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Billet de blog 23 octobre 2020

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Le spectre de l'«islamo-gauchisme»

La notion confuse d’«islamo-gauchisme» ne permet en rien de comprendre la situation dans et hors de l’Université et n’aide en rien à combattre le fondamentalisme salafiste et le djihadisme. C’est en effet une notion-écran, un slogan fourre-tout propice à tous les amalgames.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

       Un spectre hante l'Université française : la secte redoutable des "islamo-gauchistes" l'aurait infiltrée et noyautée. C'est ce que prétendent certains médias depuis plusieurs mois. Ils ont été suivis par Emmanuel Macron qui déclarait en juin que des universitaires auraient “encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux”. Il révélait ainsi quelle conception il se fait de la recherche en sciences sociales, assimilée à l’exploitation opportuniste de “bons filons“.
       C’est désormais au tour de Jean-Michel Blanquer, sur Europe 1 le matin du 22 octobre : "Ce qu’on appelle communément l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’Université, quand une organisation comme l’UNEF cède à ce type de choses, quand dans les rangs de la France insoumise vous avez des gens qui sont tout simplement de ce courant-là et qui donc tout simplement favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène évidemment au pire. Regardez, dans cette affaire, ce n’est pas un assassin seul, c’est un assassin qui est conditionné par d’autres gens, en quelque sorte des auteurs intellectuels de cet assassinat."
       M. Blanquer est d’ailleurs coutumier de ce genre d’attaques. Lors de son audition devant le Sénat en juin dernier, il avait déjà évoqué "la perméabilité du monde de l’Université à des théories aux antipodes de la laïcité" et ajouté qu’"il y a des personnes qui ont consacré leur vie professionnelle entière à ces idéologies antirépublicaines". 
        De tels propos sont indignes d’un ministre de la République. Voilà un ministre de l’Éducation Nationale qui diffame l'Université (et “en même temps“ un syndicat étudiant et un mouvement politique d'opposition…). Ainsi, des militantes syndicalistes qui osent porter -de manière tout à fait légale- le foulard sont-elles stigmatisées comme des fanatiques islamistes. Des chercheurs qui étudient l’islam dans son histoire et son contexte social et culturel, ou qui analysent l’héritage post-colonial de la France sont désignés à la vindicte collective et quasiment accusés d’être des complices de l’assassinat ignoble de Samuel Paty.
        Il est temps de dire que la notion confuse d’"islamo-gauchisme" dont usent et abusent des polémistes médiatiques ne permet en rien de comprendre la situation dans et hors de l’Université et n’aide en rien à combattre le fondamentalisme salafiste et le djihadisme. C’est en effet une notion-écran, un slogan fourre-tout propice à tous les amalgames. Ainsi, un groupe comme le Parti des Indigènes de la République, dont l’idéologie racialiste doit être critiquée sans concession et de manière argumentée, n’est au sens strict ni “islamiste“ (il ne se réfère pas au Coran et ne cherche pas à imposer la charia), ni “gauchiste“ (il ne se réclame pas du marxisme et de la lutte des classes, ni d’une idéologie libertaire). Ajoutons que, sauf erreur, aucun chercheur universitaire ne se réclame de ce courant ultra-minoritaire.

Le terme "islamo-gauchiste" peut donner à ceux qui l’emploient l’impression d’être audacieux et transgressifs parce qu’il juxtapose des termes qui sont habituellement - et à juste titre- opposés, l’islamisme et le gauchisme. Il en allait de même jadis des expressions favorites des fascistes, comme le "judéo-bolchevisme". Bien entendu, cette prétendue audace cache une totale absence de pensée. Ceux qui se réclament de la gauche et l’emploient sans hésiter se rendent-ils compte qu’ils se font ainsi les idiots utiles du Rassemblement National ?

Il est temps de dire haut et fort que l'"islamo-gauchisme" universitaire n'existe que dans les fantasmes de l'extrême-droite et de ses relais médiatiques, et maintenant du président de la République et de ses ministres.

Il est temps que cessent ces attaques scandaleuses, avant qu’elles ne prennent la tournure d’une chasse aux sorcières.

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