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Billet de blog 2 février 2025

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Trace 428- Subsistance 1

Les livres de Geneviève Pruvost, (Traces 337 à 339) et d’Aurélien Berlan, (383 à 385), jalons importants dans notre parcours, nous ont fait connaître la pensée de Maria Mies et Veronika Bennholdt- Thomsen sur la subsistance. Soucieux d’en savoir plus, nous abordons aujourd’hui « LA SUBSISTANCE – UNE PERSPECTIVE ECOFEMINISTE » (1997- trad. 2022)

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Les livres de Geneviève Pruvost, (Traces 337 à 339) et d’Aurélien Berlan, (383 à 385), jalons importants dans notre parcours, nous ont fait connaître la pensée de Maria Mies et Veronika Bennholdt- Thomsen sur la subsistance. Soucieux d’en savoir plus, nous abordons aujourd’hui « LA SUBSISTANCE – UNE PERSPECTIVE ECOFEMINISTE » (1997- trad. 2022)

Le livre est illustré à chaque chapitre par de nombreux récits ou interviews de paysannes. En un sens, d’un côté il ne perd jamais le contact avec la terre,  ce qui fait une partie de sa valeur, de l’autre il garde les yeux ouverts sur le monde entier, de par les nombreux voyages des autrices.

Toutes les citations sont extraites du livre.

AVANT-PROPOS A L’EDITION FRANÇAISE, (2022) par Veronika Bennholdt- Thomsen.

Qu’il ait fallu 25 ans pour traduire finalement le livre n’ôte rien à son actualité brûlante : « Au cœur de cette réflexion, il y avait la question de savoir à quoi pourrait ressembler une autre économie, permettant aux êtres humains, aux hommes comme aux femmes, d’ici et d’ailleurs, de mener une vie bonne, une vie libre, et de pouvoir à nouveau gérer l’oikonomia (l’économie domestique) au quotidien comme ils l’entendent, en subvenant à leurs propres besoins…. De nos jours, presque tout le monde s’accorde à dire qu’il faut repenser notre civilisation de fond en comble, que c’est une nécessité vitale.  « La subsistance » est notre contribution à ce débat…La spécificité de notre approche théorique est de tenir ensemble la question féministe, la question écologique et la question économique.

Depuis 25 ans, la mainmise sur le vivant s’est accentuée : « Dans le cadre de la mondialisation, la libération des femmes à l’égard du contrôle patriarcal commence, selon Vandana Shiva, par la maîtrise des semences. »

C’est un changement de perspective : « La perspective de la subsistance  consiste à regarder le monde par en bas, depuis la vie quotidienne, et non par en haut, depuis les instances de pouvoir qui manipulent l’opinion dans le seul but de se perpétuer. »

INTRODUCTION

A Hillary Clinton venue s’enquérir de leur sort, les femmes bangladaises renvoient la question : « Les femmes de Maishahati se regardèrent et murmurèrent : « Pauvre Hillary (Clinton) ! Elle n’a pas de vache, pas de revenu personnel et elle n’a qu’une fille. » Pour Mme Clinton et la plupart de ses sœurs riches du Nord, une vie bonne ne peut se fonder que sur beaucoup d’argent et une abondance de marchandises …. Pour elles, tous les autres modes de vie relèvent de la misère.

Il ne s’agit pas seulement d’un jeu de paroles, mais bien de vies en action : « Les femmes du Bangladesh nous enseignent que la mise en œuvre de la perspective de la subsistance ne dépend pas en premier lieu de l’argent, de l’éducation, du statut ou du prestige, mais de la maîtrise des moyens de subsistance : une vache, quelques poulets, des enfants, de la terre ainsi que quelques revenus indépendants. »

Un des messages essentiels du livre est bien « qu’assurer sa subsistance, ce n’est pas seulement travailler dur et vivre en marge de l’existence conventionnelle : il s’agit d’une source de joie, de bonheur et d’abondance. »

Livre radical, s’il en est : « Si le souci principal de toute activité économique et sociale n’est pas l’accumulation d’argent mort, mais la création et le maintien de la vie sur terre, rien ne peut rester en l’état. »

CHAPITRE I – HISTOIRE DE LA PERSPECTIVE DE LA SUBSISTANCE

Analysant l’histoire, depuis les enclosures à aujourd’hui, les autrices concluent : « La division sexuelle du travail, la division entre travail salarié et travail à domicile, travail public et travail privé, production et reproduction, n’a pu se mettre en place qu’avec la naturalisation (c’est-à-dire la qualification de « naturel ») du travail des femmes. »

Elles soulignent le paradoxe : « Comment en est-on arrivé à une telle aliénation entre les individus et leur travail, au point où la chose la moins vivante qui soit, l’argent, est désormais considérée comme la chose vitale, tandis que notre propre travail de subsistance, qui permet la vie, est vu comme une activité mortifère ? »

Dans « Le travail fantôme », « Ivan Illich affirmait déjà en 1981 que la véritable guerre menée par le capital n’est pas la lutte contre les syndicats et leurs revendications salariales, mais bien la guerre contre la subsistance. CE N’EST QU’APRES AVOIR DETRUIT LA CAPACITE DE SURVIE DES GENS QU’ILS DEVIENNENT TOTALEMENT ET INCONDITIONNELLEMENT SOUMIS AU POUVOIR DU CAPITAL. »

Entre subsistance et marchandises, le compte est vite fait : « Sans production de subsistance, pas de production de marchandises : mais sans production de marchandises, la production de subsistance perdure….La production de subsistance ou production de la vie inclut tout travail servant à la création, à la perpétuation et à l’entretien direct de la vie sur Terre et qui n’a pas d’autre objectif que lui-même. C’est pourquoi la production de subsistance s’oppose à la production de marchandises et de plus-value. »

Prééminence absolue de la vie : « La vie doit toujours être ajoutée au capital pour le rendre tangible et vivant. L’argent qui « engendre » plus d’argent par lui-même est un mythe. »

Il ne tient qu’à chacun de nous : « Les changements nécessaires à une perspective de subsistance ne présupposent pas d’avant-garde politique….Ces changements peuvent être initiés par chaque femme et chaque homme, ici et maintenant. »

CHAPITRE 2 – MONDIALISATION ET SUBSISTANCE

Parlons patates : « Quiconque, face à un scénario apocalyptique, continue à parler de vie, de pommes de terre, de subsistance, d’espoir, d’avenir, de perspectives, doit être attaqué comme l’ennemi à abattre. »

Je ne sais pourquoi ceci me fait penser au couple Trump-Musk : «  L’obsession de la toute-puissance et le sentiment d’impuissance politique sont les deux faces de la même médaille. »

L’accumulation primitive n’en finit pas : « Rosa Luxembourg a montré que l’accumulation du capital présuppose l’exploitation de milieux non capitalistes toujours plus nombreux pour s’approprier toujours plus de travail, de matières premières et de marchés. C’est pourquoi nous disons que le système capitaliste a besoin de cette accumulation et de cette colonisation continues. »

Tentons d’imaginer ce triangle : « Nous avons représenté l’économie patriarcale capitaliste sous forme d’un iceberg. Nous avons commencé à comprendre que les théories dominantes sur le fonctionnement de notre économie, y compris le marxisme, ne s’occupaient que de la partie émergée de l’iceberg, à savoir le capital et le travail salarié. La partie immergée de cet iceberg était invisible, en particulier le travail domestique non rémunéré des femmes, les soins et la nourriture qu’elles procurent, ou, comme nous l’avons appelé à l’époque, la production de la vie ou production de subsistance. »

Plusieurs fois les autrices soulignent le lien entre les semences et leurs gardiennes : « Les grandes entreprises de bio-technologie cherchent à obtenir le monopole de la maîtrise de toute forme de vie, qu’elle soit végétale, animale, ou même humaine, en particulier dans le Sud. Cela affectera particulièrement les femmes, garantes de la préservation des semences dans de nombreux pays. »

Risquons une analogie entre le capitalisme comme il s’est développé au XIX° siècle et les machines thermiques, de la même époque, qui  restent en mouvement tant qu’une différence de température entre une partie chaude et une partie froide existe : « L’économie capitaliste mondialisée ne peut croître qu’à la condition de maintenir et de recréer des inégalités à la fois au sein même des pays et entre les différents pays à l’échelle mondiale. »

Les institutions internationales ne protègent rien de ce qui peut favoriser la subsistance, elles l’attaquent : « Les accords du GATT (1986) comportent une clause concernant les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic). Derrière cet acronyme se cache surtout l’intention des riches nations industrielles et de leurs multinationales d’accéder librement à la diversité génétique des pays tropicaux du sud et aux savoirs traditionnels des communautés locales concernant les végétaux, les animaux, la terre et la santé… C’est se tromper de route que d’attendre la sécurité alimentaire d’institutions, d’intérêts et de théories qui ont tant œuvré à sa destruction. »

L’autosuffisance est un obstacle aux profits des firmes : « La vraie nature des échanges sur le marché agricole mondial : Pour que certains pays et multinationales réalisent leurs avantages comparatifs et absolus, il faut mettre un terme à l’autosuffisance des populations dans d’autres régions. »

Firmes contres lesquelles les Etats sont impuissants : « Si les trous dans les budgets des Etats sont scandaleux…. C’est parce que les Etats-nations ne voient aucune possibilité de limiter la liberté dont jouissent les banques, les entreprises et les spéculateurs dans les transferts de capitaux sur les marchés mondiaux. »

Face à cela : « La véritable satisfaction dépend toujours d’une activité qui vient de soi, que l’on pourrait dire « autogénérée » et pas d’une activité dictée de l’extérieur… Si nous trouvons du sens à notre travail, aux choses que nous produisons, si le travail ne se résume pas à un travail salarié aliéné, le caractère prétendument illimité de nos besoins diminuera de manière drastique. »

Si le travail des femmes est invisibilisé, notamment par les indices économiques : « Marilyn Waring a montré que la plus grande partie du travail effectué sur cette planète ne figure pas dans les PIB et PNB, à savoir le travail des femmes au foyer et des mères, le travail de subsistance des paysans et des artisans, l’essentiel du travail du secteur informel, surtout dans les pays du Sud, et bien sûr l’activité de Mère Nature qui se régénère elle-même. »

On peut légitimement se demander : « A quoi ressemblerait une économie dans laquelle la nature, les femmes, les enfants, les gens compteraient ; une économie qui ne reposerait pas sur la colonisation et l’exploitation de l’autre ? »

CHAPITRE 3 – SUBSISTANCE ET AGRICULTURE

Vérités fondamentales : « Le patriarcat capitaliste voudrait nous faire oublier nos véritables origines pour les remplacer par l’argent, le capital, les machines et les investissements financiers. Nous devons donc rappeler ces vérités fondamentales : la vie vient des femmes et la nourriture vient de la terre. »

Or, malheureusement : « La destruction des sols dans le monde entier est attribuée au fait que la terre est traitée comme n’importe quelle matière première utilisée dans l’industrie. A cause de l’érosion des sols, depuis 1960, il y a une perte de presque un tiers des terres arables dans le monde. »

Quand, aujourd’hui, de plus en plus, le pouvoir encourage une agriculture technologique, à renfort de drones et d’intelligence artificielle « En réalité, contrairement à ce qui est souvent supposé, la faim est une conséquence de la technologisation de l’agriculture. Les surplus de céréales américaines, prétendument utilisés pour soulager la famine, ont détruit le marché indigène du mil des paysans africains. »

Comme vu dans la Trace 167, sur la démographie  « L’idée qu’une agriculture mixte à petite échelle est incapable de nourrir le monde est un mensonge délibéré. »

En Allemagne, comme en Sabine (voir Traces 413 à 41) : « Les paysages que nous aimons tant (les landes, les prairies, les champs ceints de haies ou de fossés) sont les produits de l’agriculture et non d’une nature intacte comme se l’imaginent naïvement certains des défenseurs de l’environnement. »

Le point de vue de Mies et Bennholdt est féministe : « Notre principale contribution au débat sur l’économie et la culture paysannes consiste à affirmer que la position sociale accordée aux paysans depuis le début des temps modernes est semblable à celle des femmes vues comme des femmes au foyer. »

Et parle, comme celui d’Aurélien Berlan,(Traces 383 à 385) de joies : « Certes, il est vrai que les paysannes devaient travailler dur, mais il est aussi vrai qu’elles prenaient leur vie en main. Et ce n’est pas la moindre des raisons pour laquelle joies et tourments sont liés de façon aussi intime dans la production de subsistance. Le travail, surtout quand on en est maîtresse, peut être une grande source de satisfaction et de réalisation de soi. »

En 1962, Pierre Bourdieu écrivait déjà sur « Célibat et condition paysanne », mais : « A notre avis, la persistance du patriarcat est sans doute le principal problème des fermes aujourd’hui….Contrairement aux idées reçues, rien ne condamne la paysanne à occuper une position subordonnée à celle du paysan. En d’autres temps et d’autres cultures, la division du travail revêtait des formes totalement différentes. »

 Les témoignages recueillis aujourd’hui en Sabine mettent eux aussi l’accent sur le poids des assurances : « Il y a aussi tout un ensemble d’assurances obligatoire auxquelles il faut souscrire… »

Assurances qui ont su profiter des jours heureux, mais qui nous abandonnent aujourd’hui face au réchauffement climatique et à ses effets : «  Sans politique réelle de lutte contre le réchauffement, le monde risque de ne plus être assurable. » Martine Orange pour Médiapart.

https://www.mediapart.fr/journal/international/180125/avec-les-incendies-los-angeles-la-question-de-l-existence-meme-des-assureurs-est-posee

Loin de se résumer à une question de produits, les changements attendus sont avant tout sociaux et politiques : « L’agriculture biologique repose essentiellement sur l’idée purement technique de se passer de pesticides et de produits chimiques ; la question de l’organisation sociale de la production est jugée sans importance…Pour nous, la perspective de la subsistance consiste à décoloniser les trois colonies du capital : la nature, les femmes et le Sud. »

Nous reprendrons bientôt notre lecture de ce livre important.

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