Bastides : suite : urbanisme et démocratie
« Ces nouvelles communautés sont établies sur la base d’une charte octroyée par le ou les suzerains fondateurs et qui détermine préalablement les droits et obligations des habitants et en particulier celui de s’administrer librement notamment avec un consulat. Le plan de la ville est préalablement tracé avant que les lots soient commercialisés auprès des populations alentour invitées à rejoindre un projet fondé notamment sur l’égalité … »W
« Toutefois si le plan de la bastide est délimité, fini, et qu’il comporte deux axes majeurs qui débouchent sur des portes parfois fortifiées ou signifiées par une construction soignée, la place centrale ne se trouve pas traversée par les voies majeures qui lui sont tangentes. Il y a donc là un décalage significatif qui a pour conséquence que la place n’est pas un croisement ni un carrefour mais un espace à part entière au même titre qu’un îlot à construire. »W
Les halles ne sont pas prévues initialement : elles seront construites durant les siècles suivants.
Il faut souligner que c’est la guerre de Cent Ans (1337-1453), qui marquera le début de la construction des remparts autour des bastides, qui en étaient dépourvues.
Par ailleurs, certains plans comprenaient, derrière les maisons, des jardins, reliés entre eux par une venelle, comme ceux que signale Thomas More dans les villes d’Utopie.(Traces 17)
Comment faire face à une urgence de construire ?
« Les premières constructions sont en bois qui est abondant à cette époque et moins coûteux que la pierre. Cela permet aussi de répondre aux délais de construction. Les nouveaux habitants (ou poblans) qui s'installent dans la bastide ont en général un an pour construire leur maison, pour inciter les nouveaux venus à s'installer durablement. »
« Les 8 m de largeur de façade sur rue sont dus au fait qu'il s'agit de la portée économique maximale d'une poutre en bois. »W
Un matériau choisi pour sa rapidité de mise en œuvre et son coût : le bois
Rationalité des trames selon essence des bois et provenance : à Montbrun Bocage où je refis quelques toitures, c’était plutôt 4.50 m.
« La bastide fonctionne comme un lotissement au sens contemporain du terme avec un plan masse et un règlement pour la construction qui doit être effectuée dans un temps donné. Pour ce faire, ont été inventés les andrones (ce sont les espaces de quelques dizaines de cm entre les maisons)
: Leur fonction est de permettre la construction des bâtiments indépendamment les uns des autres en évitant le recours à la mitoyenneté et l’attente d’un éventuel riverain. »W
Un urbanisme égalitariste :
« Certaines règles d'implantation très précises doivent être respectées comme l'alignement de la façade avant sur la rue, la présence d'un étage en plus du rez-de-chaussée ou encore la nécessité de laisser un androne. Autour de la place, il est imposé un couvert, des arcades.
Le plan de la bastide présuppose une volonté délibérée sur la nature même de la société qu’il entend accueillir et développer. Initialement, le plan ne prévoit pas l'implantation d'une église. L’espace urbain, à défaut d’être laïc est neutre. Tous ces avantages donnés aux habitants, l'égalité pour ce qui est de la distribution des terres et la quasi-égalité juridique dont bénéficient les nouveaux bourgeois peuvent faire apparaître les bastides comme des terres de liberté et d'égalité »W
« Si les hommes et les femmes ont des statuts différentiés, on remarque que les femmes possèdent une pleine capacité juridique dès lors qu'elles sont chef de famille (veuves): elles contractent, achètent, vendent, …, votent pour élire les consuls. »W
Laïcité, égalité sociale, égalité sexuelle ? Non, certes, mais de quoi l’inscrire dans les faits…
« Les bastides sont dotées d'une administration "paritaire" octroyée par les féodaux, seigneurs et/ou abbés. C'est là une façon d'anticiper les revendications du "mouvement communal" qui est né avec les revendications des tenants des anciennes guildes de gérer eux-mêmes la cité dès le XIème siècle. »W
La création des bastides apparaît bien là comme une réponse à un mouvement, et pas seulement à l’initiative des différents souverains : une urgence sociale, mise au service de contraintes géo-politiques.
« La gestion de la bastide relève à la fois des représentants du pouvoir féodal et des habitants à savoir :
- les consuls : Leur renouvellement se fait soit par cooptation, c'est-à-dire par le vote des consuls précédents, soit par le suffrage universel, mais à deux niveaux. Les consuls forment un conseil, et sont chargés de l'administration de la cité, de sa mise en défense, de ses réparations et de ses améliorations.
- les jurés, plus particulièrement chargés de la basse justice et de la police, qu'il s'agisse de la voirie ou des métiers,
- le bayle, représentant de l'autorité seigneuriale, ecclésiale ou royale selon l'origine de la bastide, est chargé de faire respecter les décisions prises au nom de l'autorité dont il dépend.
La nomination des consuls et du bayle s'accompagne d'une cérémonie officielle, au cours de laquelle les nouveaux représentants de la population prêtent serment devant elle, s'engageant à servir la communauté et ne recevoir aucun avantage de leur fonction. »W
« L’air de la ville rend libre dit le dicton de l’époque. L'incitation faite aux familles environnantes pour venir s'installer dans les bastides se concrétise avec l'octroi de liberté pour les serfs, chose exceptionnelle à l'époque. Il faut aussi y ajouter un droit de propriété ce qui permet aussi d'asseoir le développement économique en sécurisant la jouissance des locaux et leur gratuité. » W
« Il est remarquable que les bastides aient été en constante évolution du point de vue des constructions tout en respectant les éléments urbanistiques de base : la trame urbaine et aussi le parcellaire, ce que Philippe Panerai appelle la « persistance typologique ». Cela traduit, entre autres, l'intérêt d'un tel modèle qui a su rester flexible en conservant l'essentiel.
Deux questions se posent :
Quelles sont les raisons du maintien d'un tel modèle quelque peu contraignant à travers plus de huit siècles alors qu'aujourd'hui on détruit grands ensembles et lotissements construits après la Seconde Guerre mondiale ?
Que reste-t-il de la philosophie qui a prévalu à la création des bastides ? »W
Et surtout, en ce qui nous concerne : une telle expérience peut-elle nourrir une réflexion pour une politique volontariste de construction et d’accueil ?
Nos utopistes, More et Campanella, évacuaient la question de la propriété privée.
Ici la propriété s’acquiert par le travail de construction d’une maison : de serf, on devient bourgeois, au sens premier, médiéval, du terme.
Nous allons interroger cette notion de propriété…