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C'est un essai biographique époustouflant de vérité, bourré d'anecdotes sur une période de sa vie de 1962 à 1972.
Il le tend comme un miroir où chacun peut se voir, et se reconnaitre à travers ce récit nostalgique, sincère et très touchant sur son intégration en France .Là où justement les émotions sont très fortes, tant la vérité sur ces évènements ont maqué sa vie durablement comme celle de ses parents.
Un livre dont la plus grande qualité est sans aucun doute son honnêteté intellectuelle sur une vérité si évidente et assumée, que l'on ne songe pas un seul instant à mettre en doute son récit. Des évènements inspirés d'une réalité vécue et intime, dans des moments douloureux empreints parfois de doutes. L'auteur essaie avec franchise de répondre à de nombreuses questions sur ce départ précipité du 16 juin 1962 de Constantine vers Paris. Un départ contraint et forcé vers un exil auquel il doit faire face avec courage et s'y résoudre une fois pour toutes. Comme l'ont fait beaucoup de gens avant lui, bien obligés de quitter l'Algérie à cette période de l'indépendance. A un moment où il est en pleine adolescence: en 1962, il avait à peine 12 ans pour ne pas trop comprendre ni imaginer cette rupture subite avec sa ville et son pays. Il va plus se fier à son père qu'il va observer discrètement non sans inquiétude.
Arrivé à Paris avec sa famille en plein été 62, le jeune adolescent va découvrir avec grand étonnement la capitale et finalement sa famille va trouver refuge chez son oncle à Montreuil où il fera d'ailleurs sa première entrée scolaire au lycée Janson de Sailly en septembre. Une période de son épanouissement qu'il évoque avec fierté sans rien dissimuler de son histoire intime en personnage qui a racine dans la réalité. Un récit autour duquel toute la trame de son histoire se tissera essentiellement à travers les soubresauts de son pays et de sa ville Constantine. Puis Paris qu'il découvre avec étonnement et curiosité. Avec ses mots à lui, il retrace à l'image de son ouvrage "les clés retrouvées" publié en 2015, ses souvenirs gardés au fond de sa mémoire pour se replonger dans les méandres de son existence. Tentant de comprendre surtout ce qui va l'attendre dans cette nouvelle vie.
Deux années plus tard, c'est la fin des déménagements provisoires avec une nouvelle installation dans un appartement HLM à Sartrouville. Là, il va continuer ses années de lycée et entrer de plain pied dans une époque de sa vie plus stable. "J'arrive dans la France des 30 Glorieuses" dira t-il entre les lignes de son ouvrage comme pour se justifier déjà d'une certaine maturité. Son père va alors trouver un travail comme agent d'assurances et recommencer une nouvelle carrière à 53 ans. Sa mère de son côté est intégrée comme ouvrière à l'usine Peugeot à la Garenne. Tout cela va mieux se concrétiser avec l'acquisition d'une voiture qui va permettre à toute la famille de se déplacer plus librement et surtout renouer les liens avec les autres membres de la famille environnante un peu oubliée durant toutes ces péripéties. Ce récit lumineux de 230 pages en 12 chapitres, écrit avec foi et talent où l'auteur va puiser dans sa mémoire des souvenirs bouleversants d'adolescent, étalés avec audace et sans aucune retenue sur une période trouble et tragique à la fois. Mettant en lumière Paris où il va s'intégrer rapidement et Constantine où il est retourné pour la première fois en 1983 comme pour mieux les décrire avec une admiration particulière. Tout comme son engagement en politique dans les années 70 et à la faveur de mai 68 (il avait 17 ans) il s'affirma en toute logique. Fort de ces expériences militantes et universitaires, il va mettre toute son énergie au profit d'une certaine vision politique dans son petit cercle d'étudiants de Nanterre devenu depuis sa seconde famille. Il va alors construire les certitudes d'un monde nouveau au cours de cette halte sur ses 10 années de sa vie, imprégnées notamment de son expérience militante acquise à l'université .Comme il va pointer du doigt l'éducation reçue de sa mère, issue des "Zaoui" une grande famille juive commerçante qui a marqué la ville de Constantine par sa popularité et une intégration réussie.
Benjamin Stora va demeurer toujours attaché à "cette dualité appliquée aux travaux liés à la mémoire de l'histoire de la France et l'Algérie, à celle des juifs et des musulmans et à l'histoire de l'immigration" qui vont faire l'objet plus tard de nombreuses publications des 1986. C'est le 1er travail de mémoire sur Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien, fédérateur du mouvement nationaliste algérien (MNA) qui le fera connaitre du public.. Ou encore celui sur Ferhat Abbas, autre leader de la Guerre d 'Algérie. En 2020, après plusieurs succès littéraires, il est sollicité par le Président Macron pour réaliser le rapport qui portera son nom sur la colonisation et la guerre d'Algérie:" Rapport Stora" sur la réconciliation des mémoires remis officiellement au Président Macron en 20210, suscitant par ailleurs en France et en Algérie certaines polémiques mais réussissant en même temps à remettre en question le statut de l'historien ici et la- bàs particulièrement sur l'accès et l'échange des archives par les historiens des deux côtés de la méditerranée. Un travail réalisé en commun sur une histoire combien mouvementée et riche à la fois qui reste encore à écrire.
Benjamin Stora avec son tempérament passionné par l'histoire va dans cet ouvrage nous entrainer dans ses propres souvenirs où s'entremêlent les douleurs et le chagrin d'un jeune ado passé à l'âge adulte pour raconter l'indicible de sa propre histoire après la guerre, l'exil. Sans oublier son engagement politique trotskiste à l'OCI. Une autre partie de sa vie qui l'a marqué en tant qu'homme et dont on sort bouleversé devant une certaine vérité, notamment sur les valeurs familiales reçues qui l'ont souvent emporté sur la colère. Avec mélancolie, l'historien va raconter cette époque de feu tragique que l'Algérie a traversé à cause de la fatalité absurde de la guerre pour voir le départ massif de milliers de ceux qu'on a appelé "les rapatriés" vers la France. Lui à cette période d'adulte plus libéré que jamais, doit se contenter de se refaire un avenir en France pour une nouvelle vier restant encore à bâtir autour de cette "arrivee" avec l'espoir bien meilleur.
Aujourd'hui, Benjamin Stora garde encore les bras ouverts vers l'Algérie en témoin privilégié et acteur de la vie politique entre les deux pays
Jacky NAIDJA
jana.presse.fr
*BENJAMIN STORA : Né en 1950 à Constantine, et après de brillantes études universitaires est devenu historien et sociologue puis professeur des universités et écrivain. Auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de l'immigration, la guerre d'Algérie et le Maghreb en général, il reste aujourd'hui l'historien de référence en France et à l'étranger. Outre l'écriture, il s'est aussi consacré au cinéma à travers plusieurs collaborations dans de nombreux films en tant que scénariste et réalisateur et notamment ces dernières années avec Georges Marc Benhamou pour porter à l'écran des films inédits sur l'histoire de la guerre d'Algérie. en plusieurs épisodes.