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Billet de blog 4 janvier 2025

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Trace 85-Toucher du bois 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Construire en bois, au temps où brûlent les forêts, nous demande d’inventer : ce sera le thème de nombreuses Traces à venir : c’est aussi là mon métier.

Les civilisations qui ont su le mieux protéger les forêts sont celles qui vivaient dans la forêt même. La forêt était leur maison, à l’intérieur de laquelle ils aménageaient des pièces à vivre, empruntant le moins possible de matière, en recourant à des structures, qui, imitant sans doute en cela celles que construisent certains oiseaux, sont des structures spatiales réticulées d’une grande complexité.

Ce premier contact avec le bois sera l’occasion de visiter les grandes maisons des indiens Tupinambas, mais,  pour commencer, les  maisons des pygmées.

Jerome Lewis, dans « Les Pygmées Batwa De La Région Des Grands Lac » ( 2001) précise :

« Les Pygmées Batwa seraient les premiers habitants des forêts équatoriales de la région des Grands Lacs, en Afrique du Centre. La forêt était leur demeure. Elle leur fournissait de quoi subsister et se soigner, et contenait leurs sites sacrés. Au dix-neuvième siècle, des agriculteurs et des pasteurs de l’extérieur ont commencé le processus de déboisement, abattant les forêts pour cultiver la terre. Les Batwa ont été intégrés à la population au niveau le plus bas, bien qu’ils aient eu leur importance à la cour des rois et des chefs précoloniaux en tant qu’artistes, espions, chasseurs et guerriers. » JL

« Les Batwa, ceux qui utilisent la forêt comme ceux qui n’y ont plus accès, ont droit au respect de leur importance singulière dans l’histoire de la région en tant que premiers habitants, et en tant que peuple qui, à la différence de ceux qui sont venus plus tard, utilisait l’environnement sans le détruire ou lui causer de sérieux dommages. C’est uniquement grâce au soin qu’ils ont pris du pays dans le long terme que les nouveaux venus ont pu avoir de bonnes terres. »JL

Guy Philippart de Foy, dans «Les pygmées d’Afrique centrale » (1984), décrit l’architecture pygmée, et  la construction des maisons.

 « Par son degré de primitivité présumé, l’architecture pygmée n’a jamais suscité beaucoup d'intérêt. Elle n’est prise en compte que de façon annexe et comme évidente à cause de la facilité apparente de sa construction, de sa rapidité d'exécution et de son existence éphémère. Sa conception est imaginée au mieux comme une suite de gestes contingents alors qu’elle se révèle le fruit de techniques relativement efficaces qui permettent un jeu suffisamment souple pour une remise en question de ses volumes, de son orientation sous la triple adaptation au milieu, au « genre de vie » et aux structures sociales. » PdF

« L’utilisation du milieu s’appuie essentiellement sur le registre « solide, fibreux et souple », c'est-à-dire : bois, lianes, écorces, libers et feuilles. Il est bien évident que, dans de telles conditions, l’architecture n’est que le résultat d’une simple « cueillette » de matériaux utilisés à l'état brut. D’après C .M. Turnbull, le Pygmée ne coupait jamais, pour la travailler, une pièce de bois de plus de 2 à 3 cm de diamètre …» PdF

 « L’assouplissement préalable du bas de la tige régularise la flexibilité de toute la longueur de l’arc et, répété aux autres baliveaux, il confèrera ce phénomène ressort à toute l’armature. Cette qualité sera encore renforcée lorsque d’autres tiges et arcs s’imbriqueront les uns dans les autres par un tressage qui prendra peu à peu l’aspect d’un treillis dont le maillage offrira des cotes de 10 à 20 cm. » PdF

Ce geste est essentiel, en ce qu’il permet d’apprécier souplesse et résistance des tiges.

« Sites et circonstances : Plusieurs critères sont retenus : proximité d’un marigot, légère éminence, qui évitera les inondations, sol dégagé, présence de grands arbres, inspection des cimes des arbres, pour éviter la chute de branches mortes. Lors de ce choix, les Pygmées tiennent en premier lieu compte de toutes les traces d’animaux observées pendant la journée. »PdF,

Les animaux professeurs, voilà qui rappelle les Traces 28, et l’ours professeur…

« Le botoka est le campement formé de mongulu. Son plan, extrêmement mouvant, est comparable à un instantané photographique fixant les états d'âme d’une personne à un moment précis. Prévu pour une occupation relativement longue de quelques mois à une saison, le mongulu, bâti en forme de coupole, peut couvrir une surface de plus de 9 m2. Deux à trois heures sont nécessaires pour sa construction. »PdF

Suit le protocole précis, soigneusement illustré de dessins de l’éditeur … Comprenant la pose d’un poteau provisoire aidant à courber, puis à tisser ensemble les arcs, formant ainsi une coupole, à base proche d’un carré. Cet élément de base peut subir de nombreuses évolutions, suivant celles des familles, et du groupe.

« Le nomadisme a contraint les Pygmées à un cumul de biens minimum afin de ne transporter que l’essentiel durant leurs marches en forêt. La lance est, avec les produits de la cueillette, le seul bagage de l’homme. La femme porte une hotte à bandeau frontal et éventuellement sa progéniture en bas âge. Ce mode de vie limite le nombre d’objets, il exige aussi qu’ils soient légers et si possible jetables. Un instrument de musique, par exemple l’arc musical, est façonné avec des matériaux trouvés sur place, le Pygmée l’anime d’une mélodie, puis l’abandonne. Un abri, monté pour la durée d’une pluie passagère, aura le même sort. L’architecture pygmée est un accomplissement de la technologie nomade et l’organisation de l’habitat entérinera les rapports sociaux éphémères d’un groupe de chasse, souvent en renouvellement constant. »PdF

La  forêt ne souffre donc aucunement : « Tous les arbres dont le diamètre du tronc excède 15 cm sont laissés en place, ce qui confère au campement pygmée un aspect toujours encombré et explique ce tamisage de la lumière. » PdF

Puis les habitants quittent leur demeure :

« Le sous-bois reprend alors possession du terrain. L’emplacement des anciens camps n’est pas toujours effacé et il se décèle essentiellement par les taros, ignames, etc… qui ont poussé à partir des déchets… »

« L’habitation est toujours, à des degrés divers, issue directement du milieu et se trouve forcément en accord avec lui. Cette impression que « l’on ne saurait mieux faire » n’est le plus souvent qu’une constatation a posteriori, car un milieu, même le plus contraignant, peut encore laisser s’exprimer plusieurs types architecturaux. Pourtant cette architecture pygmée semble s’imposer non seulement en regard du milieu, mais aussi à celui du genre de vie nomade de la forêt. Elle s’inscrit dans une logique  également au niveau des techniques rudimentaires et indépendamment des aires culturelles. Cette unicité de l’architecture pygmée est-elle réellement redevable du milieu forestier, à ses sous-bois, ou faut-il se référer à un même fond culturel, à une « civilisation de la forêt » ? »PdF

Une civilisation qui a par ailleurs beaucoup à nous apprendre, sur le rapport à l’argent, mais aussi à l’espace :

Serge Bahuchet, dans «  Les Pygmées d'aujourd'hui en Afrique centrale » (1991), complète les propos de De Foy.

« C'est peut-être dans le rapport des Pygmées avec l'argent que se manifestent le plus nettement les problèmes qu'ils éprouvent à s'adapter au monde moderne. Société non monétarisée où la circulation des biens était très large, les groupes pygmées se voient confrontés au problème de la numération et du calcul de rentabilité, sans avoir reçu les moyens de les comprendre. » SB

Comment sauver forêts, et populations ?

« L'agroforesterie apparaît comme l'une des meilleures solutions d'avenir, puisqu'elle vise par une agro-sylviculture soigneusement étudiée au niveau régional, à domestiquer la forêt en la mêlant aux systèmes agraires, plutôt qu'à la faire disparaître. Dans une perspective d'exploitation et d'aménagement harmonieux, d'« anthropisation » de l'écosystème forestier, les forestiers professionnels que sont les Pygmées, pourvus d'un savoir ancestral inestimable, ont un grand rôle à jouer.» SB

« Habitat semi-permanent en forêt d'Afrique centrale » (2000) de Edmond Dounias et Serge Bahuchet, ouvre la question des territoires :

« Ces cabanes en forêt constituent en outre la base de réseaux complexes d'occupations et d'alliances, dont les liens sont assurés par les sentiers. Elles nous permettront de questionner sous un éclairage nouveau la notion de territoire, laquelle constitue aujourd'hui un enjeu majeur dans les politiques de gestion durable des forêts tropicales…Là où les peuples de la forêt joignent des points - l'habitat temporaire - par des lignes - les sentiers, notre référentiel géométrique trace des aires exclusives, ne pouvant en aucune manière restituer la complexité de réseaux s'interpénétrant, et reliant intimement les ressources, la mémoire, les croyances et l'identité. Une relecture du concept d'espace réticulé dans le contexte des forêts tropicales africaines offre une manière nouvelle d'appréhender les structures écologiques et spatiales des cultivateurs forestiers et les représentations mentales qui leur sont associées. Ces cabanes n'ont pas dévoilé tous leurs secrets. » ED+SB

Prochaines maisons, les malocas des Indiens de l’Amazonie…

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