Le dicton provençal le dit : « Ici l’eau est d’or » Les compagnies privées qui vendent de l’eau en bouteilles, après avoir acquis les sources, l’ont bien compris.
Notre objectif est de fournir une eau potable gratuite. Cela existe déjà : ce sont les bornes fontaines, et les fontaines de tout type. Des lois ont porté hélas atteinte à leur existence .
Que cette matière, précieuse entre toute, et qui le deviendra toujours davantage, soit l’objet d’une attention, et aussi d’un effort ? Pourquoi pas ?
Que l’endroit où l’on vient la puiser redevienne le foyer de vie publique qu’il fut.
Que la fontaine redevienne le lieu sacré qu’il fut jadis, et dont 4 siècles de conciles ont eu du mal à abolir la sacralité.
Qu’enfin, on puisse simplifier à l’extrême, dans un souci d’économie d’une part, et de moindre artificialisation des sols d’autre part, le système d’adduction d’eau.
Voilà bien des objectifs pour une seule page !
Un lieu sacré, ainsi en parle Henri Lavagne dans « Civiltà dei Romani » (1990) :
« Le sens religieux que « chaque fontaine est toujours sacrée » reste profondément enraciné dans l’âme romaine. La fontaine est le signe d’une faille dans le sein de la Terre Mère, mettant l’homme en communication avec de mystérieux réceptacles des eaux naturelles, et c’est donc un lieu spécialement chargé de cette force transcendante que les romains appellent NUMEN »HL
Illustration de ceci : sous l’église de San Clemente à Rome, on trouve une autre église du Vème siècle, puis un lieu consacré au culte de Mithra, du temps des romains, et enfin une source, dont on peut supposer qu’elle est l’origine de tout ce qui lui a été superposé…
Pour faire la transition avec la Provence, dont il sera question, ceci , issu du même ouvrage, sur l’adoption des fontaines et nymphées dans les provinces conquises :
“Selon aussi une sorte d’interprétation romaine, chaque fidèle pouvait y reconnaitre l’objet de sa propre dévotion, qui restait l’eau guérisseuse, bénéfique, oraculaire, etc,… Un exemple particulièrement clair est fourni par le nymphée de Glanum, voisin de Saint Rémy de Provence, où il est possible d’observer la transition entre la phase gauloise et la phase romaine. »HL
Cette sacralité des points d’eau, le catholicisme mettra des siècles à essayer de l’abolir :
« On sait que les conciles mérovingiens -Arles (452), Agde (506), Tours (567), Nantes (658), Tolède (681), Mayence (743), Leptines (747), Aix-la-Chapelle (816), Paris (826)- interdisent de porter un quelconque culte aux fontaines mais le caractère répétitif de ces actes semble montrer combien ils sont peu appliqués : à Laon, Noyon ou Rouen au VIIème siècle encore, on voue un important culte païen à ces points d'eau. » Andre Guillerme – L’eau au moyen-âge.
Mais, sacrée ou pas, la fontaine devient un point de repère éminent dans la ville du Moyen-Age :
« …peu à peu l'utilité publique de la distribution de l'eau prend forme, surtout pour les nouveaux quartiers éloignés des rivières ou des canaux où il s'agit à la fois de pallier la rareté de l'eau et de réduire les risques d'incendie : fontaines des Halles (vers 1183) et des Innocents (1274) à Paris , fontaines de la Planche-aux-Chiens, de la rue aux Aulx, du pont Véron à Provins, installées en 1283 , fontaine Notre-Dame à Rouen (1278)… . Ces monuments occupent une place de choix dans la ville, ils parent le bâtiment de l'autorité royale , l'extrémité d'un pont, le coin d'une rue ou d'une place. Ils connotent la richesse urbaine et révèlent l'urbanité. Cependant, nous sommes bien loin ici des belles fontaines aux eaux jaillissantes édifiées aux XIIème et début XIIIème siècle en Italie . Le surnom de "Pissotte" adopté pour la fontaine Saint-Martin à Paris… laisse supposer un très faible débit. Cela vient en partie du captage qui reste au niveau d'affleurement de la nappe souterraine mais surtout du gabarit des conduites qui ne dépasse jamais trois ou quatre centimètres de diamètre. » AG
Approvisionner chaque maison suppose une redevance, comme déjà compris à Provins, au XIII°siècle, et donc l’abandon de notre principe de gratuité :
« Pour le nord de la France, Provins est la seule ville à opter pour une politique de distribution de l'eau à domicile. Dès 1273, le maire fait capter les sources des collines méridionales et le fontainier les conduit par les rues jusque dans les maisons moyennant une redevance annuelle. Une fois encore, Provins montre qu'elle est, au XIIIème siècle, à la pointe de l'innovation. »AG
Fontaine, ou comme ici, puits, qui prend en charge le transport de l’eau ? Les femmes, le plus souvent, mais aussi les hommes :
« Rares sont les actes mentionnant le forage d’un puits. Il semblerait, en se référant aux coutumes post-médiévales, que l’entretien des puits publics est pris en charge collectivement par les riverains et il est fort possible qu’aux XIIème et XIIIème siècles ce sont eux qui les creusent et les décorent. Ceinturés d’une margelle de pierre parfois surmontée d’un jambage sculpté, ces puits publics ont l’éclat des fontaines artificielles des grandes villes du royaume. Tous ces points d’eau sont des lieux importants de la sociabilité urbaine. Si l’on prend la consommation moyenne d’une famille de six personnes selon les normes de Bruyère, ce sont plus de quarante litres – soit la quantité que peut livrer en une fois le porteur d’eau – qui sont nécessaires quotidiennement, soit deux ou trois voyages à l’aide de récipients de moyenne capacité…Autant de rencontres. Travail féminin ? Peut-être, mais le dur métier du portage est en majorité occupé par les hommes à Paris : ils sont quatre-vingts officiellement recensés à Paris à la fin du XIIIème siècle, soit un porteur pour trois mille habitants -… Colporteurs d’informations, les porteurs d’eau jouent aussi un rôle fondamental dans la lutte contre les incendies. »AG
Oui, lieu de sociabilité urbaine …
Se pose la question de la répartition dans la ville de ces fontaines. Quelques cartes, en illustration à ce texte, prenant en compte des villages situés dans le quart Sud-Est de la France, de Céret à Embrun, en passant par la Provence, montrent la densité de ce réseau de fontaines, et donc, la proximité avec les domiciles approvisionnés.
Comme nous l’avons vu à Sienne, la nécessité d’organiser un flux continu de l’eau dans les fontaines, dans un souci d’épargner la ressource, entraine tout un échelonnement des usages, depuis la fontaine où arrive l’eau fraiche et potable, vers le lavoir, selon notre source :
https://provenceavivre.wordpress.com/2015/03/01/fontaines-en-provence-i-fontaines-et-lavoirs/
« La fontaine et le lavoir ont longtemps été le lieu de sociabilité des femmes ; lieux de rencontres, d’échanges, mais aussi scènes publiques où s’exprimaient les joies et les drames de la vie domestique, forum des femmes et foyer de propagation des nouvelles et des rumeurs.
Point central de la communauté villageoise, ou du quartier dans la ville, la fontaine fournit l’eau pour la soif des hommes et des bêtes, l’eau pour la cuisine, l’eau pour la propreté du corps et des habitations. Cette importance vitale se manifeste par la présence sur la place centrale du village, ou du quartier, d’une fontaine ornée. À l’utilité s’ajoute le prestige par lequel la communauté affirme son rang, son orgueil ou sa richesse.» PAV
Il n’est pas lieu, ici, de déplorer la fin des lavoirs, je le précise, mais de trouver un usage pour l’inévitable surverse d’une fontaine vive, condition pour sa potabilité.
« La surverse des fontaines et des lavoirs irriguait les jardins potagers en contrebas des habitations. Dans nos villages, les lavoirs ont été utilisés jusqu’au début des années 1950. L’arrivée dans les foyers des machines à laver a provoqué leur abandon.” PAV
L’eau peut encore donc ainsi servir à d’autres usages de nettoyage, ou refroidissement, liés à une activité artisanale, enfin vers les jardins voisins, ce qui suppose qu’ils le soient…
Que le plan d’une ville suive l’écoulement de l’eau, en aval, mais aussi en amont, en organisant son arrivée de la manière la plus simple du monde : un tronc commun, comme les plantes, dont la structure s’organise à partir de la colonne centrale nourricière et désaltérante, on peut imaginer que la construction d’un noyau urbain s’organise donc selon le conduit, enterré, ou même aérien, qui apporte l’eau à tous, hommes, animaux et plantes. Voir par exemple le quartier de Malagueira à Evora, d’Alvaro Siza : à partir de 3’15’’
https://www.youtube.com/watch?v=U0noy5Ijdp4
Les plantes, et particulier les arbres, sont une source permanente d’inspiration.
Nous les retrouverons dans les prochains textes, abordant la construction en bois, vue par les habitants de la forêt.