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Billet de blog 3 avril 2025

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Trace 195-Bambou 1

Le mot bambou éveille en moi bien des souvenirs. Tout d’abord, cette bambouseraie, en Gironde, où venaient les soirs de fin d’été se réfugier les étourneaux gavés de raisin. Enfant, j’y allais aussi, heureux d’y être à la fois loin de tous, mais sous les cris d’oiseaux ; entre les tiges mollement balancées d’un Japon imaginaire, ne sortant de là que dûment hélé, et tout crotté.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les travaux de transformation des boulevards haussmanniens en bambouseraies, préconisés dans la Trace 171, n’ont pas encore commencé : Parisiens, un peu de cœur à l’ouvrage ! Et ne mangez pas les pousses !

Le mot bambou éveille en moi bien des souvenirs. Tout d’abord, cette bambouseraie qui envahissait un coin du jardin d’Oncle Jean, et où venaient les soirs de fin d’été se réfugier les étourneaux gavés de raisin. Enfant, j’y allais aussi, heureux d’y être à la fois caché, mais dans l’ouvert ; loin de tous, mais sous les cris d’oiseaux ; entre les tiges mollement balancées d’un Japon imaginaire, ne sortant de là que dûment hélé, et tout crotté.

Puis, en 1987, la conférence d’Oscar Hidalgo Lopez, le « parrain du bambou » à l’Ecole d’Architecture Tolbiac : « Le bois, non ! Le bambou, oui ! » ainsi ponctuait-il sa conférence.

La découverte en 1991 à Lausanne du fantastique  IL31, numéro  consacré au bambou, de la revue de l’Institut des Structures Légères de Frei Otto.

Plus tard, la visite de la bambouseraie d’Anduze : https://www.bambouseraie.fr/

Puis un voyage au Japon,  en 1998, où je vis un charpentier tester les meilleurs moyens d’enduire de la terre sur des treillis de bambou, dans ce qui était la seconde économie mondiale. Et tant d’usages splendides.

Wang-Shu, ( voir Trace 192), dans sa leçon inaugurale de Chaillot : « Il s’agit, au moment où l’on débat de philosophie, de ne pas oublier le travail consistant à tresser le bambou des cloisons. »

OSCAR HIDALGO

Le « Manuel de construction avec le bambou » (1981)  édité par l’Université Nationale de Colombie, rassemble les préconisations :

Il faut attendre 3 ans de croissance pour pouvoir utiliser le bambou dans les constructions. Un séchage, soit en forêt, de 4 semaines, soit dans l’eau, soit dans la fumée, soit encore sur les braises, est nécessaire. Un traitement fongicide et insecticide est conseillé.

Comment faire des panneaux : fendre le tube, puis le dérouler et ôter la partie interne.

Refente : d’abord à la machette, puis en introduisant à force un croisillon de métal, ou de bois

Câbles : il est possible de tresser des câbles de trois lamelles, ou plus.

Lamelles : Ceci nécessite des bambous assez épais, pour pouvoir y débiter de petites sections rectangulaires, ce qui occasionne pas mal de chutes.

Le chapitre des assemblages est très fourni. Nous devons y oublier ce que nous avons appris avec le bois. Il faut naturellement utiliser des bambous mûrs , de trois ans ou plus, convenablement séchés, non fendus. Les clous sont déconseillés. Les ligatures sont bien plus propices, ne détruisant pas l’enveloppe circulaire. Elles pourront être de fil de fer, de nylon, de cordes végétales, de cuir.

Les appuis des poteaux devront se faire proches des diaphragmes , où le tube est plus cohérent.

Pour éviter l’écrasement local, l’introduction d’un cylindre de bois peut servir.

En haut des poteaux, créer des oreilles, soit avec le tube lui-même, soit avec des pièces rapportées, pour les assemblages.

Des clavettes traversantes peuvent servir pour reprendre des efforts de traction aux assemblages perpendiculaires.

Portiques : le doublement  des pièces jusqu’aux points des assemblages renforce ceux-ci.

Le bambou peut naturellement servir à faire  des parois avec des tubes entiers en guise de montants,   et du bambou déroulé fixé dessus, puis enduit . On peut aussi faire des parois avec une sorte de pisé mélangé de paille, à l’intérieur d’un coffrage perdu en lattis de bambou, le tout enduit.

Plus simplement, ce peut être un simple tressage, enduit sur les deux faces.

La version tressée , en bambous déroulés, est la plus belle , si elle ne paraît pas la plus facile. Mille variantes existent.

Couverture en tuiles de demi-bambous, et chéneaux, sont exécutables en bambou, ainsi que des tuyaux emmanchés pour établir des systèmes d’adduction d’eau en bambou, avec joints poissés , ou bitumés.

IL31 : OUVRAGE COLLECTIF SOUS LA DIRECTION DE FREI OTTO (1985)

L’Institut des Structures légères, dirigé par Frei Otto, célèbre notamment pour la couverture en 1972 du stade de Munich, a publié des cahiers portant sur ces typologies de structures,  alors en vogue.

Le numéro 31 est consacré au bambou, et plus généralement aux structures de barres végétales. L’accent y est mis sur deux directions privilégiées : l’usage dans des structures légères, d’une part, et d’autre part le souhait que ces recherches puissent servir à des constructions bon marché, pour le tiers-monde. L’équipe comprend des collaborateurs habituels de l’IL, plus 8 spécialistes mondiaux du bambou, dont Oscar Hidalgo.

L’ouvrage est très bien documenté, grâce notamment à de nombreux voyages en  Birmanie, Thaïlande, Malaisie, Indonésie… zone de prédilection de cette graminée.

[Notre pari, suite au changement climatique en cours, est qu’une acclimatation du bambou sera rendue plus facile, en France, et en Italie. Dans le Sud de la France, c’est le cas depuis longtemps : en témoigne la bambouseraie d’Anduze, qui date de 1856 : https://www.bambouseraie.fr/notre-histoire/ Que la Chambre d’Agriculture de la Marne, par exemple, en propose la culture est un signe positif.

Ici, en Toscane, les bambous sont nombreux : le climat doux, et en principe humide, leur convient bien. Dans toute l’Italie on en trouve facilement.]

Les Allemands aimant à être exhaustifs, le livre est énorme, avec dessins parfaits, et photos éloquentes. Feuilletons-le ensemble :

Parmi les photos, celle ornant la préface de Frei Otto, et montrant un paysan se balançant, près de Katmandou, suspendu à un portique formé de 4 bambous follement hauts et élancés, pour fêter la fin des moissons, me fait rêver depuis 30 ans.

Le bambou est, du point de vue de sa légèreté et de sa résistance, un produit « extrême » de la nature, dit Otto, qui souligne également le côté très économique du matériau, vu sa croissance rapide, jusqu’à un mètre par jour.

Dans l’idée d’abriter les populations pauvres, le fait que celles-ci soient en forte croissance dans les pays (Inde, Afrique équatoriale, Amérique latine) où pousse le mieux le bambou rassure les auteurs.

Cette image de matériau du pauvre peut desservir le bambou, qui a mille qualités, entre autre en zone sismique : les assemblages entre les multiples tubes sont fortement dissipatifs de l’énergie des ondes sismiques.

Peu d’expériences ont été menées avec le bambou, à l’exception d’essais pour son emploi en guise de ferraillage pour des dalles. Les recherches ont suivi trois directions : l’usage dans diverses traditions de construction vernaculaire, la recherche de nouvelles solutions techniques, enfin la production de matériaux composites à partir du bambou.

Les arches paraissent appropriées au matériau. La variation du diamètre engendre des arcs au rayon de courbure croissant vers l’extrémité. Ces arcs peuvent se décliner spatialement, en voûtes linéaires, ou circulaires.

Les coques réticulées, circulaires, ou bien de toutes formes imaginables, sont rendues possibles du fait de la facilité à ployer les tiges. Les exemples des constructions des Yawadapitis au Vénézuela, ou des Bantous en Afrique du Sud, par exemple, sont éloquents.

Le bambou étant très résistant à la traction, Otto et ses amis, férus de structures tendues, en ont cherché partout, en découvrant peu, sauf des ponts, assez impressionnants, en Chine, et au Pérou.

Parler structure tendue nécessite de parler assemblages. Le livre en répertorie un grand nombre, le plus souvent réalisés à partir de deux éléments : les ligatures, presque toujours, et les clavettes, quand cela est requis.

Quant à la résistance, le bambou est, à poids égal, plus résistant que l’acier. En traction, il surpasse, de peu, l’acier, mais le bois, d’un facteur 3 à 5 environ.

La section ronde et creuse, en revanche, est peu efficace en flexion, d’où un usage en sections composées, soit dans un plan vertical (poutres), soit dans un plan horizontal (planchers).

Les cordes de bambou tressé sont très résistantes à l’usure : elles étaient employées pour tirer les navires le long des rapides du Yang-Tse.

Parmi les assemblages élégants, ceux qui laissent subsister une partie de la section, alors ployable autour d’un poteau, d’un faîtage … et liée à eux.

Sur les échafaudages, se dressant jusqu’à 400 m à Hong Kong, de simples ligatures : noter les petits bâtonnets qui, entortillés dans les ligatures, aident à exercer une pression plus forte, empêchant les montants de glisser l’un sur l’autre.

Les ponts, très aériens, peuvent recéler des raffinements comme celui qui, en Indonésie, utilise une forme de précontrainte pour être plus rigide.

La triangulation, et la composition d’une pyramide avec les arbalétriers, permet de franchir avec le recours aux seuls bambous une portée de 24 m, là aussi en Indonésie, aux Célèbes.

Les ponts utilisant la tension des câbles  de bambou peuvent atteindre 61m, comme le pont de Kuanhsien en Chine, sur la rivière Min, composé de 5 travées successives, pour un total de 320 m.

En conclusion, les auteurs s’interrogent : le bambou, matériau du futur ? Ma lecture d’aujourd’hui devrait les rassurer sur ce point : oui, pour tous, et pour longtemps.

Nous rencontrerons bientôt deux architectes privilégiant le bambou : Simon Velez et Anna Heringer.

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