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Billet de blog 3 février 2025

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Trace 136-Sols 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rappelons le cadre de notre recherche, débutée il y a aujourd’hui deux ans : pouvoir accueillir des millions de réfugiés, dans une Europe décarbonée, de gré ou de force.

Certes il y a en France des logements inoccupés : « Jamais la France n'avait compté autant de logements vacants selon les données mises à jour ce 9 novembre par l'Insee. Au 1er janvier 2021, sur les 37,2 millions de logements, 3,085 millions sont vacants, soit 8,3 % du parc immobilier total, contre 3,045 millions de biens concernés début 2020 et 2,891 millions en 2016.»

Et aussi tant de résidences secondaires :« La France (hors Mayotte)comptait 3,2 millions de résidences secondaires au sens fiscal en 2017, soit un logement sur dix. Parmi ces résidences, 40% se situent sur le littoral, 16% en altitude et 12% dans les agglomérations du Grand Paris, de Lyon, Toulouse et Bordeaux. »

Et il est bon de s’en souvenir.

 Reste que des territoires entiers sont désertés, et que le souci de pouvoir abriter non loin des cultures vivrières, tel qu’exprimé dans Traces 122 et 123, rend hélas difficile l’utilisation immédiate de tous ces logements.  Ne parlons pas ici des expropriations nécessaires qui mettraient vite le pays à feu et à sang, car notre objectif ici reste, modestement, une étude de faisabilité. Une belle révolution, avec les expropriations adéquates, faciliterait certes les choses mais elle n’entre pas hélas dans le cadre de l’étude …

Construire, donc, mais comment ne pas porter ce faisant atteinte au sol ?

 Comment et combien construit-on aujourd’hui ?

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2015606#tableau-figure1

« 376.500 logements neufs ont été mis en construction en France en 2016, soit 10,4 % de plus qu'en 2015 et l'équivalent d'un nouveau logement toutes les 50 secondes ».

Si l'objectif affiché par les pouvoirs publics est d'atteindre le « zéro artificialisation nette », « 23 907 hectares ont encore été pris par l'urbanisation sur les sols naturels et agricoles en 2017, ce qui représente la surface de la ville de Marseille », explique le Cerema. Alors que la consommation d'espace commençait à moins augmenter chaque année (33 189 hectares artificialisés en 2011, 22 409 en 2016), la courbe est repartie à la hausse depuis début 2017, passant de 316000 à 232000 ha de 2009 à 2017

https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/parution-des-donnees-dartificialisation-2009-2018

Donc, en moyenne  274000 ha /376000 logements : 0,73 ha par logement construit.

L’objectif ici, est de réfléchir comment faire mieux. Et d’abord de se demander ce qu’on appelle « artificialisation des sols ».

 Définition : Transformation d'un sol à caractère agricole, naturel ou forestier par des actions d'aménagement, pouvant entraîner son imperméabilisation totale ou partielle. Ce changement d'usage des sols, le plus souvent irréversible, a des conséquences qui peuvent être préjudiciables à l'environnement et à la production agricole.

Notions clés ici : imperméabilisation, irréversibilité.

Remarque : Il est ici escompté qu’un terrain agricole n’est pas artificialisé : on connait des définitions plus larges, les incluant eux aussi …

Selon Eurostat, qui recourt à la définition la plus étroite : «  les sols artificialisés recouvrent les sols bâtis et les sols revêtus et stabilisés (routes, voies ferrées, parkings, chemins...). »

 Le ministère de l’Agriculture en France retient, lui, une définition plus large, qui recouvre également d’autres « sols artificialisés », comme les  chantiers, les terrains vagues, et les espaces verts artificiels. L’artificialisation correspond à un changement d’utilisation, laquelle n’est pas nécessairement irréversible.

Ces différences expliquent des taux, et des taux de progression, fort différents :

Selon Eurostat, en France 5.2%

Selon Ministère de l’Agriculture, 9.3 %

Cette notion est donc à la fois cruciale, tant pour le logement que pour l’alimentation, et bien floue.

Un des critères est l’irréversibilité. Mais tout ne l’est-il pas ?

Gaston Roupnel, dans  « Histoire de la campagne française » (1932), (voir Traces 35), sait retrouver le tracé des antiques chemins d’avant la conquête romaine, et décèle les signes de l’existence de hameaux disparus à un certain type de végétation.

Il n’est donc rien d’irréversible, même si les villes édifiées en Ukraine, il y a plus de 6000  ans, selon David Graeber et David Wengrow (Traces 114 et 115) ont quasiment disparu, réalisant un idéal d’architecture, en torchis sur structure bois,  finalement biodégradable, comme nous devrions nous y astreindre 6000 ans plus tard… Ce sera l’objet du prochain texte, où nous puiserons inspiration.

 Le projet des hameaux légers résout à sa façon cette question  cruciale de la réversibilité :

https://hameaux-legers.org/habitat-reversible

https://hameaux-legers.org/habitat-reversible/catalogue

Le catalogue des solutions proposées est large et comprend des techniques comme celles déjà mentionnées ici.

Reste que le postulat central de l’amovibilité a deux conséquences majeures :

Une impossibilité de faire évoluer des expériences ponctuelles, aussi riches soient-elles, vers une forme urbaine, qui requiert une sédimentation de temps avant tout.

Pour des populations point nomades, mais chassées pour diverses raisons de leur domicile fixe, l’accueil en un lieu non pérenne peut être vécu comme une solution transitoire, donc non propice à l’établissement de liens , en premier lieu entre voisins, en second lieu avec une terre, qu’il faudra bien cultiver, défricher, … en inscrivant son action sur le long terme, seul propice à l’habiter .

 Nous avons déjà parcouru les usages d’autres civilisations, dans le temps, et dans l’espace :

Dans Traces 11, ce furent les constructions du néolithique et leurs pilotis.

Dans Traces 12, les rites d’apaisement au Japon,  destinés à obtenir des esprits du sol la permission de construire chez eux, prenant conscience que nous sommes tous locataires de cette planète.

 Dans Traces 11, nous avons évoqué l’école d’Argelliers, sur pilotis acier (projet AAUN + Atelier NAO) : la cour de garrigue sera préservée depuis les cades jusqu’aux brins de thym et de sarriette. (Espérons : le chantier est en cours…)

https://www.lemoniteur.fr/article/herault-argelliers-fait-une-ecole-buissonniere.2123504

A noter que ce nom d’école buissonnière est celui que nous lui avions donné entre nous …

http://atelier-nao.com/ecole-dargelliers-lecole-du-futur/

Un des arguments employés pour achever de convaincre, face aux réticences des parents d’élèves, des enseignants, et des élus, fut le côté irréversible de l’enrobé.

Car tout cela a un coût, qui devrait faire réfléchir tous ceux qui s’apprêtent, comme cela nous est arrivé à Argelliers, à placer un enrobé, car si le faire déjà coûte entre 28 et 50 €/m2 , la démolition, avec enlèvement des gravats, peut s’avérer plus coûteuse encore :  entre 25 et 50 €/m2 minimum, soit 300 000 euros par hectare, ce qui est vite dissuasif. Pour mémoire, la terre agricole vaut entre 5000 et 25 000 euros à l’hectare.

Ceci devrait  donc faire réfléchir avant toute pose d’enrobé. Ceci sans parler du coût écologique global de l’aller-retour.

Pour ne pas rester uniquement sur un terrain économique, mais plutôt pédagogique : une journée fut organisée pour permettre aux enfants et aux enseignants de découvrir le site, ses plantes, de jouer à implanter les classes, de choisir un arbuste comme partenaire : cade, arbousier, yeuse ou pin, pour passer ensemble cette scolarité, …

Les CAUE se mettent logiquement à défendre eux aussi les cours en herbe :

https://www.fncaue.com/transformer-les-cours-decoles-en-oasis-comment-les-caue-accompagnent-cette-mutation/?fbclid=IwAR2Hh9gosTlv_GHif7tbChOcp101mXl4IksR66cCngQ-den35gSwi0Wl9EE

 Dans un contexte international où la faim menace encore de s’aggraver, il faut donner une priorité aux terres agricoles d’un côté, et de l’autre, lutter contre tous les grands projets menaçant de leur porter atteinte : lire à ce sujet François Verdet et son « Guide pour faire échouer des projets contre la nature » (2022)

« Commune frugale », (2022), du Mouvement pour une frugalité heureuse et créative, essaie d’évoquer d’autres manières de construire, s’il faut le faire... Parmi les propositions, celles sur les matériaux ou le réemploi, dont nous reparlerons, mais plus précisément, en matière d’urbanisme, celles-ci :

Une définition précise de la « densification » : « Le mot d’ordre de densification est parfois un prêt-à-penser urbanistique bien arrangeant pour maximiser la valorisation financière du foncier urbain, voire pour légitimer la bétonisation de jardins, friches et autres « dents creuses », dont certaines seraient pourtant essentielles à la résilience urbaine. /…/Parlons-nous de densité de construction, de densité habitante, de densité d’usages, de densité de circulation ?  Nous utiliserons ici densités au pluriel, en référence à une démarche globale, au sens d’une intensification, d’un accroissement de la présence et des échanges. » MHFC

Un appel à la mutualisation :

« Les cours d’école se transforment en espaces publics hors période scolaire, des bureaux servent de refuges pour des services d’utilité publique en manque de moyens ou des sans-abri, etc. » MHFC

Notre proposition, à Argelliers, est d’ailleurs de transformer durant les vacances la cour en théâtre de verdure, profitant des gradins déjà en place.

 Enfin une dissociation de la propriété de l’existant et de l’habitat, la plus prometteuse  dans le champ de cette étude : « En confiant à des personnes habitant un lieu la responsabilité collective de sa pérennité, par le biais de baux emphytéotiques ou leurs équivalents, la capacité d’agir sur les espaces construits devient une partie du vivre-ensemble. » MHFC

 Nous rendrons à notre façon hommage à l’Ukraine et à la très vieille culture Trypillia dans notre prochain texte.

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