"Monsieur" Rogozinski répond calmement au "camarade Makhno" au sujet du texte qu'il incrimine, écrit rageusement (et la mort dans l'âme) au retour de la désastreuse "manif anti-fasciste" du 22 mars dernier à Strasbourg, après avoir vu la petite centaine d'"antifa" présents exploser en trois tronçons divergents. Triste à pleurer. Tu me dis qu'ils étaient plus nombreux et plus unis le même jour à Bologne? A la bonne heure! mais cela ne règle pas le problème. Dans ce texte, je ne cherchais pas à "insulter" qui que ce soit, j'en appelais dans l'urgence à l'exigence de penser ce qui arrive, sans se contenter de formules toutes faites, comme tu le fais dans ta réponse.
Je n'ai jamais dit que les antifa sont des "imbéciles heureux", ni que leur combat serait inutile : au contraire, j'admire leur courage quand ils tentent de s'opposer à la marée brune qui ne cesse de monter en Europe. Bien entendu, je suis moi-même antifasciste, antiraciste, antisexiste, antihomophobe, etc. Mais je reste persuadé qu'un mouvement qui se définit de manière négative, comme anti-ceci ou anti-cela, avoue par là même qu'il n'arrive pas (ou n'arrive plus, ou pas assez...) à se déterminer comme puissance affirmative d'inventer et de créer. C'était déjà le cas de la "Ligue communiste révolutionnaire" quand elle a pris l'initiative de se rebaptiser "Nouveau parti anticapitaliste". Je ne dis pas qu'il faut s'accrocher désespérément aux anciens sigles et aux mots d'autrefois : ils ont fait leur temps et le moment est venu d'en inventer d'autres (de "tirer notre poésie de l'avenir et non du passé", comme disait le vieux Karl). Mais lesquels? Je n'ai pas de Science infuse, je ne prétends pas "avoir tout compris" : un philosophe n'est pas un Sage, n'est-ce pas? Je constate simplement que, pour l'instant, tous les mots nous font défaut. A commencer par celui de "communisme" : seules des belles âmes comme Badiou et Zizek peuvent se réclamer d'une pure "Idée du communisme" sans tenir compte du bilan mortifère du "communisme réel", c'est-à-dire des diverses variantes du stalinisme qui ont usurpé ce nom, en Russie, en Chine ou ailleurs. Que les fascismes historiques aient pris (en partie) le stalinisme pour modèle est une réalité que l'on a tort de dénier. Et je maintiens que le concept de "totalitarisme" -tel qu'il a été réélaboré par Arendt, Lefort, Castoriadis- reste pertinent pour penser ce qu'ont de commun ces deux mouvements. Réduire ce concept à un slogan réactionnaire de la guerre froide est un contresens qui interdit d'analyser la connivence du fascisme et du "commmunisme" stalinien. Puisque tu m'opposes l'"antistalinisme de gauche" de Sartre, je rappelle que la dénonciation du totalitarisme stalinien était au centre du projet de "Socialisme ou barbarie" dès les années 50, dans une perspective révolutionnaire et autogestionnaire, pendant que Sartre s'accrochait aux basques du PCF. Dernier point : la phrase de Brecht que tu cites ("le Fascisme n'est pas le contraire de la Démocratie, mais son évolution par temps de crise") est tout simplement stupide. Comme tous les staliniens, Brecht confond ici les régimes oligarchiques qui s'auto-proclament "démocratiques" (la "V° République française" en est une variante) et l'exercice effectif de la démocratie comme irruption des multitudes, requête d'une "part des sans-parts", d'un "pouvoir des sans-pouvoir".
avec mes amitiés fraternelles, malgré tout,
JR