De plus en plus nombreux, et c’est heureux, sont les architectes maniant le bambou. Parmi les précurseurs, Simón Vélez. Parmi les nouveaux venus, Anna Heringer. Nous leur consacrons cette page.
SIMON VELEZ
Le site de l’architecte, tout à sa gloire, est éloquent : ce type est génial : http://www.simonvelez.net/
L’EPFL, qui l’exposa en 2015 le présente ainsi : « L’architecte Simón Vélez est né en 1949 à Manizalès, en Colombie. Véritable institution dans son pays, il connaît une renommée internationale en déclinant des structures complexes en bambou guadua, espèce endémique des vallées colombiennes. Il a développé des assemblages de tiges de ce matériau peu cher et abondant, en collaboration étroite avec l’ingénieur-constructeur Marcelo Villegas. Depuis 30 ans, il construit pour des particuliers aussi bien que pour des entreprises, des municipalités ou de grandes administrations publiques.
Son œuvre la plus connue est un colossal pavillon de bambou installé à l’exposition universelle de Hanovre en 2000. Huit ans plus tard, il a élaboré à Mexico la construction éphémère Nomadic Museum, abri de l’exposition Ashes and Snow du Canadien Gregory Colbert. Réunissant deux galeries et trois salles monumentales sur 5130 mètres carrés, c’est la plus grande et la plus spectaculaire structure en bambou jamais construite. En 2009, la reconnaissance internationale de Simón Vélez est confirmée par le grand prix de la Fondation Prince Claus, aux Pays-Bas, décerné pour l’ensemble de son œuvre.
Partant du constat que l’industrie de la construction est la plus grande consommatrice de ressources naturelles, l’architecte préconise un retour « à un régime plus équilibré, plus végétarien ». Précision et savoir-faire, main-d’œuvre importante, qualifiée et valorisée, usage réfléchi des ressources, technique et outillage simples orchestrent ses chantiers et les rendent exemplaires dans leurs empreintes sociales et environnementales. La démarche de Simón Vélez peut avoir valeur de modèle : elle préconise une architecture qui assume son enracinement dans les matériaux indigènes, tirés de la nature et peu transformés, et induit le respect du travail et de celui qui l’accomplit en valorisant l’échange des savoirs et la circulation des compétences. »
Dans une interview à IDEAT, Vélez précise : « En Colombie, le bambou est honni car il est synonyme de pauvreté. Même les personnes les plus défavorisées le détestent. Quand ils l’utilisent pour la construction, c’est parce qu’ils n’ont pas le choix ; dès qu’ils ont un peu d’argent, ils se tournent vers le béton. Le monde académique considère également le bambou comme un matériau pauvre pour un pays pauvre. » Pour autant, celui-ci offre des qualités mécaniques insoupçonnées, difficiles à imaginer lorsqu’on observe sa souplesse.
« L’architecture actuelle suit un régime exagéré et malsain, elle est totalement carnivore. L’état de la nature exige que nous revenions à un régime plus équilibré, plus végétarien. Néanmoins, je ne suis pas un écologiste fanatique. Si j’utilise les matériaux naturels, ce n’est pas pour sauver la planète, qui n’en a rien à faire, de l’humanité – plus vite nous la quitterons, mieux elle se portera –, mais parce que je les aime profondément ! » SV
ANNA HERINGER
Le premier projet d’Anna Heringer, la Meti-school, découvert grâce à la revue ECOLOGIK, m’a bouleversé. Une conférence d’elle à Grenoble, en 2010, m’a permis d’apprécier son caractère enjoué, sa simplicité, et son pragmatisme. Les explications qu’elle fournit alors sur les tests des poutres en bambou durant le chantier, cette démarche empirique, m’enthousiasmèrent. Et je l’aurai bien vu partager le Pritzker attribué à Kéré… Il faut reconnaître ici que son matériau de prédilection est plus la terre que le bambou, qui fut choisi pour la Meti-School, comme matériau local, donc gratuit.
Une conférence, et quelques interviews d’elle : https://www.ted.com/talks/anna_heringer_the_warmth_and_wisdom_of_mud_buildings/transcript?language=fr
« Je suis allée au Bangladesh dans un village éloigné qui s'appelle Rudrapur dans le but de concevoir et de construire une école, comme sujet de ma thèse. J'avais vécu dans ce village avant quand à 19 ans j'étais bénévole chez Dipshikha, une ONG bangladaise pour le développement rural. Et ce que j'avais appris d'eux, c'était que la stratégie la plus durable pour le développement durable est d'apprécier et d'utiliser tes ressources propres et ton potentiel, et de ne pas devenir dépendant de facteurs externes. Et c'est ce que j'ai également essayé de faire avec mon architecture.
En termes de matériaux de construction adéquats pour mon école, je ne devais pas chercher bien loin. Ils étaient juste sous mes pieds : boue, terre,…, quelle que soit la façon dont vous l’appelez, et du bambou qui poussait tout autour. L'électricité est rare au fin fond du Bangladesh mais nous n'en avions pas besoin. Nous avions de l'énergie humaine. Et les gens étaient contents d'avoir du travail. …
Les murs porteurs de terre enracinent l'école dans le sol, et les constructions de bambou font entrer la lumière. » AH
Sur son site, des témoignages : https://www.anna-heringer.com/projects/meti-school-bangladesh/
"Le résultat final est un bâtiment qui crée de beaux espaces collectifs significatifs et humains pour l'apprentissage, enrichissant ainsi la vie des enfants qu'il sert." [Jury du Prix Aga Khan d'Architecture]
Rudrapur se situe au nord du pays le plus densément peuplé de la planète. La pauvreté et le manque d'infrastructures poussent de nombreuses personnes de la campagne vers les villes. L'ONG locale Dipshikha tente d'emprunter de nouvelles voies avec son programme de développement : l'intention est de donner des perspectives à la population rurale et de faire découvrir aux gens la valeur du village dans toute sa complexité. Une partie de cela est un concept d'école spéciale qui inculque aux enfants la confiance en soi et l'indépendance dans le but de renforcer leur sentiment d'identité.
"C'était bien de faire des tests et des expériences ensemble avant de commencer la vraie construction, afin que nous puissions le comprendre même si nous ne connaissions pas la langue. Et tout le monde a beaucoup appris les uns des autres. J'ai appris à construire des murs solides, à utiliser les meilleurs outils et les étrangers ont appris que les meilleures machines à mélanger sont les buffles d'eau." [Suresh, travailleur de l'argile, Rudrapur, Bangladesh]
"Apprendre avec joie est la philosophie de l'école - le mieux pour moi est de voir le bâtiment rempli d'enfants enjoués, qui sont vraiment heureux d'aller à l'école. Ce n'est principalement pas l'architecture qui fait quelque chose de spécial - ce sont les gens : tous ceux qui ont travaillé dessus avec tous les efforts et potentiels et tous ceux qui y vivent et remplissent l'espace d'atmosphère." AH
Impatiente : "Beaucoup de gens espèrent que nous trouverons des solutions techniques pour résoudre le problème, mais je ne fais pas confiance aux solutions techniques. Lorsque nous regardons l'état actuel de notre planète, nous pouvons voir qu'il ne s'agit pas seulement du changement climatique ; nous avons de grands problèmes comme l'injustice, mais aussi un mal-être ; le fait de ne pas être heureux en tant que société. Tout est lié, nous devons arriver à un nouvel état d'esprit où nous nous soucions les uns des autres et où nous cessons d'exploiter, cela implique la planète et les gens. Les crises sont en général un catalyseur de changement positif parce que nous commençons vraiment à grandir. Dans la crise actuelle, une chose est claire, nous devons apprendre rapidement. “ AH
Confiante : "Pour moi, lorsque je lance un projet, il est très important d'examiner trois aspects : les matériaux locaux … tels que la boue, le bambou, le bois, etc. Ensuite, les ressources énergétiques locales disponibles, dont la plus importante pour moi est l'énergie humaine. Lorsque nous pensons aux énergies alternatives, nous faisons généralement référence aux solutions solaires ou éoliennes, mais nous devons également inclure l'être humain, car nous sommes 7 milliards de personnes vivant sur cette planète, c'est une ressource énergétique disponible massive. Si vous ne l'utilisez pas, il y aura un problème social. »AH
Modeste : "L'école est en très bon état. Au début, nous avions eu un problème avec le bambou, c'était la première fois que je travaillais avec ce matériau, c'était du bambou vert frais et nous avons eu une attaque de scarabée au premier étage. Nous avons donc dû réinstaller la structure en bambou. J'étais alors en pleine état de stress, mais les ouvriers m'ont rassuré et m'ont dit qu'ils savaient comment la reconstruire. "La pourriture fait partie de la vie !" »AH
Enragée : "Soyez courageux ! Nous avons tendance à suivre le courant parce que c'est la solution la plus facile. Nous pensons que c'est ce que les gens veulent, ce que le marché attend. Nous sommes spécialisés dans le courant dominant plutôt que dans le courant non dominant. Alors, suivons nos cœurs. Soyons courageux ! Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors commencez à le faire ! Le capitalisme n'est pas une force naturelle, il est créé par l'homme, donc nous pouvons changer le système et je pense qu'il est temps pour cela". AH
« Ce système capitaliste a fait son temps » Michel Pinçon. Merci à lui.
Il est temps, depuis longtemps : nous visiterons les « clairières », qui furent des tentatives en ce sens.