En guise d’introduction, ces extraits de « La vie des plantes » (2016) d’Emanuele Coccia :
« Les plantes n’ont pas besoin de la médiation d’autres vivants pour survivre. Elles ne la désirent pas. Elles n’exigent que le monde, la réalité dans ses composants les plus élémentaires : les pierres, l’eau, l’air, la lumière. Elles voient le monde avant qu’il ne soit habité par des formes de vie supérieures, voient le réel dans ses formes les plus ancestrales. Ou plutôt, elles trouvent de la vie là où aucun autre organisme n’y parvient. Elles transforment tout ce qu’elles touchent en vie, elles font de la matière, de l’air, de la lumière solaire ce qui sera pour le reste des vivants un espace d’habitation, un monde. »EC
« Grâce aux plantes, le Soleil devient la peau de la Terre, sa couche la plus superficielle, et la Terre devient un astre qui se nourrit de Soleil, se construit de sa lumière. Elles métamorphosent la lumière en substance organique et font de la vie un fait principalement solaire. »EC
« Manger, c’est déjà reconnaître, avec ses actes, la centralité du Soleil et de son énergie, chercher sur terre un rapport indirect avec lui : tout composé organique est, de manière directe ou indirecte, le résultat de l’influence de l’énergie solaire capturée par les plantes et transformée en masse organique, en matière vivante. Chaque fois que nous mangeons, nous essayons de rattraper notre incapacité à absorber immédiatement cette énergie que les plantes exploitent. Notre corps n’est que l’archive de ce que le Soleil offre à la terre. »EC
Depuis 500 millions d’années donc, il est un laboratoire où s’affinent les stratégies pour mieux capter l’énergie solaire, et en tirer de quoi vivre, et faire vivre alentour : ce sont les plantes, de l’algue à l’arbre, passant par mousses et fougères. Rivaliser avec la photosynthèse, ces 500 millions d’années d’expérience, pas possible. Chaque feuille est un chef d’œuvre. Toutes sont différentes. Chacune, suite à la construction de la structure de l’arbre, vient à la place idéale pour capter l’énergie solaire… Si l’on ajoute que l’ensemble de ces dispositions est par ailleurs lui-même toujours mouvant, car en croissance permanente, on imagine là l’intelligence globale mise en œuvre.
« L’Architettura degli Alberi » (1983) de Cesare Leonardi et Franca Stagi, ce très beau livre, montre l’incroyable profusion de formes, la diversité inter et intra spécifique, qui vient comme un jeu d’improvisation à partir du thème obligé : vivre, et donner vie. De nombreuses études sont engagées, pour essayer de comprendre, et d’anticiper, la croissance des arbres, et aussi, hélas, leur éventuelle fragilité par rapport au changement climatique. Là n’est pas le lieu pour aller plus avant, mais seulement de s’émerveiller, et d’admirer les ressources infinies qui nous entourent.
Est venue l’idée de profiter directement de la photosynthèse : l’exemple qui suit m’est sympathique.
“Des scientifiques péruviens ont imaginé un système autonome et durable capable de capter l’énergie de la photosynthèse d’une plante pour ainsi créer de l’électricité. Un modèle nommé "Plantalámpara" permet désormais d’apporter la lumière aux populations rurales vivantes dans la forêt amazonienne.
Quand l’homme contemple son environnement et s’inspirent de la mère nature, le résultat peut être extraordinaire. Cette même nature, dans toute sa splendeur, lui apparaît alors comme une source d’ingéniosité, de sagesse et le dirige dans la bonne direction. Il est fréquent que les solutions aux problèmes qui nous préoccupent le plus, soit moins complexes qu’elles n’y paraissent. En voici un exemple avec “Plantalámpara”, en lampe révolutionnaire qui fonctionne avec de l’électricité issue de la photosynthèse des plantes.
Amener la lumière au fin fond de la forêt amazonienne : 42% de la population rurale n'a pas accès à l'électricité dans l’immense forêt d’Amérique du Sud. Partant de cette réalité, un groupe de chercheurs péruviens a voulu développer un système ingénieux combinant la production d'énergie propre et l’utilisation de plantes locales.
Le projet a été accueilli, imaginé et développé par les enseignants et les étudiants de l’Université d'Ingénierie et de Technologie du Pérou (UTEC). Le dispositif qu'ils ont créé est une solution durable au problème d'absence de lumière de la communauté de New Saposoa, qui vit dans la jungle Ucayali. Dans cette partie rurale du Pérou, le taux d’accès à l'électricité est le plus bas du pays.
Dans cette région, l'approvisionnement en électricité a toujours été complexe. Une complexité due aux inondations à répétition et au manque de routes. D'autre part, la jungle Ucayali connaît des problèmes environnementaux et sanitaires liés à l'utilisation de briquets à l'huile de moteur, c’est-à-dire un système qui engendre des gaz nocifs et polluants. Il était alors urgent de remédier au problème du manque d’électricité de manière propre et durable.
Un fonctionnement basé sur la photosynthèse : La science nous explique que lors de la photosynthèse, une plante absorbe le dioxyde de carbone de l'atmosphère, la lumière du soleil, l'eau et les minéraux de la terre. Ce processus lui permet d’obtenir les nutriments dont elle a besoin pour se développer. À la suite de cela, les excédents sont rejetés dans la terre par les racines. Ils interagissent avec les micro-organismes vivants et génèrent des électrons grâce à un procédé électrochimique.
Le projet Plantalámpara (traduite par lampe à énergie végétale - ndlr) repose sur une idée simple, celle de placer des électrodes dans la terre et ainsi récupérer l’énergie libérer par la plante pour créer un flux de courant et recharger une batterie. Un ensoleillement journalier permet de générer de la lumière pendant environ deux heures.” Bioalaune.
Devant toute cette technologie, on serait tenté de refluer vers une utilisation directe du carbone stocké, soit par le bois, et utilisé sus forme de pellets, mais nous avons vu avec Jean- Baptiste Vidalou, (voir Traces 95), dans « Etre forêts- Habiter des territoires en lutte » (2017) combien cette pratique industrielle, infiniment réductrice quant aux arbres, pouvait aboutir à une destruction des forêts.
Et le bois en bûches ? Une bûche de bois est certes de l’énergie solaire concentrée. La couper, la porter vers sa cheminée utilise une autre forme d’énergie solaire condensée : notre corps, comme on l’a vu plus haut.
Rappel : un stère de chêne (20 % d'humidité), qui pèse 530 kg, produira environ 2 000 kWh d’énergie ; un stère de résineux (20 % d'humidité), qui pèse 380 kg, produira environ 1 500 kWh d’énergie. S’il faut 10000 kWh pour chauffer un logement, cela fait 5 stères de chêne, 1900 kg de bois à porter, 10 par jour sur 6 mois.
En France, 1 milliard de m3 de chêne sur pied, ou 57 000 ha, produisant 340 000 m3/an, soit de quoi chauffer 68000 logements….Nous voilà loin du compte, et le chêne a lui aussi, heureusement, bien d’autres usages. Nous en reparlerons.
Faut-il se tourner vers les nouvelles fibres à la mode, comme le miscanthus, qu’utilise notamment le laboratoire INRAE de Nancy-Champenoux pour son chauffage ? « Une chaufferie bois expérimentale a été installée pour venir en complément de la chaudière gaz du site existant. Elle utilise le miscanthus, cultivé et exploité sur le site par l’INRA, en complément de plaquettes bois. Un hangar a été construit, dans le cadre du projet, pour son stockage » Tectoniques architectes.
Mais Hélène Tordjman, dans « La croissance verte contre la nature-Critique de l’écologie marchande » (2021), nous a mis en garde (T133), contre les risques que présente pour l’alimentation mondiale la mise en culture de vastes zones destinées à fournir des « bio-énergies ». Il faut souligner ici qu’utiliser le bois mort ramassé en forêt, comme cela se pratiquait avant les « enclosures », ne fait que le soustraire au pourrissement qui renverrait dans l’atmosphère le CO2 capté par l’arbre au cours de sa croissance, tandis que la combustion d’une culture industrielle type miscanthus crée finalement un rejet net de CO2…
Est-ce donc indétortillable ? Question d’échelle.
Nous arrivons au terme de ce premier tour de piste des différentes énergies renouvelables avec de grands doutes, et quelques certitudes.
Doutes sur les effets pervers que peuvent présenter quelque choix que ce soit, dès lors qu’il est appliqué de façon massive, et centralisée.
Certitudes sur le fait que chercher, plutôt que d’avoir un réseau national, à avoir des réseaux locaux d’énergie, chacun constitué sur les ressources propres au lieu : vent, rivières, mer ou océan, soleil, forêts, … conduirait à plus de responsabilisation, et à moins de gaspillage.
Certitudes aussi sur le fait que réduire de manière drastique toute dépense d’énergie est la première des choses, ceci nous renvoyant vers la décroissance déjà évoquée dans les Traces 69 et 70, et qu’il faudra traiter de nouveau, de manière plus approfondie.
Devant la multitude de cercles vicieux enclenchés par le maintien de notre mode de vie, nous serions tentés de prendre modèle sur les plantes, particulièrement les arbres, qui savent, à partir du soleil, fabriquer l’ombre, cet antidote.
D’une certaine façon, nous serons à l’ombre dans les prochaines traces, intitulées « Eloge de l’ombre », comme l’essai de Tanizaki Yunichirô…