Je vous parlerai maintenant des incendies à partir de ma vie de Port-Vendrais, durant un quart de siècle. On s’interroge, à la suite de Strabon, sur l’origine du nom « Pyrénées », qui pourrait être associée aux feux que voyaient les navigateurs Grecs, et qui provenaient sans doute des techniques de feux dirigés dont parlait Joëlle Zask dans son livre (voir Trace 170). C’est dire que le feu y a une longue histoire. Ma présence à moi dans les lieux commença avec l’incendie du Cap Béar de 1994, Cap Béar qui fut encore incendié en 2021 : nous en reparlerons.
La forte présence de chêne-liège, qui résiste aux incendies grâce à son écorce très isolante, atteste d’une certaine sélection. Chênes verts, cades, châtaigniers, pins, … sont moins heureux. La garrigue de cistes, myrte, pistachiers-lentisques,… est encore plus prompte à prendre feu. J’ai eu l’occasion de participer en 1995 au dessin d’une tour d’observation des pompiers au Pic Boularic, au-dessus de Céret, bizarrement occupée seulement de jour, quand la plupart des départs d’incendies sont d’origine humaine, et nocturnes.
Lors de l’incendie de 2021, comme souvent, ce fut la vigne, celle de mon ami vigneron Jean Marc, qui permit de sauver du feu quelques maisons, du propre aveu du capitaine des pompiers. Aussi dresserai-je ici un éloge des vins de Collioure, tout en appuyant cette défense sur de solides raisons de sécurité incendie.
Suivons Eric Rouvellac, dans « Le terroir, essai d’une réflexion géographique à travers la viticulture » (2013) :
« La particularité de la vigne luttant contre le risque d’incendie : Les vignobles ont rencontré au cours du temps une autre sorte de crise surtout en milieu méditerranéen : les incendies. En été le climat étant très ensoleillé et les sols arides, les feux de forêt, de garrigue ou de maquis très secs peuvent vite se propager, la végétation restant particulièrement inflammable sur des espaces où dominent les séries du chêne vert et du chêne liège. En effet, nous nous sommes focalisés ici sur un de nos terrains de recherches actuel, le vignoble de Banyuls-Collioure, à l’extrémité sud-est des Pyrénées orientales, au contact direct de la mer Méditerranée. Trois des quatre communes qui l’abritent (Banyuls, Collioure et Port-Vendres) présentent l’avantage d’avoir été étudiées sous l’angle du risque incendie par J.F. Galtié. La zone a été touchée par des incendies importants, à l’échelle de ces trois communes qui représentent près de 6000 ha, dans un contexte de forte patrimonialisation due à la fois aux vins produits et aux aménagements en terrasses et au réseau de drainage donnant un cachet exceptionnel aux paysages locaux. Le tout repose dans une pression touristique et immobilière très forte. Ces grands incendies sont par exemples celui de 1986 qui a ravagé 1500 ha, dont la forêt communale de Banyuls, celui de 2000 qui a ruiné 500 ha ou celui de 2006.. Il s’est mis alors peu à peu en place une politique de gestion du risque incendie avec le service de Défense des Forêts contre l’Incendie (DFCI), qui a pour mission d’aménager les vignobles pour lutter contre le feu. D’autant plus que le vignoble de Banyuls est inscrit dans une liste européenne d’appellations pouvant demander des crédits pour réhabiliter les terrasses et le système de drainage qui le caractérise. D’après les études de J.F. Galtié, le risque d’incendie annuel moyen (rapport entre la surface combustible et la surface moyenne incendiée par année, en %) a été évalué et rapporte un « risque très élevé » (4,9) pour l’ensemble du vignoble avec dans le détail un « risque moyen » (1,8) pour Collioure (107 incendies pour 498 ha parcourus par le feu), un «risque très élevé » (4) pour Banyuls sur Mer (143 incendies/3744 ha) et « risque exceptionnellement élevé » (9.6) pour Port-Vendres (79 incendies/3684 ha). Eléments structurant de l’espace banyulenc, les terrasses (Voir Traces 95) constituent un support de production, de lutte anti-érosive et de régulation hydrique par l’écoulement de surface et le stockage temporaire par infiltration. A ces titres, elles influencent directement le phénomène incendie. A l’état d’exploitation, elles accroissent la porosité et le fractionnement de la couche combustible rendant la propagation de l’incendie moins efficiente ; à l’inverse, à l’état d’abandon, elles influent sur l’état biologique du combustible (sécheresse) et favorise le développement de la charge combustible et l’apparition d’incendies plus sévères et de maîtrise plus complexe.
L’objectif affiché au lendemain des incendies de 1978 et 1986 privilégie le cloisonnement et l’accessibilité du massif. Les incendies d’août 1983 (780 ha de reboisement brûlent à Banyuls) et juin 1986
à Port-Vendres (200 ha de reboisement détruits) ont montré le défaut majeur de ces plantations de reboisement : composées essentiellement de résineux, elles constituent un excellent combustible, puis destinées à réduire le risque d’érosion, elles accroissent le risque d’incendie. C’est pourquoi au cours des années 1990 se met en place un projet agroenvironnemental avec un développement de « vignes pare-feu ». Lancée par les services de l’Etat, l’expérimentation pilote de ces nouvelles vignes quasiment INCOMBUSTIBLES devrait permettre de limiter la propagation de l’incendie et sa rentabilité
économique devrait garantir sa longévité. Une piste DFCI est créée qui monte en lacets serrés sur le versant, elle est réalisée pour canaliser l’écoulement des eaux de ruissellement, et entre les lacets de la piste sont réalisés des travaux sommaires d’aplanissement du sol. Pour les viticulteurs, la mise en place de cultures pare-feu constitue donc une mesure d’accompagnement non négligeable à la création de nouvelles parcelles, d’autant plus que les parcelles coupe-feu sont conçues pour être aisément mécanisables car elles sont faciles d’accès grâce aux pistes. Contribuant à un certain renouveau du vignoble, les vignes pare-feu constituent un excellent moyen de contrer, ou au moins compartimenter le risque de l’incendie. » ER
Ce que confirme en son langage Christophe Olive , commandant et conseiller technique feux tactiques et brûlages dirigés dans le département des Pyrénées-Orientales : « Quand un feu se déclare, je me rends sur place en étudiant les cartes, la topographie pour comprendre la situation et les enjeux et voir comment on peut s’appuyer sur ce que dame Nature nous offre pour lutter contre les flammes » Ce qu’offre dame Nature, ce sont souvent les cultures et en particulier, en zone méditerranéenne, la vigne, un des meilleurs éléments pyrorésistants qui soit. » CO
Donc, pour lutter contre les incendies, boire du Collioure, vous m’avez compris.
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Avant de conclure sur les pare-feu, Paris, où je n’ai jamais vécu, ce qui me donne tout de même le droit d’en parler ! Parlons pare-feu urbains, donc.
Ainsi que l’écrivait Brigitte Fontaine :
« Il fait froid dans le monde/ Il fait froid /Il fait froid
Ça commence à se savoir/ Ça commence à se savoir
Et il y a des incendies / Qui s'allument dans certains endroits
Parce qu'il fait trop froid » Brigitte Fontaine, Comme à la radio (1969)
https://www.youtube.com/watch?v=Tn_Nk_rAAaA
Et le feu prend, comme à Los Angeles en 1965, en mai1968, ou à Paris en mars 2019. Je ne vous dis pas la suite…Que faire ? Comment métamorphoser ces boulevards où seuls les panneaux publicitaires et les vitrines du néo-libéralisme prétendent nous tirer de l’ennui mortel qui s’est répandu sur les 64.5 km aménagés par le baron Haussmann : bruit, pollution, consommation, misère…. Coloniser Haussmann, lui qui a bien profité de la colonisation des Landes (Voir T 170), c’est ici notre moyen de lutte anti-incendies.
En 1987, j’ai eu la chance de rencontrer Oscar Hidalgo, éminent spécialiste du bambou (voir Traces 194 et 195 à venir). Il ponctuait toutes ses phrases de : « Madera, no ! Bambu, si ! ». (Le bois, non, le bambou, oui) J’opposerai bien cet Hidalgo à l’autre, qui prétendait planter 5 forêts à Paris. Des arbres plantés ne font pas une forêt, d’abord. Ensuite le sous-sol ne le permet pas, voir par exemple celui de la place de l’Opéra.
Ma modeste proposition : planter les 64.5 km haussmanniens, seulement ceux-là, et pas les 1600 km des autres rues parisiennes, planter 110 hectares environ donc, de bambous, une fois ôtés bitume et pavés. Le bambou, invasif, fera le reste. Cheminer entre eux, à pied ou en bicyclette, parmi perroquets et singes hurleurs, orchidées et bananiers, donnera lieu à des rencontres fabuleuses : à quoi servirait sans cela une ville ? Car la lenteur (Traces 29,30, 89 et 90) règnera enfin en maîtresse des lieux, et pas d’amour sans lenteur. Des sentes se créeront, place de la République, ou place de la Nation, spontanées et sinueuses, des lignes d’erre .
Toutes habitudes seront perdues pour toujours. Réinventer Paris, certes non, mais nos vies là-dedans, oui. Les boutiques, délaissées, fermeront. La vie reprendra. Paris, enfin, ne sera plus toujours Paris ! Ouf !
Flaubert l’avait d’ailleurs écrit : « Paris deviendra un jardin d'hiver ; espaliers à fruits sur le boulevard. » « Bouvard et Pécuchet » (1881)
Voyez : nous n’avons en fait parlé ici qu’agroforesterie, thème est aussi porté par Emma Haziza, (Trace 162) quand elle nous parle d’eau. Venons-y.