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Billet de blog 4 février 2025

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Trace 139-Moulins 2

Avant d’être des masses animées de mouvement, générant une énergie cinétique, des Joules, des Watts, convertibles en Tonnes d’équivalent pétrole, air et eau sont des milieux vivants :

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Tant qu’il y a de l’eau dans les rivières …

Nous avons vu combien, entre l’outil « convivial » cher à Illich, que promettait l’utilisation de l’énergie éolienne, et ses développements actuels, s’ouvraient des contradictions. Ici, nous en croiserons d’autres, parlant de l’énergie hydraulique, entre promesses d’améliorations sociales et simple respect du vivant.

Cité dans le texte précédent, Jimmy Grimault refusait la réduction aux éoliennes de toute utilisation de l’énergie cinétique du vent. Ainsi, nous continuerons ici à parler de moulins, qu’il s’agisse des barrages titanesques, comme des modestes moulins domestiques, installés sur un ruisselet.

Des moulins, il fut déjà question  dans les Traces 22 et 67 : moulins comme moyens de colonisation économique d’un territoire de la part des monastères clunisiens, moulins comme signes d’appropriation d’un cours d’eau.

Si dans le précédent texte, nous avons fait peu de place aux inquiétudes que suscitent les éoliennes quant aux oiseaux, ici l’impact des moulins, de leurs systèmes de digues, de biefs,… sur la vie halieutique sera une de nos priorités : j’ai évoqué Trace 65, mon expérience à l’Agence de bassin Adour-Garonne, soupesant la vie des poissons dans l’Hers Vif d’un côté,  la centrale nucléaire de Golfech de l’autre. D’ailleurs, les centrales et leurs turbines sont, à leur façon, comme les moulins à eau, dépendantes des niveaux d’étiage des fleuves qu’elles viennent  aussi hélas réchauffer.

Pour situer de nouveau la question de l’énergie : L'électricité représentait 24,7 % de la consommation finale d'énergie en France en 2019. L'hydroélectricité est la première source d'électricité renouvelable en France et la deuxième source d'électricité française, elle couvre environ 10 % de l'électricité consommée. En tout 10% de 24,7 % ne fait guère que 2,5% de notre dépense énergétique : précieuse car « propre », mais à évaluer quant aux conséquences sur le vivant.

Dans le contexte du changement climatique,  le débit des fleuves et rivières compte, certes, mais aussi la qualité de leurs eaux, leur maintien en vie. Nous aurons bientôt l’occasion de parler pollution des cours d’eau (Trace 142 et 143), ici nous parlerons vie halieutique : poissons donc, écrevisses, … Car, avant d’être des masses animées de mouvement, générant une énergie cinétique, des Joules, des Watts, convertibles en Tonnes d’équivalent pétrole, air et eau sont des milieux vivants :

« Tous les matins Antonio se mettait nu. D’ordinaire, sa journée commençait par une lente traversée du gros bras noir du fleuve. Il se laissait porter par les courants, il tâtait les nœuds de tous les remous ; il touchait avec le sensible de ses cuisses les longs muscles du fleuve et, tout en nageant, il sentait, avec son ventre, si l’eau portait, serrée à bloc, ou si elle avait tendance à pétiller. De tout ça, il savait s’il devait prendre le filet à grosses mailles, la petite maille, la nacette, la navette, la gaule à fléau, ou s’il devait aller pêcher à la main dans les ragues du gué. Il savait si les brochets sortaient des rives, si les truites remontaient, si les caprilles descendaient du haut fleuve et parfois, il se laissait enfoncer, il ramait doucement des jambes dans la profondeur pour essayer de toucher cet énorme poisson noir et rouge impossible à prendre et qui, tous les soirs, venait souffler sur le calme des eaux un long jet d’écume et une plainte d’enfant. » Jean Giono « Le chant du monde » (1934).

Texte à mettre en relation avec celui d’Elisée Reclus, dans « Histoire d’un ruisseau »(1869) : Loin d’être indifférent à la vie animale présente dans le ruisseau, il y écrit  : « Pourvu que sa masse liquide y suffise, le ruisseau substitue sa force à celle des bras humains pour accomplir tout ce que faisaient autrefois les esclaves de guerre ou les femmes asservies à leur brutal mari : il moud le blé, brise le minerai, triture la chaux et le mortier, prépare le chanvre, tisse les étoffes. Aussi l’humble moulin, fût-il même rongé de lichens et d’algues, m’inspire-t-il une sorte de vénération : grâce à lui, des millions d’êtres humains ne sont plus traités en bêtes de somme ; ils ont pu relever la tête et gagner en dignité en même temps qu’en bonheur. » ER

La vie d’un ruisseau est formée d’équilibres complexes et fragiles.

Pour se concentrer sur un exemple, celui du bassin du Sornin, on peut consulter le « Manuel du riverain et des usagers de la rivière »(2013),

http://www.symisoa.fr/fr/information/7294/manuel-riverain

riche d’informations, mais aussi de conseils pratiques.  On y apprend à quel point une rivière est fragile, comment son sort dépend de la ripisylve, et on y  lit notamment ceci : «  La présence d’obstacles peut constituer un facteur limitant le développement ou le maintien des espèces de poissons si les zones de reproduction sont inaccessibles ou trop limitées entre deux obstacles. Les poissons doivent pouvoir se déplacer pour accéder aux différents milieux propices au déroulement des phases principales de leur cycle biologique : reproduction, grossissement des jeunes et production de géniteurs. La possibilité de circuler d’un habitat à un autre est obligatoire pour la survie de la plupart des espèces, et garantit la pérennité des populations et leur fuite notamment en cas de crise (sécheresse, pollution…). Cette fragmentation de la continuité des milieux aquatiques compte parmi les facteurs limitants majeurs au maintien de certaines espèces et populations de poissons. Même si toutes les espèces n’ont pas les mêmes exigences en termes de déplacements, elles sont toutes concernées par ce besoin, en particulier sur les ruisseaux où le fractionnement est important. » SYMISOA

Il faudrait donc créer des passes à poissons. Pas si simple ! On peut lire le travail détaillé de deux condisciples hydrauliciens de l’ENSEEIHT, qui distinguent finement les habitudes de chaque poisson, et comment les respecter : https://hmf.enseeiht.fr/travaux/bei/beiere/book/export/html/1086

Ainsi on comprend mieux la vigueur des échanges entre propriétaires de moulins et associations environnementales : sur l’opposition entre  la production d’une énergie « propre », et la protection de la vie dans les ruisseaux, on lira les articles de Reporterre.

https://reporterre.net/La-bataille-des-moulins-engage-le-destin-des-rivieres

https://reporterre.net/La-multiplication-des-microbarrages-menace-les-dernieres-rivieres-sauvages

https://reporterre.net/En-Haute-Loire-l-opposition-monte-contre-des-projets-de-minicentrales

Derrière les affrontements à la Chambre des Députés, se joue deux visions de l’écologie : l’une, défendant l’énergie hydro-électrique, l’autre les poissons, sur fond de réchauffement climatique, et donc des eaux, et d’empoisonnement de ces eaux, sans doute plus dommageables à la faune que les seuils et autres obstacles…

Extraits :

« France Nature Environnement alerte sur cette « fausse bonne idée » : « La production d’électricité de ces petits barrages hydroélectriques représente à peine 0,3 % de la consommation d’électricité en France, souligne l’ONG. Leur contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France serait donc négligeable, pour un effet très fort sur la biodiversité des milieux aquatiques. /…«Nous avons besoin d’une véritable concertation autour de ces projets mais cela prend du temps et demande des moyens humains », dit Olivier Berland. Animateur au sein d’ « Énergie partagée », une association qui accompagne et finance des projets citoyens d’énergies renouvelables, il réfléchit depuis plusieurs mois à une charte de l’hydroélectricité, pour définir les lignes rouges et les points verts. « L’hydro peut être une solution renouvelable, locale, mais il faut la réfléchir au plus près du terrain, par un travail de médiation, d’étude d’impact très poussée », dit-il.

« Il y a bien d’autres sources de dégradation des eaux, s’agace Joseph Guibert : «   L’épandage de pesticides, le ruissellement du sel sur les routes, les produits industriels. Il y a aussi eu le drainage des zones humides et des marécages. » Il dénonce le « double discours des pêcheurs », qui se présentent comme des « protecteurs de la nature » mais « vont pêcher avec des 4x4 et empalent des vers de terre au bout de leur hameçon ». Reporterre

Enfin ceci, qui paraît plus sage : « Pour sortir de la dispute, Claude Miqueu , qui préside un groupe de travail au sein du Comité national de l’eau, prône une « politique apaisée de la continuité écologique » : « Il faut plus de dialogue et des réponses au cas par cas, car chaque rivière et chaque moulin sont différents » Reporterre

Moulins à paroles, moulins à prières…

Dans « Culture écologique », de Pierre Charbonnier, on lit : « En réponse directe au spiritualisme de Gandhi, Nehru assimile les barrages hydro-électriques à des « temples modernes ». Discours de 1964.

Cinquante ans après Arundhati Roy dénonce une vraie religion du progrès : « Argumenter à propos des grands barrages est comme argumenter à propos de la religion. Il y a un tel mythe en Inde à ce sujet que personne ne veut vous écouter. » 

https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/08/01/la-romanciere-arundhati-roy-a-la-tete-du-combat-des-ecologistes-indiens_3582797_1819218.html

Nous ne prétendons pas ici régler les problèmes énergétiques d’un pays, fût-ce la France. Notre projet, trouver l’autonomie de petites communautés humaines, est bien plus réduit, et ne se règle pas à coup de grandes envolées lyriques. Qu’au moins la présente recherche nous ait enseigné l’humilité, ce serait bien, avant d’aller saluer Sa Majesté Soleil dans les prochains textes.

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