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Billet de blog 2 mars 2025

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Trace 172-Agroforesterie 3

« L’agroforesterie est née, avec la prise en considération des connaissances coutumières et locales des peuples de la forêt, « seuls êtres humains qui aient réussi à exploiter la forêt sans la détruire » pour Francis Hallé. On retiendra que, dans cette histoire, CE SONT LES TROPIQUES QUI ONT DONNE UNE LEÇON AU MONDE TEMPERE. » Emmanuel Torquebiau

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Bien des lectures que nous avons eues ici ont fait miroiter l’agroforesterie comme LA solution pour résoudre les difficultés concernant l’équilibre des sols, ou les déséquilibres hydriques. Qu’en est-il ? Que pouvons-nous espérer réellement de cette pratique ? Un livre, d’Emmanuel Torquebiau, chercheur dans le domaine depuis 40 ans, nous  aidera à y voir plus clair : « Le livre de l’agroforesterie – Comment les arbres peuvent sauver l’agriculture » (2022). Dans un second temps, nous irons voir des paysages existants, et ceux qui les font avec Jean-Loup Trassard : « L’homme des haies » (2012).

Le livre de Torquebiau s’ouvre sur une belle phrase de Lanza del Vasto, qui situe bien l’enjeu : « On n’apprend pas à danser dans un livre » Dont acte. Les observations de Francis Hallé à Java, entre autre, sur les forêts cultivées, ont contribué à la naissance d’une science, enfin aujourd’hui reconnue : « L’agroforesterie est née, avec la prise en considération des connaissances coutumières et locales des peuples de la forêt, « seuls êtres humains qui aient réussi à exploiter la forêt sans la détruire » pour Francis Hallé. On retiendra que, dans cette histoire, CE SONT LES TROPIQUES QUI ONT DONNE UNE LEÇON AU MONDE TEMPERE. » ET

Définition : « Utilisation du sol consistant à associer des arbres à l’agriculture ou à l’élevage afin d’obtenir des productions ou des services utiles au vivant. » ET

Les contributions de l’agroforesterie :

 Le sol, en matière de carbone : « D’une manière générale, le taux de carbone du sol est corrélé à la complexité du système : plus ce dernier est complexe  (mélange d’espèces de différentes dimensions), plus il y a de carbone.… Rémi Cardinael a évalué le potentiel de l’agroforesterie pour stocker du carbone dans le sol. Les résultats montrent une différence de 25% lorsqu’on passe d’une culture annuelle à l’agroforesterie, une diminution de 11% lorsqu’on passe de la forêt à l’agroforesterie. » ET

Mais aussi en matière de nutriments : « Des arbres bien enracinées peuvent fonctionner selon un mécanisme de « pompe à nutriments », consistant à atteindre des éléments nutritifs en profondeur, jusqu’au niveau d’altération des roches, puis à les remonter à la surface par l’intermédiaire de la décomposition des feuilles et des racines. » ET

Et l’eau : « On a également montré que les racines des arbres améliorent la structure du sol et sa porosité, facilitant ainsi l’infiltration de l’eau, réduisant les risques de ruissellement et d’érosion, et augmentant la réserve en eau du sol…. A l’échelle mondiale, l’irrigation agricole est responsable de près de 70% des prélèvements d’eau douce. L’agroforesterie peut réduire l’érosion du sol de près de 50% en comparaison de monocultures. »

Ce qui explique que : « Le GIEC a recensé l’agroforesterie comme faisant partie des options dignes d’intérêt pour l’adaptation au changement climatique. » ET

Plus qu’une invention, l’agroforesterie est une redécouverte : « En France, il n’est pas si lointain le temps où l’on enseignait l’équilibre « agrosylvopastoral » : Emile Cardot  écrit le «Manuel de l'arbre pour l’enseignement sylvo-pastoral dans les écoles - l'arbre, la forêt et les pâturages de montagne » (1907) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65812137.texteImage#

Le «  Manuel de l’arbre » sera suivi en 1913 par le « Manuel de l’eau » d’Onésime Reclus : « Pas d’arbres, pas d’eau ! » » ET

Quelques pratiques  sont déjà en cours, sous nos latitudes : « En France, quelques précurseurs cultivent leurs céréales entre des rangées de noyers et plantent des arbres dans leurs pâturages… Les ouillères sont de larges bandes entre des rangs de vignes plantés à large espacement afin d’y intercaler des arbres et des céréales…. La culture intercalaire de maïs et de cultures d’hiver subsiste encore, notamment en Isère. Dans le midi, les olivettes sont parfois encore associées à de la vigne, des céréales ou des cultures maraichères… Emblématique en Normandie ou en Vendée, le bocage se rencontre dans de nombreuses régions de France, du piémont pyrénéen au Massif Central et de la Bourgogne jusqu’au Nord du pays et dans les Alpes…. Dans les Cévennes d’aujourd’hui, où le châtaignier a longtemps été appelé « l’arbre à pain », cet usage alimentaire reprend du service… Le couple noyers-céréales sur sol profond a montré des résultats prometteurs... Le couple cormier-vigne est prometteur sur les coteaux viticoles. » ET

Mais hélas, l’agroforesterie est assez chronophage, (voir Trace 173) et depuis une soixantaine d’années, les haies ont été ravagées par les opérations de remembrement : « D’après SOLAGRO, 1,4 million de kilomètres de haies champêtres ont disparu en France depuis 1945, ce qui représente 70% du maillage existant à l’époque… En France, l’abandon des tailles en têtard depuis un demi-siècle pose de sérieux problèmes aux éleveurs » ET

Quels rapports entretiennent agroforesterie et agroécologie ?

« La permaculture et l’agroforesterie partagent donc certains principes, Permanence, processus cycliques, résilience face aux aléas, interactions écologiques, importance de la biodiversité, … sont présents dans les deux approches, qui ne sont cependant pas réductibles l’une à l’autre. » ET

L’agroforesterie est une sorte d’agriculture en 3D, exploitant les couches de l’air et du sol, et les mettant en relation.

Quoi de l’économie de la lumière ?

« Lorsqu’on compare l’interception du rayonnement lumineux entre agroforesterie d’une part et agriculture ou foresterie d’autre part, c’est dans le cas de l’agroforesterie qu’il y a le moins de lumière inutilisée. Le même raisonnement s’applique à l’utilisation de l’eau ou des ressources du sol. » ET

C’est aussi une manière de ne pas réduire l’arbre à un fournisseur de bois d’œuvre ou de chauffage : « Les produits forestiers non ligneux : les exsudats des arbres, colorants, noix comestibles ou oléagineuses, fruits, boissons, huiles essentielles, tanins, produits médicamenteux, fibres diverses, produits des écorces, fourrage pour les animaux,… »ET

Même si les bois produits peuvent être de grande valeur : « Philippe Van Lerberghe a montré que les arbres à bois précieux (merisier, noyer, érable, cormier, etc..) en prairie pâturée ont un potentiel de croissance élevée et régulière. » »ET

L’agroforesterie peut se révéler un moyen pour redécouvrir d’autres plantes nourricières, au moment où s’ouvre une crise de la production céréalière. On se souvient de la civilisation de la châtaigne, dont il fut question Trace 55, et comment le recours au seul blé a fragilisé les premiers agriculteurs dont a parlé J.C. Scott, Trace 113 : « Il y a des arbres nourriciers dans de multiples pays, mais l’image qui domine est celle d’une humanité qui se nourrit avec des céréales ou des légumineuses annuelles, et pour laquelle les arbres constituent rarement l’alimentation de base…Le caroubier est un arbre extraordinaire, utilisé depuis l’Antiquité dans la région méditerranéenne….Le gland du chêne-liège se trouve encore parfois sur les marchés au Maroc….Il y a 60000 espèces d’arbre sur la planète, mais 1% de ces espèces sont l’objet d’attention pour une éventuelle mise en culture. » ET

L’agroforesterie commence à être reconnue : « En France et en Europe, la foret comestible est en train d’acquérir ses lettres de noblesse. Voir livre de Fabrice Desjours : « Jardins-forets » (2019) et le site de Foret gourmande : https://foretgourmande.fr/    (voir Trace 37 sur les clairières).

Mais il faut être modestes : « Il serait nécessaire de sélectionner des cultures agroforestières sur une série de critères comprenant au moins : la tolérance à l’ombre, la contribution aux nutriments du sol, la contribution au cycle de l’eau, l’adaptation au microclimat agroforestier, la résistance aux bioagresseurs et la compétition avec les adventices. Nous en sommes loin…Il faut reconnaitre que beaucoup reste à faire pour convaincre du bien-fondé de cette agriculture du mélange, de cette synthèse entre le petit et le grand, le haut et le bas, le court et le long terme. »ET

Cette pratique d’agroforesterie, dans son principe même, nous rapproche de ce que Baptiste Morizot appelait « cultiver les relations » (Trace 98) : « Pour activer une pensée de la relation dans le champ des forces transformatrices, il faut trouver des intercesseurs entre la logique des termes, qui est notre héritage, et celle des relations. Il faut donner des mains au concept de relation, au concept d’interdépendances et il leur faut des voix. »BM

« François Papy, agronome, s’exprime en termes appliqués aux associations de cultures. Il faut, dit-il, non pas cultiver des plantes dans une association mais « cultiver l’association » » ET

Ce sont des mosaïques qui se dessinent  : « Dans l’espace, dans le temps, en hauteur, en largeur, en profondeur, dans le sol, dans l’air, dans la diversité des plantes ou des animaux, la diversité des productions, celle des parcelles, celle des usages de la terre, celle des paysages, l’agroforesterie est une mosaïque. » ET

Et des lisières, chères à Agnès Sourisseau : (Trace 119) « Comment l’agroforesterie peut-elle prétendre contribuer au partage de la terre entre des objectifs de production et de protection ? En créant de la diversité, en multipliant les surfaces d’échange, en recherchant les effets de lisière. » ET

 Mosaïques et  lisières que nous explorerons très bientôt.

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