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Billet de blog 4 janvier 2025

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Trace 86-Toucher du bois 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vivre dans la forêt, comme premier, et aussi ultime moyen de la protéger : après les Pygmées, nous allons en Amazonie, où, là aussi, les maisons sont biodégradables, ce qui rend l’archéologie difficile :

Les plus anciennes traces des maisons indiennes datent néanmoins de plus de trois mille ans : Selon Stéphen Rostain et Geoffroy De Saulieu, dans : “La première maison d’Amazonie. Le Formatif dans la province de Pastaza, Équateur” (2015) :

« Une fois la superficie décapée, près de vingt trous de poteau se détachèrent nettement du sol. Dans ce cas précis, au lieu de tailler un poteau, les Amérindiens ont utilisé un simple tronc ébranché en le mettant à l’envers. En effet, ils ont planté le tronc en fichant dans le sol l’extrémité étroite de la cime de l’arbre, tandis que la base, dense et large, se retrouvait alors en haut. Cette technique est astucieuse à plus d’un titre : elle limite la taille et l’élagage du tronc d’arbre, car le travail à la hache de pierre des arbres d’Amazonie souvent remplis de silice est particulièrement long et fastidieux. Elle permet ensuite, grâce à l’inertie du poteau, de l’enfoncer plus facilement dans le sol. Enfin, et c’est peut-être l’avantage le plus important, cela évite les risques de reprise de racines sur un tronc vert, conséquence fréquente en Amazonie, car la cime et le tronc n’ont pas de système d’absorption permettant de développer de nouvelles racines. » SR+GdS

La construction des malocas est évoquée par Mireille Guyot dans : « La maison des indiens Bora et Mirana » (1972) : « Située généralement aujourd'hui sur les bords d'une rivière principale, la maloca en était traditionnellement distante, installée dans un endroit surélevé de la forêt, proche d'un cours d'eau secondaire qui tenait lieu de fossé protecteur de l'approche de la maison et de salle d'eau pour la toilette des invités avant qu'ils y pénètrent. » MG

« La maloca est de forme octogonale, à une porte principale et une ou deux latérales réservées aux membres de la famille occupant la maloca. Du côté opposé à l'entrée, tout au fond, sont accrochés les hamacs du chef et de sa famille. Représentant du soleil sur la terre, il occupe la position la plus à l'Est. Le centre de la maloca, délimité par les quatre troncs verticaux qui soutiennent toute la structure, est le centre du monde,  cœur de la vie sociale et cérémonielle dans la réalité. »MG

 « Chaque famille nucléaire possède son propre feu au-dessous de l'endroit où sont accrochés les hamacs : il est alimenté toute la nuit, généralement par les femmes les plus vieilles ou quiconque se réveille….  Pendant les fêtes, plus de deux cents hamacs peuvent être suspendus en rang serré sur tout le pourtour de la maloca, laissant seul libre l'espace du milieu où ont lieu les danses. »MG

« Lors de la construction de la maloca la plus vaste et la plus importante dans la hiérarchie sociale, les quatre troncs verticaux du centre ne peuvent être coupés et mis en place que par des chefs, aînés de lignée qui ont reçu le nom de leur père au cours d'une fête de la poutre de danse. »MG

« Tout droit issue de la forêt, la maloca n'est constituée que d'éléments végétaux. Autrefois les troncs centraux des plus grandes malocas  devaient être du bois réputé le meilleur, odorant et de couleur rouge, utilisé aussi pour la fabrication des canoës, des statues sculptées et du tambour femelle …. Une fois abattus, les quatre troncs sont transportés à dos d'homme, de la forêt jusqu'à l'endroit choisi pour édifier la nouvelle maloca. »MG

« Après avoir abattu et mis en place les troncs verticaux et horizontaux de la structure fondamentale de la maison, les « travailleurs » s'en retournent chez eux. Ils reviennent environ deux semaines plus tard avec des provisions de palmes pour faire le toit. Quand un nombre suffisant de tuiles en feuilles sont prêtes, ils en recouvrent un des côtés du toit, puis interrompent de nouveau leur besogne, qu'ils termineront enfin une quinzaine de jours après. La construction d'une grande maloca dure donc au moins deux mois, dans le meilleur des cas. Située à même la terre qui sera damée par le piétinement des danseurs lors de son inauguration, la maloca ne possède pas de moyen d'accès spécial. » MG

On peut voir :

https://www.youtube.com/watch?v=BtKG5JaFxLA

Pierre-Yves Jacopin, dans « Ni maison, ni village : la maloca Yukuna-  Esquisse d’interprétation générative » (1992), nous raconte la vie, et la mort, de la maloca Yukuna :

 « Comme tous les Indiens de l’Amazonie nord-ouest, les Yukuna sont dits « semi-nomades » : tous les quatre ou cinq ans, ils abandonnent leur maison au moment où la toiture pourrit.  Il faut des années pour choisir un emplacement de maloca et le préparer : il faut aménager une clairière et procéder à des divinations magiques pour tenter de prévenir les calamités …C’est là le rôle du Maître de maloca. A peine une maloca est-elle terminée que ce dernier commence déjà à prévoir et à penser au site et à l’édification de la prochaine maison. S’il est souvent une figure charismatique, il n’est pas véritablement un chef, au sens occidental du terme car nul n’est véritablement tenu de lui obéir. »PYJ .

Où l’on retrouve Pierre Clastres (Traces 31) …

Une charpente qui structure une maison, mais aussi un mode de vie :

« Ce qui reste permanent malgré les aléas des mariages et les événements de la vie, c’est une représentation collective de la réalité : dans la mesure où cette dernière est en définitive l’expression d’un mode de pensée original, la conception du monde yukuna est le véritable fondement de la solidarité sociale. Voyons ce que cela signifie au niveau de l’habitation. L’habitation traditionnelle yukuna est une vaste nef circulaire de feuilles et de bois d’environ 10 m de rayon et de 10 m de haut. Toutes les malocas yukuna sont faites sur un modèle exactement identique, au point qu’il suffit de connaître une seule de ses dimensions  pour avoir les proportions de tout l’ensemble. » PYJ

«  A cette construction si soignée et si élaborée de la maloca correspond une organisation interne : chaque chose y a sa place, et il y a une place pour chaque chose. Les piliers centraux qui soutiennent la toiture définissent l’aire centrale où l’on reçoit les étrangers, où l’on écoute les mythes, où se passent les échanges cérémoniels et où l’on danse durant les grands « bals » rituels, etc. Puis à la périphérie des quatre piliers centraux se dressent les douze poteaux qui achèvent de supporter le toit et qui délimitent une zone intermédiaire circulaire où se déroulent les activités communes et plutôt masculine, lieu où les hommes se livrent aux activités artisanales (vannerie, confection des hamacs, des outils, des armes, des objets cérémoniels, de la nourriture pour les rites), également place de jeux des enfants, etc. Finalement les bas-côtés sont le domaine privé des familles. Après quelques années les premiers jardins sont peu à peu abandonnés (après quatre ou cinq ans ils deviennent moins productifs), si bien que chaque maloca étend toujours plus loin son réseau de cultures jusqu’à ce que finalement ses habitants décident de construire une autre maloca ailleurs. » PYJ

« On le voit, la maloca yukuna n’est pas qu’une magnifique nef de bois et de feuilles. Non seulement elle suppose mais elle engendre toute l’organisation sociale, de la division sexuelle des tâches aux échanges entre groupes exogames en passant par la division des tâches par âge… Bref avant d’être réelle la maloca est une entité mythique, et dans l’esprit des Yukuna c’est parce qu’elle est mythique qu’elle peut être réelle. En fait du point de vue yukuna il en est de la maloca comme de toute chose évoquée dans la mythologie : le soin méticuleux donné à sa construction, sa ritualisation vient du mythe. »PYJ

Mais les Yakunas nous enseignent à vivre ? Jacopin a son idée là-dessus :

 « En quoi les malocas amazoniennes ou le village bororo nous aident-ils à comprendre les villages “modernes” ? Ne faut-il y voir que des cas d’espèce négligeables tant ils sont extraordinaires et anachroniques ? Telle est la question que bien souvent l’anthropologue devine dans le regard des promoteurs du changement social. Prétendre que les apparences ne sont qu’apparences et que les enjeux ne se limitent pas à l’Amazonie, ne fait que susciter l’incrédulité. Car à quoi peuvent bien servir les Amazoniens ? A moins que pour des raisons qui leur sont étrangères, ils ne deviennent un enjeu national ou international entre écologistes, financiers, promoteurs industriels, partisans de l’interculturel, etc., pour les gens de terrain (orpailleurs, prospecteurs, militaires, missionnaires, agents du gouvernement, trafiquants et autres aventuriers) ils ne sont le plus souvent que des empêcheurs de danser en rond. »PYJ

Ce qui nous convient parfaitement. Encore faut-il savoir comment déployer cet art de trouble-fête : nous parlerons prochainement stratégie. Et nous y retrouverons d’autres cabanes …

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