Né à San Ignacio, le 28 septembre 1932, assassiné à Santiago, à l'Estadio Nacional le 16 septembre 1973 par les sbires du dictateur Pinochet, soutenu par la CIA et le gouvernement des États-Unis.
On ne défie pas impunément le pouvoir, surtout s’il est entre les mains de dictateurs sanguinaires. Victor Jara en fit l’amer constat, payant de sa vie son engagement militant auprès de Salvador Allende au Chili.
Victor Jara est né d’un couple de paysans modestes, à San Ignacio, à 400 km au Sud de Santiago, la capitale chilienne. Ses connaissances musicales ne sont pas académiques, mais ancrées dans le terroir populaire chilien. Monté à la capitale après la mort prématurée de sa mère, qui l’a profondément affecté, Victor fréquente le séminaire puis intègre l’l’université du Chili. Il se forme au théâtre et au jeu d’actuer et rejoint la compagnie de l’université.
En 1957, il intègre le groupe Cuncumén, spécialisé dans les danses et les musiques folkloriques, dont il devient le chanteur soliste. Parallèlement, il réalise sa première mise en scène, ce qui lui permet de voyager en Argentine, au Venezuela, au Paraguay et à Cuba (1959). Directeur artistique du collectif Cuncumén, il réalise une tournée en Europe en 1961 (France, Hollande, Urss, Europe de l'Est).
Il devient, en 1963 directeur de l'Académie folklorique de la Maison de la culture de Ñuñoa, et intègre l'équipe de direction de l'Institut théâtral de l'université du Chili (Ituch). En 1965, il est primé, et la presse commence à s'intéresser à ce directeur d'acteurs infatigable et talentueux. Sur le plan musical, il prend la direction du collectif Quilapayùn en 1966.
En 1967, c'est la consécration. Encensé par la critique pour son travail théâtral, il est invité en Angleterre par le consul britannique. Parallèlement, il enregistre avec la maison de production Emi-Odeón, qui lui remet un disque d'argent.
En 1970, il est invité à un festival international de théâtre à Berlin, et participe au premier Congrès de théâtre latino-américain à Buenos Aires.
Sa carrière de chanteur et de compositeur prend par ailleurs son rythme de croisière. Il gagne en 1969 le premier prix du Festival de la nouvelle chanson chilienne, et chante lors du meeting mondial de la jeunesse pour le Vietnâm à Helsinki. Son engagement politique devient de plus en plus affirmé.
La chanson comme un choix politique
En 1970, il renonce à prendre la direction de l'Ituch. Ce choix est fondateur d'un nouvel engagement politique, car il rejoint la campagne électorale de l'Unidad Popular de Salvador Allende. Victor Jara estime à l'époque qu'il peut être plus utile par la chanson, ce qui lui donne l'opportunité de s'adresser au pays entier. Il se met vite au service du gouvernement Unidad Popular. En 1971, il rejoint le ballet national, puis le Département des technologies de la communication de l'université technique de l'État. Devenu l'ambassadeur culturel du gouvernement Allende, il organise des tours de chant dans toute l'Amérique latine. Il réalise en 1972, une tournée en Urss et à Cuba, où il est invité pour le Congrès de la musique latino-américaine de La Havane. Présent sur tous les fronts, Victor Jara dirige également l'hommage au poète Pablo Neruda (qui vient de recevoir le prix Nobel) dans le stade national de Santiago, et n'hésite pas à s'enrôler parmi les travailleurs volontaires lors des grandes grèves de 1972.
Soutenant toujours activement la campagne législative Unidad Popular en 1973, il effectue par ailleurs un tour de chant au Pérou à l'invitation de la Maison nationale de la culture de Lima.
Aux élections législatives de mars 1973, l'opposition à Allende est soutenue et organisée par la CIA, le Syndicat des camionneurs et les multinationales du cuivre. Le Chili est au bord de la guerre civile. En août 1973, Allende nomme Augusto Pinochet à la tête de l'armée.
Pinochet renverse le gouvernement Allende le 11 septembre 1973.
Ce jour-là, Victor Jara est en route vers l'université technique de l'État où il officie depuis 1971, pour l'inauguration chantée d'une exposition, avant de rejoindre Allende au palais présidentiel. Il est enlevé par les militaires et transféré au Stade national en compagnie d'autres militants pro Allende pour y être torturé avec ses camarades de lutte. Voici un extrait du témoignage de Miguel Cabezas (L'Humanité, 13 janvier 2000).
« On amena Victor et on lui ordonna de mettre les mains sur la table. Dans celles de l'officier, une hache apparut. D'un coup sec, il coupa les doigts de la main gauche, puis d'un autre coup, ceux de la main droite. On entendit les doigts tomber sur le sol en bois. Le corps de Victor s'écroula lourdement. On entendit le hurlement collectif de 6.000 détenus. L'officier se précipita sur le corps du chanteur guitariste en criant: "Chante maintenant pour ta putain de mère", et il continua à le rouer de coups. Tout d'un coup Victor essaya péniblement de se lever et comme un somnambule se dirigea vers les gradins, ses pas mal assurés, et l'on entendit sa voix qui nous interpellait: "On va faire plaisir au commandant."» Levant ses mains dégoulinantes de sang, d'une voix angoissée, il commença à chanter l'hymne de l'Unité populaire, que tout le monde reprit en chœur. C'en était trop pour les militaires; on tira une rafale et Victor se plia en avant. D'autres rafales se firent entendre, destinées celles-là à ceux qui avaient chanté avec Victor. Il y eut un véritable écroulement de corps, tombant criblés de balles. Les cris des blessés étaient épouvantables. Mais Victor ne les entendait pas. Il était mort. »
Le stade de Santiago s'appelle aujourd'hui Stade Victor Jara.
On connaît les assassins : les ex-lieutenants Hugo Sanchez et Pedro Barrientos, mais on doit se poser la question :
qui sont les commanditaires ? qui sont les complices ?
Pour Victor Jara, Pierre Chêne a écrit : «Qui était donc cet homme?»
À la vue des fusils pointés sur les maisons
À celle des égouts où crevaient des chansons
Il s'est mis à crier quand passait le troupeau
De ses frères promis à la main du bourreau.
Refrain :
Qui donc était cet homme
Égaré parmi nous
Qu'on entendait chanter
Lorsque grondaient les loups
Il a pris sa guitare quand ils l'ont vu passer
Les soldats en furie sont venus l'arrêter
Au milieu de la ville il y avait un stade
Au milieu de ce stade on a mis une table.
Refrain
Devant tous ses amis en prison sur le stade
On a tenu les mains du chanteur sur la table
Puis avec une hache sans la moindre pitié
On a tranché les doigts de l'homme révolté.
Refrain
« Maintenant chante encore » a dit un officier
En levant ses mains rouges il s'est mis à crier
Puis la foule a repris le chant du supplicié
Alors pour qu'ils se taisent les soldats ont tiré.
Refrain
Sur les routes sans fin il paraît qu'il chemine
Pour chanter à jamais dans son pays en ruine
Ce grand oiseau tout blanc aux deux pattes coupées
Et qui chante en saignant s'appelle Liberté.