Du fabuliste au philosophe, tous sont d’accord :
« L'usage seulement fait la possession.
- Je demande à ces gens de qui la passion
- Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,
- Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. » La Fontaine ,IV,20
“C’est le jouir, non le posséder, qui nous rend heureux” Montaigne
Comment aborder cette question de la propriété, dont dépend le projet, que ce soit concernant les terres que nous nous proposons d’occuper, ou le statut des résidents, des « poblans », pour suivre la terminologie des bastides ?
Deux livres nous y aideront :
« La propriété de la terre » de Sarah Vanuxem (2018), juriste et philosophe :
https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/seminar-2017-02-16-10h00.htm
« Posséder la nature », recueil dirigé par F.Graber et F.Locher (2018), historiens.
La proximité de parution des deux textes indique déjà fortement l’actualité d’un tel thème, alors que la propriété privée individuelle semble une chose de partout, de toujours et à jamais. La lecture des deux livres ouvre en revanche bien des perspectives…
Ecoutons Sarah Vanuxem présenter ses recherches, auprès de Médiapart (SVM) et de Télérama (SVT) : comme on le voit, partant d’une simple définition, ou re-définition de la propriété, on arrive très vite, et très heureusement, à pouvoir défendre les Zadistes de Notre Dame des Landes :
« Si la propriété est la capacité à habiter les choses, c’est qu’on n’a pas la propriété des choses en elles-mêmes. Je n’ai pas la propriété de la terre mais la capacité d’en user. Or cet usage, on l’a vu, est réglementé par des lois intérieures, constitué des lois et des règlements que l’on doit respecter, notamment du droit de l’environnement. Elles demandent au propriétaire, l’État dans l’exemple de la ZAD, de prendre soin de l’écosystème. Cela peut vouloir dire ne pas remettre en cause les habitants, même sans titres, ni les actions qu’ils ont menées pour prendre soin de la terre. Autrement dit, ils ont un “droit à l’existence” même s’ils n’ont pas la “propriété territoriale”. »(SVM)
Il n’est pas question ici de jeter à bas le Code Civil, mais d’en faire une relecture attentive, permettant notamment d’envisager la propriété collective :
« Si l’on prend l’article 542 du code civil, on trouve une autre définition de la propriété. Les biens communaux sont « ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis ». Donc ce n’est pas une propriété individuelle. Les biens communaux appartiennent aux habitants. Donc à une collectivité. La propriété collective est donc clairement reconnue. On pourrait porter des cas de ce type devant les tribunaux et espérer que les juges retiennent une interprétation littérale de l’article 542 du code civil, en disant que ce sont les habitants de la forêt communale qui ont les droits d’usage de la forêt, et pas la collectivité territoriale. Qu’est-ce que l’habitation ? Si je me reporte au droit qui vaut pour les sections de commune (hameaux) qui ont la propriété collective de pâturages, de forêts ou de sentiers, est habitant celui qui est habitant réel et fixe, c’est-à-dire à l’année. Mais c’est une définition légaliste, celle du code général des collectivités territoriales. Si l’on interroge les gens, ils vont dire qu’est habitant celui dont la cheminée
fume. Si l’on accepte l’idée que le droit puisse aussi être autochtone, indigène, local, tout dépend de la coutume du lieu. On peut tout à fait imaginer une assemblée d’habitants qui décide de ce que veut dire « habiter » : vivre là depuis six mois ou trois mois ? »(SVM)
Une longue lignée de juristes mâles, voyant leur femme, leur terre,… comme une propriété exclusive, ont laissé s’installer une vision assez particulière de ce mot : « Quand vous pensez la terre, vous la pensez de manière matérielle, comme un substrat. Et c’est bien pour cela que vous n’arrivez pas à concevoir la propriété de manière collective. Si vous la pensez comme une part de gâteau, si l’on est beaucoup à en vouloir, il n’en restera plus grand-chose. Mais si vous pensez les choses autrement, comme des demeures, des habitats, des écosystèmes, des milieux, on va arriver à concevoir la propriété de manière collective. »(SVM)
Cet élargissement de la notion de propriété va dans le sens des « communs », mais aussi du « bien commun », en relativisant ce que permet le droit de propriété, vis-à-vis des contraintes environnementales :« Ma démarche s’inscrit dans ce que l’on nomme les « communs», ce vaste mouvement qui revisite et réhabilite la propriété collective, en montrant que partager des prérogatives sur un même champ, une forêt, une mer peut être bénéfique à tous.
Aussi les choses se présentent-elles comme des lieux d’accueil pour ceux qui séjournent en elles. Si on suit cette idée, les propriétaires, loin d’être autorisés à faire ce qu’ils veulent des « choses-milieux », seraient obligés d’adopter un comportement respectueux vis-à-vis d’elles. »(SVT)
Sarah Vanuxem s’est intéressée à la très vieille institution des « sections communales » :
« Les « sections de commune » (des circonscriptions infra-communales) appartiennent à cette famille juridique : une communauté d’habitants partage la propriété d’une forêt, d’un lac ou d’un pâturage et la gère ensemble. Une loi récente vise à les faire disparaître, sous prétexte qu’elles freineraient le développement économique et seraient source de conflits.
Mais elles constituent une source de vie, de discussion et d’intérêt commun ! »(SVT)
Sur les sections communales, on peut lire ce texte d’elle : « Les sections de commune pour la protection des paysages ».(NB : les photos illustrant cette page viennent de l’article en question)
Il y est question d’une section communale datant de 1406, preuve, s’il en est besoin, de la stabilité de telles institutions.
Une loi a été votée, en 2013, pour les faire disparaître, au nom du « développement économique ».
Nous verrons dans « Posséder la nature », qu’il s’agit aussi de l’argument utilisé pour déposséder les Indiens tout au long de la conquête du Far West….