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Billet de blog 20 août 2025

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La pacification à la française à Madagascar : massacre à Moramanga

Ce que les puissances impérialistes appellent pudiquement "coopération" n'est en fait qu'une forme de colonialisme, tant le dialogue et les échanges entre les deux parties sont déséquilibrés. Le cas de Madagascar en est un exemple.

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La droite et l’extrême droite françaises ne se sont jamais départies de leur vision colonialiste de la présence française dans le monde, parfois rejointes, hélas ! par certains dirigeants socialistes tels que François Mitterrand ou Vincent Auiol.

            Lors d’une précédente chronique, j’ai développé l’attitude de la France en Nouvelle Calédonie, avec le massacre d’Ouvéa et les dernières émeutes de 2024.

            On se souvient de l’opération Wuambushu décidée par Gérald Darmanin qui devait régler la situation de Mayotte. Le cyclone Chido en décembre 2024 a mis en évidence un échec patent.

            En octobre 2024, La Martinique est secouée par plusieurs jours d’émeutes.

             En 1962, Michel Debré élabora un programme de déportation d’enfants réunionnais qui perdura jusqu’en 1984 et qui permit la déportation de 2150 enfants réunionnais vers la métropole, pour compenser l’exode rural, particulièrement en Creuse.

             Mais les évènements les plus sanglants se déroulent au milieu du siècle dernier, dans ces territoires que les gouvernements veulent à tout prix conserver sous domination française.

            En mai 1967, la police française réprime férocement la grève des ouvriers du bâtiment. Le syndicaliste Jacques Nestor est froidement assassiné et le bilan des émeutes se situe entre 90 et 200 morts (8 selon les chiffres officiels)

            Le 8 mai 1945, alors que la France fête la libération et la défaite du régime nazi, un jeune arabe brandissant dans une manifestation à Sétif le drapeau algérien est froidement abattu et c’est le début d’une période de terreur au cours de laquelle entre 10000 et 30000 algériens seront massacrés. Se dessine alors la lutte pour l’indépendance qui aboutira à la guerre en 1954.

 Venons-en maintenant au massacre de Moramonga à Madagascar.

Nous sommes en 1947. Le président de la République est le socialiste Vincent Auriol. Les malgaches ont participé largement à la libération de la France du joug de l’occupation allemande. En 1945, la France de De Gaulle signe la charte des Nations Unies qui stipule dans son article 1 le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dès lors, dans les colonies françaises, de forts espoirs d’indépendance se manifestent. C’est le cas dans l’Asie du Sud-Est, et aussi à Madagascar, d’autant qu’à la conférence de Brazzaville de janvier 1944, De Gaulle a déclaré :

Mais, en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

 La loi du 7 avril 1946 marque la fin du code de l’indigénat. Dès lors, l’égalité des droits doit être la règle et Madagascar a ainsi la possibilité d’envoyer au Palais Bourbon 3 députés : Joseph Rovoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara. Ils sont tous membres du MDRM, le Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache, un mouvement qui lutte pour l’indépendance par la voie réglementaire. Mais les faucons sont à l’œuvre dans la classe politique française. Ministre socialiste d’outre-mer en 1947, Marius Moutet, haut responsable de la LDH, déclare, en parlant du Vietnam  « Avant toute négociation, il est avant tout aujourd’hui nécessaire d’avoir une décision militaire ». Le MDRM est en plein développement, ce qui inquiète le gouvernement français et Marius Moutet déclare attendre « la bonne opportunité » Pour ce faire, un parti concurrent, pro-français est créé, le PADESM (Parti des Déshérités de Madagascar). L’objectif, qui sera atteint, est de créer des clivages dans la société malgache , en s’appuyant sur les rancoeurs ethniques et l’opposition entre les populations de la côte et celle des hauts plateaux. Tout est bon pour entraver le développement du MDRM : manipulation des élections, bourrage des urnes et infiltration du MDRM par des « taupes ». Après avoir défendu la France et combattu le nazisme, les malgaches se voient confisqué leur droit à l’indépendance et ils auront à faire face à Marcel Baron, le chef de la sureté surnommé « le bourreau de Tananarive ». Des milliers de vétérans malgaches, de retour des combats en métropole, sont pleins de rancœur devant le comportement de l’état français. Il s’est créé à Madagascar une société secrète radicale, la JINA qui suit le modèle indochinois de révolte contre l’occupant. La nuit du 29 mars 1947 est retenue pour l’attaque générale. Armés de sagaies, se croyant protégés par leur talisman, des milliers de rebelles entrent dans la ville. Ils occupent la gare avec pour consigne d’épargner les femmes, les enfants et les étrangers. Sont menacés, les hommes français et les malgaches à leur solde. L’objectif de ce  coup de force est de tenir en attendant l’aide internationale qui devrait venir, en application de l’article 1 de la charte des Nations Unies. Les coloniaux sont vaguement au courant d’une action à venir par leurs informateurs infiltrés. Les dirigeants du MDRM désapprouvent cette action et le font savoir quelques jours auparavant en diffusant un message, signé des 3 députés, à tous leurs correspondants, leur demandant de garder « calme et sang-froid absolu devant les manœuvres et les provocations ». Inversant les valeurs, la France utilise ce message pour les rendre responsables de la révolte.

A partir de là, c’est la curée. Le gouvernement français, composé de socialistes, communistes et MRP, emploie les grands moyens. En 3 jours, 2000 indigènes malgaches  sont massacrés, brûlés vifs ou largués vivants d’avion sur des villages dissidents. Le Haut Commissaire arrivé sur les lieux découvre des centaines de cadavres dans les bourgs et les champs. Le Parlement ne bouge pas pour autant, sauf une modeste réaction des communistes qui sont toutefois pour le maintien de « l’Union Française »

Immédiatement, les 3 députés sont rendus responsables de es troubles.

En dépit de leur statut et de leur immunité, Rovoahangy et Rabemananjara qui sont restés à Madagascar sont arrêtés et torturés (nerfs de bœuf, seau d’urine etc..) et finissent par avouer qu’ils sont à l’origine de l’insurrection.

Joseph Raseta, lui, est à Paris ; il se sent menacé et clame son innocence. Pour l’instant, il est protégé par son immunité parlementaire.

Pendant ce temps,à Madagascar, la répression s’active. Le 5 mai au soir, un wagon à bestiaux en route vers la prison est stoppé en gare de Moramanga avec à l’intérieur 166 malgaches encartés au MDRM. Leur procès est expéditif : le wagon est mitraillé. On en retirera 95 cadavres. Les 71 rescapés seront fusillés sur le champ. Un seul témoin survivra.

Marius MOUTET, et toute la presse, sauf l’Humanité, demandent une répression dure contre le MDMR.

Le Parlement intervient directement dans cette répression sauvage ; le 6 juin, il vote la suppression de l’immunité de Joseph Raseta, qui est immédiatement arrêté et livré à Marcel Baron, à Madagascar. Le MDRM est désorganisé, mais pas abattu. La rébellion n’est pas terminée. Un important renfort militaire est envoyé, des parachutistes et des tirailleurs sénégalais censés rejoindre l’Indochine. L’armée coloniale, pour laquelle le gouvernement français n’a que mépris, comme en témoigne le massacre de Thiaroye, au Sénégal, exécute avec scrupule les ordres venus de Paris. Les combattants malgaches sont contraints de se replier dans la nature où ils meurent de faim par milliers

Deux personnes toutefois s’engagent courageusement pour défendre les accusés :

Pierre STIBBE, avocat, membre du Parti Socialiste, qu’il quitte car il désapprouve sa ligne anticommuniste. Miliant anticolonialiste, il défendra aussi plus tard Messali Hadj, Ben Boulaïd et Ben Barka.

Henri DOUZON qui se rend à Madagascar pour défendre les accusés, écrit : « la réalité coloniale fut pour moi une révélation….la réalité du sous-développement d’une population au-delà de toute misère, son exploitation par une poignée d’Européens, la répression sauvage d’une lutte totalement incomprise ». Il y risque sa vie puisqu’après une visite surprise de la prison-bagne de Diego-Suarez « véritable camp de la mort », il est enlevé, tabassé, jeté ensanglanté dans un fourré. Il réussit néanmoins à rejoindre l’aéroport et à rentrer à Tananarive . C’est là que quelques mois plus tard a lieu le procès des dirigeants du MDRM

 Joseph Rovoahangy et Joseph Raseta sont condamnés à mort, mais leur peine est commuée en détention à perpétuité ; Jacques Rabemananjara aux travaux forcés. Ils seront libérés en 1956 à l’approche de l’indépendance

 Henri Douzon qui a assuré leur défense écrira : « Si l’opinion publique métropolitaine n’est pas maintenant éclairée sur ce qui se passe dans nos colonies, c’est à désespérer. Se décidera-t-on à épurer nos possessions d’outre-mer et à les débarrasser de la clique des nervis qui y font la loi ? Le genre Ku Klux Klan ou SS d’avant l’avènement du nazisme est-il l’idéal de l’union française ? »

D’autres seront moins respectables, comme les socialistes Vincent Auriol : « il y a eu  évidemment des sévices et on a pris des sanctions. Il y a eu également des excès dans la répression. On a fusillé un peu à tort et à travers  ».

 Ou François Mitterrand ministre de la France d’Outre-mer en 1951 :

« Je me déclare solidaire de celui de mes prédécesseurs sous l’autorité duquel se trouvait M de Chevigné quand il était haut commissaire. Les statistiques manquent de précision mais il semble que le nombre de victimes n’ait pas dépassé 15.000. C’est beaucoup trop encore, mais à qui la faute si ce n’est aux instigateurs et aux chefs de la rébellion. »

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