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Billet de blog 4 avril 2025

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Trace 198-Clairières 4

« La véritable question pour les naturistes libertaires n’est pas tant la propriété des moyens de production ou l’organisation politique de la production. L’objectif des naturistes libertaires c’est avant tout le bonheur..." Thomas Coste

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Retournons dans les clairières libertaires du début du XXème siècle : des précurseurs ?

La thèse d’histoire de Thomas Coste : « Le naturisme libertaire de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle » (2019) raconte ces tentatives, que l’expression « milieux libres » décrit mieux, à mon sens. L’auteur veut démontrer en quoi ceux-ci furent d’utiles précurseurs de mouvements survenus 50 ou 100 ans plus tard : « L’histoire des milieux libres, en tant qu’ils représentent des « possibles », qu’ils rappellent le mouvement de retour à la terre des années post-68 et qu’ils font écho aux concepts plus contemporains de bio-région et de résilience dans un contexte de peur d’un effondrement des sociétés, est nettement reprise par les militants anarchistes contemporains dans des brochures et sur des sites internet »TC

Dans « Technocritiques : du refus des machines à la contestation des technosciences » (2016) , François Jarrige dépeint les Naturiens comme les précurseurs de la décroissance : « À l’instar de Jarrige, en faisant l’histoire de ces individus, de ces groupes, nous leur donnons la possibilité d’exister à la fois en tant que mouvement et ainsi reconnaître leurs idées, non pas comme une excroissance dégénérée de l’anarchisme ou issue d’une radicalité juvénile du naturisme, mais comme des idées originales, réfléchies, qui s’inscrivent dans un contexte particulier de fin de siècle. » TC

Nos priorités : « Nous avons délimité trois grands thèmes qui, nous pensons, forment les bases des théories naturistes libertaires : LE RETOUR A LA NATURE, LA CRITIQUE DE LA SCIENCE ET DES TECHNIQUES ET LA REFORME INDIVIDUELLE. » TC

VAUX : Un essai d’organisation anarchiste : « Le bulletin de janvier 1905 revient aussi sur le fonctionnement général de la colonie où « aucune règle n’est établie, pas plus pour la production que pour la consommation, chacun est juge, agit selon ses forces et ses besoins »  TC

Un rapport ambigu aux machines, dénoncées publiquement, appréciées dans les champs : « Cette partie prospectiviste des colons est intéressante car elle montre le faible impact des idées naturistes libertaires, notamment dans sa critique du machinisme, sur le milieu libre. La machine, ici, n’apparaît pas comme un moyen d’asservissement et de destruction mais comme la possibilité, enfin, pour les colons, de se reposer, de travailler moins et de vivre mieux. La machine, pour les colons, est le seul moyen d’écarter l’exploitation et seule « l’acquisition de machines agricoles leur fera goûter les plaisirs de la vie libre »TC

Cette dénonciation de la technique est mal vue de toute une partie du mouvement : « La lutte contre les défenseurs du progrès semble compliquée pour ces anarchistes puisque, jusque dans leurs propres rangs, d’autres anarchistes défendent la science, l’industrie, le machinisme, le progrès et en font les outils de la victoire de la classe ouvrière sur le capitalisme. » TC

Une multiplication d’expériences a lieu : « Le milieu libre de Vaux n’est pas la seule expérience de ce type qui a eu lieu. Entre 1903 et 1924, une quinzaine de colonies ont vu le jour. » TC

AIGLEMONT : Germe l’idée de la propagande par l’exemple : « Né presque en même temps que celle de Vaux, l’Essai d’Aiglemont, lancé par un personnage hors-norme, Fortuné Henry, dura de 1903 à 1909. L’Essai de Fortuné Henry se développe rapidement. Des colons le rejoignent, des bâtiments sont créés grâce à la présence d’un colon maçon et le maraîchage organisé par le compagnon André Mounier, ingénieur agronome, est rapidement productif… Enfin, contrairement au milieu libre de Vaux, l’Essai bénéficie d’un soutien de taille dans le milieu anarchiste : le journal Le Libertaire de Matha et Sébastien Faure. Fortuné Henry fait venir des photographes qui vendent des photos de la colonie à travers la France entière. » TC

PAUL ROBIEN : une expérience allemande intéressante, entre technocritique et ornithologie : « Paul Robien et ses compagnons divisent leur journée entre expéditions scientifiques le matin et pratique agricole l’après-midi. Le côté scientifique est central pour Robien, et en décembre 1922, il indique que les colons pratiquent l’ornithologie, l’entomologie et la botanique. Paul Robien développe aussi un argumentaire technocritique puisqu’il écrit que « nous nous méfions de la technique et de la chimie qui sont, pour ainsi dire, les fondements du capitalisme et du militarisme moderne qui ont empoisonné et treillissé la terre/…/ L’idée de Paul Robien est de créer des Naturwarten dans le monde entier, « des petits territoires, où l’homme puisse faire en paix des études biologiques et prendre la nature maltraitée sous sa protection. On établirait ces territoires par préférence aux côtés de la mer, aux bords des fleuves, aux places où se rassemblent et se reposent les oiseaux de passage » Enfin, Paul Robien défend l’idée que « ce n’est que la nature qui puisse guérir les hommes dénaturés du délire du capitalisme, du militarisme et des cultes religieux » TC

AGE D’OR  : « Pour Émile Gravelle, la nature, qui correspond à celle d’un âge d’or, est celle d’un état naturel qui correspond le plus souvent à la forêt. Comme il l’explique dans une réunion du groupe des Naturiens le 21 mai 1895, « pour qu’il soit possible aux hommes d’Europe de retourner à l’état naturel il faudrait [une] immense hécatombe […] qui permette à la terre de se recouvrir des vastes forêts qui verdissaient le sol il y a quelques milliers d’années » TC

Souhaitons que ce vœu ne soit pas exaucé, même si nous en prenons bien le chemin. Cette idée d’âge d’or est basée sur des lectures erronées, le « Supplément au voyage de Bougainville » de Diderot étant un conte philosophique, non un récit de voyage : « Ainsi, un indicateur de police écrivait dans son rapport du 6 juin 1901 que « c’est de Diderot que les anarchistes de la rue de Maistre considéreraient comme un chef… s’ils admettent un chef ! » alors que pendant la réunion de la veille, Renou avait lu un passage du Voyage de Bougainville à Tahiti et qu’il a été abondamment applaudi » TC

FORETS : Sur la forêt, la préoccupation est  partagée par tous  les naturistes libertaires français, qui s’opposent au déboisement : « Henri Zisly commence par écrire que « les pages qui suivent sont un appel au bon sens, un cri d’alarme contre le déboisement dévastateur et continuel des forêts »  même si en France, le déboisement est alors en net recul. Ce point de vue en faveur de la protection des forêts marque l’importance qu’accordent les naturistes libertaires à ces milieux. »TC

Les conséquences de ces déboisements sont déjà clairement perçues par eux : « En janvier 1910, de nombreuses inondations ont eu lieu à Paris, en province, ainsi qu’à l’étranger. Nous l’avons déjà expliqué et prouvé que la cause en est au déboisement, à la destruction et exploitation des carrières, à l’existence des villes, etc. » TC

ANTICOLONIALISME : Une position anticolonialiste très claire,  rare à l’époque, fondée sur un souci de préservation des cultures :   « Pour les naturistes libertaires, la colonisation est l’arme de la civilisation pour mettre à bas les derniers vestiges des sociétés primitives, desquelles il faudrait pourtant prendre exemple. » TC

POLLUTION : Sur les dangers liés à la pollution et aux conditions de travail : « Ainsi, lors d’une réunion du groupe des Naturiens au 30 avril 1901, un des compagnons, Prudhomme, fait une conférence sur le blanc de céruse contenu dans les peintures. La céruse, qui contient du plomb, est un polluant à la fois nocif pour les humains qui l’aspirent et pour l’environnement. Au tournant du XXe siècle ce sont les travailleurs du bâtiment, et plus particulièrement les peintres et ponceurs qui sont les victimes de ce produit. »TC

UNE IDEE DU BONHEUR : « La véritable question pour les naturistes libertaires n’est pas tant la propriété des moyens de production ou l’organisation politique de la production. L’objectif des naturistes libertaires c’est avant tout le bonheur... Pour les naturistes libertaires, le travail à l’usine est intrinsèquement mauvais. Ce n’est que par le retour à la nature, que l’humanité peut atteindre un bonheur suffisant. » TC

UNE TRANSFORMATION DE SOI : Il y a refus de choisir entre révolution et transformation personnelle : « La révolution qu’appellent de leurs vœux les socialistes et quelques naturistes libertaires doit en fait d’abord passer par une transformation de soi, intellectuelle, morale, spirituelle et physique. » TC

Même si, comme sur l’exemple de l’alimentation, les débats font toujours rage : « En 1901, alors que Rolande rejoint le groupe, elle demande « que les Naturiens et tous les anarchistes deviennent végétariens et soient doux envers les animaux ». Cette exigence crée un débat au sein du groupe et est rejetée. Selon l’indicateur de police qui suivait la réunion, « il y a eu forte contradiction, séance animée et tapage » TC

Selon nous, sur maints sujets, les milieux libres ont ouvert la voie. De  ces clairières-là, nous partirons par voie des lianes, pour d’autres clairières.

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