Un acteur ancien et omniprésent : Pierre Fabre
L’histoire de l’A69 commence dans les années 1990. Pierre Fabre, dont les laboratoires pharmaceutiques sont implantés à Castres, s’est fixé comme objectif la création de l’A69. Il contacte Laurent Cabrol, originaire de Saint Amans Valtoret (Tarn) présentateur météo à la radio et à la télévision, connu du grand public et lui donne les moyens de créer une association « Les routes de l’avenir », chargée de promouvoir ce projet. L’association est créée en 1999.
Et Pierre Fabre peut se réjouir dans le journal interne à l’entreprise, en septembre 2010 :
« Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, auprès des ministres successifs pour arriver à cette décision » (….) « il est vrai que l’entreprise, depuis près de 10 ans, n’a pas ménagé ses efforts pour arriver à cette décision ».
En mai 2013, le président Hollande se rend en visite aux laboratoires Pierre Fabre à SOUAL.
Il y parle d’ « une infrastructure qui aurait dû être faite depuis des années »(…) Ce qui n’est pas une raison de ne pas souhaiter que l’infrastructure puisse venir. »
A noter qu’à cette époque, Emmanuel Macron est secrétaire général adjoint de l’Elysée
Et la machine s’emballe !
Le 30 juillet 2018, Macron fait voter la transposition dans le droit français d’une loi induisant le « secret des affaires », principe imposé à Bruxelles par de grands lobbies industriels, une disposition qui aura toute son importance par la suite.
Pour justifier la construction de l’autoroute, certains élus ne cessent de répéter que Castres et sa région sont des territoires enclavés. Pourtant, en 2019, les mêmes clamaient... l’inverse. Philippe Bonnecarrère, le corapporteur de la proposition de loi de validation, et pas moins de 48 sénateurs signataires du texte avaient adopté il y a six ans une loi d’aménagement du territoire dont les critères indiquent que la ville de Castres n’est pas enclavée.
Le 27/10/2021, est enregistrée la création de la société ATOSCA, domiciliée à saint Etienne-du-Grès, détenue par un pacte de quatre actionnaires : les fonds d’investissement Quaero capital (30%) et TIIC (30%), le fonds d’Edmond de Rotschild spécialisé dans les transports.
Ils se sont associés à deux partenaires industriels NGE Concessions (25%), 4ème groupe français de BTP et Ascendi (15%). Cette dernière société, spécialisée dans les péages, est une filiale à 100 % du fonds d’investissement Ardian, qui détient par ailleurs en direct 50 % d’Atosca exploitation, la branche qui gérera l’autoroute pour une durée de… 55 ans.
Du jamais vu !!!
En mars 2023, les préfets du Tarn et de Haute-Garonne signent l’autorisation environnementale s’appuyant sur une prétendue « raison impérieuse d’intérêt public majeur » Il n'existe pas de définition juridique précise de la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) mais cette clasification permet de déroger au Code de l’environnement et de la protection de la nature, qui contient l’interdiction de détruire, altérer ou dégrader des sites d'intérêt géologique, des habitats naturels, des espèces animales ou végétales et leurs habitats.
En octobre 2023, devant des élus et chefs d’entreprises réunis à la chambre de commerce et d’industrie du Tarn, le député Renaissance Jean TERLIER se félicitait d’avoir reçu l’assurance de Matignon et de l’Élysée que le projet d’A69 ne serait pas arrêté. Les mêmes garanties auraient été apportées par l’Élysée au PDG du groupe Pierre Fabre
Depuis lors, cinq recours en justice n’ont pas abouti, l’obstacle étant la qualification de « Raison impérative d’intérêt public majeur » qui n’avait pas été jugée sur le fond. Les travaux se sont alors accélérés, pour prendre de vitesse la justice et invoquer le fait accompli, travaux émaillés de nombreux incidents, dont des violences policières au domicile d’opposants.
L’audience au TA sur le fond devait avoir lieu le 9 décembre. Par un subterfuge, le gouvernement prétextant un « élément nouveau » à savoir la baisse de 33% des péages, qui n’a d’ailleurs jamais été confirmée, comme l’indique le TA dans son communiqué. Il s’agissait simplement de gagner du temps pour faire avancer les travaux ; le Tribunal Administratif de Toulouse a donc jugé le dossier sur le fond le 27 février 2025 et a prononcé un arrêt des travaux. Le communiqué du TA que vous trouverez grâce à ce lien : file:///C:/Users/Moi/Downloads/CP_A69-1.pdf explique cette décision.
Le ministre des Transports, Philippe Tabarot, (visé par une enquête préliminaire pour prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et recel de ces infractions) déclare faire appel de cette décision et demande un sursis à exécution permettant la reprise des travaux.
Le 15 mai 2025, le Sénat a adopté par 252 voix pour et 33 voix contre, une proposition de loi « de validation », afin de contourner la décision de justice. A noter que 13 sénateurs socialistes ont apporté leur soutien à ce texte, qui valide l’A69. A méditer et à conserver en mémoire pour les prochaines élections !
Le 28 mai, la cour d’appel autorise la reprise des travaux. Le texte de validation qui devait être examiné en séance le 2 juin à l’Assemblée le sera finalement en Commission Mixte Paritaire.
La Cour d’appel et le Conseil d’Etat jugeront sur le fond dans les prochains mois. En attendant, les travaux s’accélèrent pour parvenir à la situation du Grand Contournement Ouest de Strasbourg, où les opposants ont gagné…3 ans après, une fois les travaux terminés.
Qui sont les soutiens de ce projet ?
- Laurent Cabrol, bien évidemment, le porte-parole de l’association portée par Pierre Fabre
- l'ancien maire-adjoint UMP de Castres, Jacques Thouroude, qui a travaillé près de 40 ans dans le groupe Pierre Fabre.
- l’ ancien ministre socialiste passé à la macronie : Jean-Yves Le Drian
- la présidente socialiste d’Occitanie Carole Delga, adversaire de la NUPES et du NFP
- Éric Ducournau, qui a été directeur adjoint de cabinet de Dominique Perben de 1990 à 1995 lorsque ce dernier était maire de Chalon-sur-Saône, est l'actuel directeur général du groupe.
- En 2023, l'ancienne ministre de la Défense (2017-2022), Florence Parly, a rejoint le Comité stratégique de Pierre Fabre.
En février 2024, une Commission d'enquête parlementaire a été créée à l'Assemblée nationale afin de contrôler son montage juridique et financier. Le président de cette Commission est le député Renaissance du Tarn, Jean TERLIER. Il communique régulièrement sur ses réseaux sociaux autour de Pierre Fabre. Mais surtout, son épouse travaille pour le groupe Pierre Fabre. Elle a assuré les fonctions de directrice marketing de l'une des marques du groupe avant d'être nommée en avril 2023 directrice des congrès et des manifestations scientifiques chez Pierre Fabre
Plusieurs élus locaux ou leurs conjoints travaillent ou ont travaillé pour Pierre Fabre.
Quels sont les intervenants financiers de ce projet ?
On a vu que la société ATOSCA est composée de plusieurs acteurs.
Parmi eux, on relève la société Pierre Fabre en tant qu’acteur local.
Les acteurs pricipaux du contrat de concession sont NGE, -4ème entreprise de BTP après Bouygues, Eiffage et Vinci- et le fonds luxembourgeois TIIC 2 lié à la Compagnie financière Edmond de Rothschild
On y trouve aussi, via Ascendi, le fonds d’investissements privé ARDIAN, qui comporte depuis 2014 dans son effectif Emmanuel MIQUEL.
En 2017, Emmanuel MIQUEL faisait partie des responsables financiers de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Une fois élu à l’Élysée, il désigne Emmanuel Miquel comme conseiller “entreprise, attractivité et export” pendant deux ans. En 2019, il revient « pantoufler » chez Ardian. En parallèle, en 2022, il s’implique à nouveau dans la campagne d’Emmanuel Macron, cette fois-ci comme « relais de la société civile chargé des sujets entreprise et attractivité ».
Un autre cadre d’Ardian est le franco-algérien François-AISSA-TOUAZI, responsable du bureau ARDIAN d’Abou Dabi, qui a également aidé Emmanuel MACRON à financer sa carrière politique. En février 2017, alors que le candidat d’En Marche n’avait plus un sou en caisse, il l’avait aidé à organiser un voyage en Algérie, voyage au cours duquel Emmanuel MACRON avait levé des fonds auprès de milieux d’affaire algériens, comme l’indique OFF INVESTIGATION dans un documentaire dont voici le lien :
https://www.youtube.com/watch?v=BQIwtAexYBI
Au vu des nombreux soutiens du Président à des postes stratégiques au sein des actionnaires clé de l’A69, on comprend mieux pourquoi Emmanuel MACRON défend mordicus ce projet autoroutier pourtant à rebours des engagements français contre le réchauffement climatique
Un autre élément pose question. Depuis 2016, NGE a commencé à prospecter des terrains le long du futur trajet de l'autoroute, avec pour objectif d’ installer trois carrières pour les futurs travaux de l'A69 dans trois communes du Tarn, Saint-Germain-des-Prés, Villeneuve-lès-Lavaur et Montcabrier. Ceci est clairement affiché dans ses plaquettes de présentation en 2020.
Geoffrey TARROUX du collectif La Voie est libre, opposé à l’autoroute : « On se demande si les dés n’étaient pas pipés dès le début et si NGE n’avait pas vocation à décrocher ce projet coûte que coûte »
Le 12 avril 2017, Guy LAFFONT, un agriculteur à la retraite de Belcastel, dans le Tarn a signé un contrat permettant à l'entreprise de BTP de louer, pendant 5 ans, 10 hectares de ses terrains sur la commune de Montcabrier pour installer une carrière.
L’opacité financière du dossier
Karen Erodi, députée (LFI) du Tarn, s’inquiète à l’idée que toutes ces facilités accordées au privé soient, au final, payées par les citoyens : « Quand les autoroutes sont déficitaires, c’est l’argent public du contribuable qui paye le manque à gagner. Est-ce que c’est un cadeau fait aux concessionnaires privés de l’A69 ? Tout est possible. On peut se poser toutes les questions tant qu’on n’a pas de réponse claire du gouvernement ».
À l’issue de plusieurs relances auprès du Ministre des Transports, Karen Erodi est enfin invitée, le 24 mai dernier, à consulter le fameux contrat de concession, signé entre l’État et ATOSCA le 22 avril 2022. Qu’elle ne fut pas sa surprise de constater que les annexes qui chiffrent le plan de financement et le tarif au kilomètre de ce projet classé « priorité nationale » en 2019, ont été soigneusement masquées ! « Quand j’ai demandé au ministère des Transports pourquoi les annexes étaient grisées, on m’a répondu : c’est le secret des affaires »
Le contribuable paie plusieurs fois :
Les déficits éventuels de fonctionnement seront compensés
Les ouvrages d’art de l’ancienne nationale, payés par les contribuables seront récupérés par le concessionnaire et intégrés à l’autoroute.
Celles et ceux qui n’auront pas le moyens d’acquitter 17€ pour l’AR devront reprendre l’ancien tracé avec traversée des localités, augmentant la durée, le coût, et les risques d’accident.
Le maire de Verfeil s’en inquiète : « C’est pourquoi j’ai d’ores et déjà sollicité le département ainsi que la communauté de communes pour intervenir auprès des préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne. Ensemble, nous exigeons que NGE/Atosca (concessionnaire de l’A69, NDLR) respecte les engagements pris avec l’État, à savoir : la sécurisation de la route de Puylaurens, notamment pour les piétons et les riverains, la fluidification du carrefour de la gendarmerie, une gestion adaptée des accès à la zone d’activités de Piossanne et la sécurisation des arrêts de bus situés sur cet axe".
Tout ceci est stipulé dans le communiqué du TA du 27/02/2025
Contribuables, si vous pensez qu’il faut terminer cette autoroute du fait des travaux déjà engagés, n’oubliez jamais que vous et vos enfants allez en payer le déficit pendant …..55 ANS !!!, avec peut-être un arrière-goût de financement de campagnes électorales