Pare-feux : Ce thème était prévu de longue date, et trouve hélas encore aujourd’hui une actualité brûlante.
Quelques mots donc, d’un landais, après les incendies de juillet 2022 : Deux domaines relèvent de l’intouchable : les villes existantes, et les forêts, ou prétendues telles, qui peuplent nos pays. Entre elles, une répartition des rôles a donné aux unes le privilège de la « culture », quand les autres sont censées représenter la « nature ». Les incendies, depuis des années déjà, nous donnent la mesure de l’erreur que représente cette conception, spécialement dans le cas de la forêt de pins entre Gironde et Landes. J’ai grandi dans la terreur qu’avait suscitée le grand incendie de Saucats de 1949, où périrent 82 personnes. On m’apprit à comprendre l’utilité des larges bandes de 300 m ou plus, sans un pin, où apparaissait parfois la silhouette d’une bergerie de bois brun : pares-feux aujourd’hui en partie gommés par l’avidité humaine, et parfois recréés à la hâte lors des derniers incendies.
Dans ces territoires, voués depuis le second Empire au profit de quelques uns, le pin fut planté pour assécher les marais, réputés porteurs de malaria, et aussi, en bordure de l’océan, fixer les dunes de sable. Cette conquête de la Haute-Lande, territoire pauvre où, certes, les habitants se faisaient parfois naufrageurs, attirant et ensablant les navires par de fallacieuses torches, fut fêtée : le village de Solférino porte le nom, emblématique, d’une victoire militaire, ce qu’elle fut en effet, contre la plus grande zone humide de France. En relation avec la Trace 162, sur l’eau, on sait que les zones humides retiennent et ralentissent l'écoulement de l'eau. En période de fortes pluies, elles ralentissent les écoulements, atténuant ainsi les effets de crues en aval. L'eau ralentie, peut alors s'infiltrer et rejoindre les nappes souterraines, si l’alios le permet…
« La privatisation des communaux est acquise en 1857. A elles seules, les deux lois de 1857 et 1860 sur les communaux landais révèlent toute l'ambiguïté du régime impérial. L'assainissement de certains terrains est sans aucun doute une mesure sanitaire nécessaire, tout comme l'est la modernisation d'une agriculture locale ne pouvant sortir de l'auto-consommation. Pour autant, sur le plan social et économique, cette politique ne sert que les intérêts des notables et des grands propriétaires, qui très tôt tirent profit de la privatisation des biens communaux » :https://www.histoiresocialedeslandes.fr/landes_revolution.asp
« Les frères Péreire, banquiers du régime et déjà artisans de la ligne de chemin de fer Bordeaux-Bayonne, se rendent propriétaires de 10 000 hectares de landes qu'ils contribuent à mettre en valeur. Eux-mêmes encouragent le célèbre baron Haussmann, initiateur de la transformation de la capitale, à se rendre acquéreur d'un domaine en Gironde, à Cestas, où est développée la même politique » HSL . Haussmann que nous retrouverons bientôt (T171) : Tu vas voir, Raoul !
Il est des aménagements qui améliorent des rentabilités immédiates, comme souvent, au détriment d’un avenir plus compliqué… La vie autarcique que menaient les Landais, entre landes à brebis, et airials, peuplés de chênes , et où se cultivait le seigle, telle qu’on peut la voir à l’Ecomusée de Sabres, https://www.marqueze.fr/l-ecomusee-de-marqueze-landes/histoire-et-projet-de-l-ecomusee-de-marqueze.html , ne valait-elle finalement pas mieux que celle dans des territoires colonisés par les prétendues « coopératives » forestières, comme les a décrites Gaspard d’Allens dans « Main basse sur nos forêts » (2019) (voir T4) ? On y pratiquait, là aussi, des formes d’entraide, comme vues T160 et 161 : https://www.youtube.com/watch?v=s7aQ7x7hMd4
Colonisés, et désormais à la merci des « mégafeux », chaos climatique et sécheresse aidant, voilà les Landais d’aujourd’hui. Nous sommes partis dans ces deux Traces à la recherche de pares-feux pour les forêts comme pour les villes : dans les deux cas, un peu d’irrespect nous paraît le moyen pour manifester, paradoxalement, des égards plus ajustés, comme dirait Morizot.
Avant de revenir dans les Landes, un détour s’impose pour lire Joëlle Zask, et son beau livre : « Quand la forêt brûle – Penser la nouvelle catastrophe écologique. » (2019). L’histoire qu’elle rapporte des grands incendiaires que sont Henry Ford (6 millions d’hectares) et les compagnies d’huile de palme (2.6 millions d’hectares) est édifiante . Ici nous nous focaliserons sur les remèdes à apporter, presque tous liés à un retour de la présence humaine : « Cet essai propose de recourir au phénomène du mégafeu comme à un poste d’observation et à un « accélérateur d’opinion » en faveur d’une action commune pour la sauvegarde, non de la terre qui nous survivra, mais des conditions d’existence humaine. » JZ
De fait, Zask citera dans son ouvrage les Aborigènes australiens : « Les Yanyuwa, aborigènes d’Australie qui, depuis des siècles, pratiquent les feux dirigés et sont spécialistes de la pyrodiversité, possèdent une douzaine de termes pour désigner les différents types de feu. » JZ
Les Indiens, dont parlait aussi Anna Tsing dans « Le Champignon de la fin du monde » (Trace 100) : « La distinction, établie par Anna Tsing, entre le fonctionnement holocénique, ou « résurgence », favorable à l’essor des socialités qui se nouent entre des espèces très variées, et le fonctionnement anthropocénique, ou « plantation », qui subordonne les « biologies sauvages », via l’agriculture ou les pépinières industrielles, à des impératifs de maintien de la productivité, est ici pleinement opérante. » JZ
Zask en appelle à un regard transdisciplinaire : « Si l’on veut penser le phénomène des mégafeux d’une manière qui pourrait permettre d’en limiter la multiplication, il conviendrait d’adopter une démarche inter et transdisciplinaire qui mobilise non seulement géographes, botanistes, écologues, climatologues et pédologues, mais aussi anthropologues, forestiers, pompiers, usagers, riverains, agriculteurs et éleveurs, etc… » JZ
Les exemples peuvent être proches : «Exemple de la Corse : Entre la foresta et le bourg s’étendait une série de pare-feu d’autant plus efficaces que des brûlages dirigés étaient pratiqués chaque année à partir du village en descendant en espalier.» JZ
Ou lointains : « Les Amérindiens, qui étaient arrivés d’Asie il y a 15000 à 30000 ans, provoquaient des feux sur l’ensemble de leur territoire pour chasser, améliorer les récoltes, aménager des zones pare-feu ou des clairières, récolter certains insectes, lutter contre les nuisibles, faire la guerre, voyager. » JZ
Ils sont chaque fois porteurs d’une longue expérience : « Depuis 65000 ans les Aborigènes d’Australie, par exemple, façonnent et protègent sciemment leur environnement par le feu. /../ contrairement à ce que sont les feux agricoles ou de déforestation monofonctionnels dévastateurs, les feux aborigènes étaient subtils, maîtrisés, modérés, extrêmement diversifiés. Ils préservaient l’équilibre. » JZ
Relier nature et récoltes, est-ce possible ? (Voir prochaines Traces 172 et 173, sur l’agroforesterie) : « Le but des Jivaros Achuar n’est pas de transformer la forêt naturelle en « forêt récoltable », mais de relier nature et récoltes de telle manière que cultiver et veiller à l’écosystème forestier relèvent d’un seul et même acte. » JZ
Donc, en conclusion , multiplier les zones cultivées : « Une politique cohérente de prévention de mégafeux préconiserait donc, bien au-delà des feux d’entretien qui ne sont pas toujours nécessaires, d’exploiter les forêts, d’y introduire de troupeaux, d’y pratiquer des coupures, d’ouvrir les milieux en multipliant les zones cultivées, de valoriser des productions directes et indirectes, diversifier les forêts au lieu de les livrer aux monocultures et de rétablir leur vocation multifonctionnelle. » JZ
Faisant retour dans les Landes, nos propositions seront :
Oublier Macron, et son appel à l’ONF, qu’il a contribué à détruire, pour replanter des zones, à 85 % privées, donc hors de la mainmise de l’ONF, sans dire quoi replanter et où ? Imbécile !
Ensuite, envisager des pare-feux habités, aussi larges qu’il sera nécessaire, et basés sur les cultures déjà en présence, vignes, et asperges, éliminant le maïs irrigué qui envahit ces zones (Voir Trace 162, avec Emma Haziza ).
Enfin, me basant cette fois sur ma propre expérience de ces lieux mystérieux, enchanteurs et richissimes en flore et en faune que sont les ripisylves de la Leyre et de ses affluents, dont l’Escamat, décoloniser les Landes à partir de ses cours d’eau, y restituer feuillus, zones humides, … reconquérir cette Orénoque.
Oui, décoloniser ! Citons Julien Aldhuy, et son passionnant texte : « La transformation des Landes de Gascogne (XVIIème-XIXème siècles), de la mise en valeur comme colonisation intérieure ? » (2010) : « Henry Ribadieu (1859) va chercher l’inspiration Outre-Atlantique lorsqu’il affirme que les Landes « sont 40 lieues de désert plus inconnues que les savanes lointaines du Missouri, ou que les solitudes de l’Afrique Centrale [et que les bergers] sont les Arabes ou les Indiens de nos landes ». Mais tout n’est pas perdu puisque « ce grand désert sablonneux, le Sahara de la France, attend leur dépouille, et doit recouvrir bientôt ces derniers sauvages destinés sans doute à disparaître. La civilisation, en effet, les chasse devant elle, comme fait aux États-Unis, la colonisation américaine ». JA
Mépris bien propre aux plus grands bénéfices, on le sait. D’un territoire colonisé à un autre, prochaine étape, la Catalogne.
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