jackytexier87
Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 janv. 2023

jackytexier87
Abonné·e de Mediapart

Marlène ENGELHORN, la milliardaire qui veut payer des impôts

Quelques milliardaires, conscients de l'indécence de la répartition des richesses, demandent à être imposés pour participer au financement du budget des états et des services publics. Bernard Arnault, major au classement des fortunes mondiales, ni aucun milliardaire français. Claude CERUTTI, dans cette chronique évoque la constitution de ce groupe et sa philosophie.

jackytexier87
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Marlene Engelhorn

Marlene Engelhorn est Autrichienne, elle a 30 ans et elle est l’arrière-petite-fille de Frederic Engelhorn qui fonda BASF en 1865.

Après le décès de sa grand-mère, elle est héritière de plusieurs dizaines de millions d’Euros mais elle a choisi de distribuer de la façon la plus intelligente possible, 90 % de sa part d‘héritage.

 L’origine de la fortune, bref historique de BASF

 A l’origine, BASF est spécialisée dans la production de colorants.

 En 1905 une première société IG Farben sera créée par rapprochement concerté des sociétés BASF, Bayer et Agfa mais chacune des sociétés conservera sa propre identité.

Pendant la première guerre mondiale, IG Farben fournira les gaz de combat.

 En 1925, six grandes sociétés décident de fusionner pour former IG Farben : on retrouve BASF, Bayer, Agfa, Hôchst, Griesheim Elektron et Weiler ter Meer. Il s’agit d’un fusion-acquisition, BASF y joue le rôle de société acquérante.

La marque Bayer désignait l’ensemble des médicaments d’IG Farben et la marque Agfa, les produits photographiques.

IG Farben soutiendra le parti nazi, produira le Zyklon B, exploitera les travailleurs forcés de plusieurs camps de travail, financera la construction de Auchwitz III Monowitz-Buna, dans lequel travaillera  en particulier Primo Lévy.

En 1947 à Nuremberg, vingt-quatre dirigeants d’IG Farben seront jugés pour leur large contribution à l'effort de guerre nazi par un tribunal américain ; certains sont reconnus coupables de crimes de guerre et condamnés à des peines de prison considérées comme modestes au regard crimes commis. Dans le cadre de la dénazification, la Haute commission alliée décide en août 1950 de prendre les mesures nécessaires pour éclater le conglomérat. Il est décidé de scinder les actifs en neuf sociétés : BASF, Bayer et Hoechst d’une part, et six autres sociétés plus petites (dont Agfa, Kalle, Cassella et Huels). Mais en mars 1953, les actions de ces petites entreprises sont finalement cédées aux trois grosses ; seules Cassella et Huels restent indépendantes. Les actions des cinq sociétés devaient être données aux anciens actionnaires d’IG Farben.

 BASF aujourd’hui :

Près de 110 000 collaborateurs dans presque tous les secteurs et dans presque tous les pays du monde.

Le portefeuille d’activité est composé de six segments :

  1. produits chimiques,
  2. matériaux,
  3. solutions industrielles,
  4. technologies de surface,
  5. nutrition et soin.
  6. solutions pour l’agriculture.

En 2020, BASF a réalisé un chiffre d’affaires d'environ 59 milliards d’euros.

 Quelques citations de Marlene Engelhorn

 « Je ne comprends pas pourquoi les riches pâlissent lorsqu’ils paient des impôts. C’est la chose la plus démocratique qui soit et on peut en être fier. Cela finance tout ce qui garantit la structure de la société. »

 « C'est de la pure chance dans la loterie des naissances et une pure coïncidence. En règle générale, les personnes qui ont généré cet argent n'en ont probablement pas tiré grand-chose. Provenant au final de la société, et c'est là que cet argent doit donc retourner. »

 « Comment est-il possible qu’une mère célibataire avec un travail à temps partiel paie 20 % d’impôt sur le revenu, alors que quelqu’un comme moi reçoit une petite fortune en cadeau ? Tout simplement. Avec 0 % d’impôt. »

 « On oublie que le self-made man est une exception. Quand tu es très riche c’est parce que tu es né comme ça, et c’est généralement de l’argent sale, il n’y a pas une fortune qui soit propre. Mon ancêtre était un homme blanc, d’âge moyen, riche et européen : il avait tous les privilèges dont il avait besoin. »

 « Les riches ont l’habitude de justifier qu’ils ont déjà des fondations philanthropiques, mais ceux qui devraient recevoir de l’argent sont les États. Nous n’avons pas à attendre qu’un homme riche vienne faire un don, cela ne peut remplacer les dépenses publiques ou une redistribution vraiment démocratique. »

 Marlene Engelhorn est influencée par les discours de Thomas Piketty.  

Puisque les impôts sur les successions n’existent plus depuis 2008 en Autriche, elle a créé le groupe « Tax me Now », aujourd’hui composé de 59 millionnaires, qui souhaitent que l’État impose une taxe plus haute aux millionnaires et des règles plus strictes sur l’évasion fiscale. Les riches souhaitant être taxés sont de plus en plus nombreux, et ont même formé des associations comme « Millionaires for Humanity », dont Marlene fait partie. Ils se battent pour la création d’un Impôt Sur la Fortune, dans un contexte où le nombre de pays de l’OCDE (majoritairement des pays développés) ayant un impôt de ce type est passé de 12 à 5 en 30 ans.

 Chronique « Camille passe au vert » sur France Inter du 16 novembre 2022 :

 Elle s'appelle Marlene Engelhorn, elle a 30 ans, elle est autrichienne, descendante du fondateur de l'entreprise BASF, et elle va hériter d'une fortune colossale, dont elle ne veut pas ! Cette ultra riche souhaite être taxée au maximum, au nom de la démocratie et de la justice sociale.

Une voix, un discours qui détonne : celle d’une ultra-riche, qui ne veut pas de ses millions : “ Je peux dire de manière absolument certaine qu'au moins 90% vont être redistribués. [...] Les impôts c’est cool, démocratique, c’est the thing to do

 Voici la quasi parfaitement francophone Marlene Engelhorn, autrichienne de 30 ans arrière-arrière-arrière petite-fille de Friedrich Engelhorn, le fondateur du géant de la chimie et pharmacie BASF, qui va hériter de dizaines de millions d’euros (elle n’a pas encore le montant exact), après le décès fin septembre de sa grand-mère… Elle avait 27 ans quand on lui a dit que c’est elle qui aurait le pactole le moment venu : “ Quand on m’a annoncé cet héritage, c’était avec une attitude : this is funny money, c’est juste pour jouer. J’ai trouvé ça tellement arrogant et je m’énervais beaucoup, je saoulais tout le monde. Il ne faut pas considérer l’argent comme un jeu. Les gens travaillent pour ça.

 Elle explique ne pas le mériter et critique le principe de l’héritage : “ C’est la loterie d'être née dans la bonne famille. Ça implique que bon et riche, ça va ensemble. Mais à mon avis, ce n’est pas le cas

Elle est également très critique de ceux qui se cachent dans les paradis fiscaux, refusent les taxes et justifient leur utilisation systématique de jets privés : “ C’est ridicule. Ils peuvent se permettre de ne pas se soucier. Ils se croient meilleurs que tous les autres. À cause d’eux, le secteur public devient dépendant des ultra-riches. Vont-ils être assez sympa pour sauver la planète ? Les super-riches ne sont pas super. Ils sont juste trop riches.

 Elle ajoute : “ je veux payer des impôts, pas juste pour moi mais en général. C’est dangereux pour la démocratie de laisser le pouvoir aux ultra-riches parce qu’il ne sont pas capables de se servir de ce pouvoir dans l’intérêt public ”

 Juste dans leur intérêt privé, le cœur du problème pour Marlene Engelhorn attachée viscéralement à la déclaration universelle des droits de l’homme : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Elle est donc viscéralement attachée à la démocratie, l’Etat, pour redistribuer de façon transparente et inclusive l’argent à la société. Participer avec son argent à la société. “ C’est le truc le plus démocratique que je peux faire ”

 A-t-elle envie de donner sa fortune à un gouvernement d’extrême-droite comme en Autriche ?

“ Bien sûr que non. Mais en même temps, c’est une question que l’on peut demander qu’à des gens riches qui peuvent choisir de ne pas payer d'impôts ou qui influencent la politique afin de faire en sorte qu’il n’y ait pas d'impôts sur les patrimoines. Ce n'est pas une question que l’on pose à quelqu’un qui travaille tout simplement. Et moi je veux devenir une personne normale qui paye ses impôts"

 Les héros sont ceux qui paient leurs impôts, mais elle précise qu’elle ne veut pas du tout être présentée comme une héroïne, juste une citoyenne – fan de Thomas Piketty et Hannah Arendt - qui voudrait bien que l’impôt sur l’héritage, les donations et le patrimoine, la fortune, reviennent en Autriche. Où, quel que soit le gouvernement, l’argent ira en bonne partie à l’éducation, la santé, l’environnement, … Marlene Engelhorn n’est d’ailleurs pas un total ovni, elle a même monté un réseau, « millionnaires for humanity », ils sont une trentaine partout dans le monde : On n’est pas exceptionnels, on n’est pas seuls et en plus, si on regarde en Allemagne ou en Autriche, ⅔ de la population seraient pour l'impôt sur le patrimoine. Et les gouvernements ne reflètent pas cette volonté de changer notre système.

 En attendant, elle se fait entendre et utilise son statut de riche : Ça m’offre un accès privilégié aux médias. Il faut parler de l’argent, il faut parler du pouvoir. Il faut remettre en question ce qui paraît évident.

 “Tax me now”, taxez-moi, mouvement lancé par Marlène promeut l'impôt comme une solution democratique et qui peut être plus inclusive et participative. Beaucoup mieux que d’attendre qu’il y ait un super riche, comme Batman, pour sauver la planète.

 Marlene Engelhorn espère donc se “ débarrasser ” de son patrimoine de manière démocratique et Commencer à bosser, peut-être dans l’édition.” Son livre, « Geld », argent, en allemand, sorti il y a quelques semaines, n’est pas encore publié en français.

 On peut retrouver ces extraits avec ce lien :https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/camille-passe-au-vert/camille-passe-au-vert-du-mercredi-16-novembre-2022-7236855

 Conclusion

 Marlene Engelhorn, malgré son éducation, remet en cause le mode de vie qu’on lui propose. Elle souhaite être imposée à hauteur de 90 % sur son héritage. Elle écarte le mécénat car ce n’est pas à elle de choisir et considère que c’est à l’État d’investir pour le bien commun.

Elle montre à la fois beaucoup de responsabilité face à la fortune dont elle hérite et de l’intérêt pour les autres, quels qu’ils soient.

Son discours est iconoclaste, tout à fait à l’opposé du discours que les politiques nous servent,  et nous souhaitons qu’elle entraîne d’autres grandes fortunes dans son sillage.

                                Claude CERUTTI pour OPEN-FM   janvier 2023

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte