On ne les aimait pas

On ne les aimait pas. On les enviait. On leur reprochait d'être trop riches, et aussi de détester les riches et de combattre avec les pauvres contre les riches. L'envie devint de la haine. On les a donc massacrés. Mais quelques-uns survécurent au Grand Massacre. Le temps passa. On les enviait toujours. On leur reprochait maintenant d'exploiter le souvenir du Grand Massacre. De ne penser qu'à ses victimes en oubliant celles des autres massacres. Et d'être devenus eux-mêmes des massacreurs aussi féroces que ceux qui les avaient massacrés. On leur reprochait aussi d'avoir inventé toute l'histoire du Grand Massacre. S'il y avait des survivants, c'était bien la preuve qu'il n'y avait pas eu de massacre. Pour prouver qu'il avait eu lieu, il aurait fallu que les massacrés puissent en témoigner. Mais aucun d'eux ne pouvait plus témoigner, ce qui montrait bien que le Grand Massacre n'était qu'une fable. Si les survivants l'avaient inventée, c'était pour se faire plaindre. Pour faire oublier les vraies victimes, celles des massacres qui avaient vraiment eu lieu. Et pour pouvoir devenir eux-mêmes des massacreurs aussi féroces que ceux qui ne les avaient en fait jamais massacrés. Les survivants de ce Grand Massacre imaginaire étaient donc à la fois des massacreurs et des imposteurs. Pour tout cela, ils méritaient d'être massacrés.