, dont le taux de rendement grimperait violemment car la Banque de France ne pourrait pas faire face.
·Que la conversion des billets en euros ne se ferait qu’imparfaitement et que la circulation simultanée des deux monnaies créerait une instabilité préjudiciable au franc.
·Que la parité initiale (par exemple un NF égal un euro) serait attaquée et que le franc serait rapidement dévalué de 20 à 30%.
·Que cette dévaluation, compte tenu de la structure du commerce extérieur pèserait lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages, compte tenu du renchérissement des produits importés non (immédiatement) substituables par des productions domestiques.
·Que la même dévaluation grèverait le budget public, la dette libellée en euro devant être remboursée dans cette devise.
Cette liste proprement effrayante appelle immédiatement deux remarques
·La BCE a créé ex-nihilo, depuis 2012, plus de 4 000 milliards d’euros pour acheter de la dette, principalement publique, aux banques. Les autres Banques centrales, dans le monde, l’ont précédée sur cette voie, de la Fed à La Banque du Japon en passant par les Banques de nos « modèles », suisse ou scandinaves et parfois dans des proportions gigantesques. Rien en fait n’interdirait à la Banque de France de prendre le relais, en tant que de besoin. La leçon d’orthodoxie est ici parfaitement déplacée.
·Le fait même d’annoncer la dévaluation instantanée du nouveau franc contre euro revient à reconnaître que l’euro est une devise surévaluée (contre le dollar et les devises des émergents) pour l’économie française, comme elle l’est d’ailleurs pour l’Italie, le Portugal et quelques autres… L’euro fort introduit un biais en faveur de « l‘Europe du Nord », qu’il n’est pas sain de perpétuer.
Éléments de discussion
Dévaluation, pouvoir d’achat et balance commerciale
L’histoire nous a enseigné depuis longtemps que la dévaluation compétitive ne crée qu’un boost temporaire (la courbe en J) et qu’elle ne peut réussir que si elle est accompagnée de mesures anti-inflationnistes. Les économistes sérieux (Aglietta, Artus…) nous disent aussi que la compétitivité-prix n’est pas tout et que le déficit commercial de la France tient beaucoup plus à un défaut chronique d’innovation et d’investissement en R&D qui ne permet pas la « montée en gamme » nécessaire pour jouer dans le concert mondialisé. On doit remarquer enfin que la Grande-Bretagne, promise à une récession sévère, semble avoir encaissé, au moins jusqu’à maintenant, la dévaluation de 15 % de la livre consécutive au Brexit sans trop de dommages.
Le vrai sujet du commerce extérieur, dans le programme de Mme Le Pen, est moins celui de l’euro que celui du repli sur soi et de la « préférence » qui viendraient réduire les débouchés des entreprises françaises dans un climat d’hostilité avec nos partenaires.
Le spectre de la faillite des finances publiques
La dette est un sujet complexe car la novation juridique donnerait lieu à d’interminables procès et négociations, avec des répercussions sur l’ensemble des dettes émises en euro, bien au-delà du cas français. Pour la France, l’euro n’est pas tout à fait une monnaie souveraine mais il n’est pas non plus une devise étrangère. Les OAT sont des obligations émises sous juridiction française donc remboursables dans la devise de la France. Quant à l’épouvantail des 60% de détention de la dette française par des non-résidents, il s’agit de chiffres bruts qui ignorent que symétriquement les actifs détenus par les français, notamment à travers les fonds généraux d’assurance-vie, sont largement diversifiés en dettes étrangères. Au total la dette extérieur française (ne) serait (que) de 25% du PIB !
Il reste la menace de mouvements spéculatifs et de de fuite capitaux. Il faut sur ce point se rappeler que c’est Mario Draghi avec son fameux « whatever it takes » qui a mis fin à la crise de la dette en zone euro en assurant la liquidité ultime de tous les titres. Il a fort à parier que l’abandon par la France de la monnaie unique créerait de sérieux remous sur les marchés financiers, aux effets potentiellement dévastateurs, car elle romprait la confiance dans la mutualisation de fait mise en place par la BCE à travers ses opérations de quantitative easing. Chaque État se verrait ainsi renvoyé à la problématique de liquidité/solvabilité de sa propre dette et l’ensemble des marchés financiers à la l’insoutenabilité fondamentale des taux d’endettement de la plupart des grands pays. C’est cette vraie menace-là qui devrait inciter les dirigeants européens à reprendre le sujet de l’harmonisation et de la solidarité, faute de quoi l’épouvantail ne fonctionnera plus très longtemps.
Conclusion Thérapie de choc contre mort lente, le sujet mériterait au moins d’être discuté.
Il y a, semble-t-il, des éléments plus convaincants que la menace éculée du chaos économique pour promouvoir la voie de la modération plutôt que celle des extrêmes dans le choix électoral. On ne peut que regretter que les dévoiements économiques de la construction européenne empêchent d’opposer clairement dans ce débat une vision pacifique et sincèrement coopérative à une posture de fermeture et de repli nationaliste.
L’avenir de l’euro reste de toute façon promis à une contestation grandissante si la doctrine officielle continue de s’affranchir de toute avancée en matière d’harmonisation en transposant à la monnaie unique son leitmotiv immuable : « mieux vaut cette Europe imparfaite que pas d’Europe »
jacktenin 2 mai 2017
[1] Au sens de « hostile à la monnaie unique » dès le referendum initial, pour des raisons strictement économiques