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Billet de blog 5 février 2025

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Trace 429-Subsistance 2

« Il s’agit d’une possibilité pour les citadins de ne pas se rendre à nouveau dépendants des entreprises et de la seule logique de l’accumulation, mais de bâtir des villes différentes, à la fois urbaines et rurales, où le principe directeur sera la production et la reproduction de la vie. C’est déjà ce qui se prépare à Détroit. » Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous reprenons aujourd’hui « LA SUBSISTANCE – UNE PERSPECTIVE ECOFEMINISTE » (1997- trad. 2022) de Maria Mies et Veronika Bennholdt- Thomsen.

CHAPITRE 4 – LA SUBSISTANCE ET LE MARCHE

Soyons clairs : « Les relations d’échange ont toujours existé : quelle que soit la période historique considérée, il est tout simplement impossible d’imaginer une société  sans aucune relation d’échange… Mais il y eu en revanche des relations d’échange qui obéissaient à une morale différente de celle qui prédomine dans la société de maximisation du profit. »

On trouve ici une autre lecture, critique, de Polanyi, rencontré Trace 371 : « Karl Polanyi, dans « La grande transformation » (1944)  a montré comment l’économie s’est mise à déterminer le type de société existant, au lieu de l’inverse, comment on a enlevé à la nature son caractère naturel pour la réduire à un facteur dans les calculs de production, tandis qu’on attribue au marché un caractère naturel comme si ses mécanismes échappaient à l’influence humaine… Mais il n’a pas compris que ce qui était insupportable au niveau de la société dans l’économie de marché tournée vers le progrès technologique, c’est la destruction de la dimension de subsistance de l’économie, pourtant essentielle à la vie. »

CHAPITRE 5 – LA SUBSISTANCE EN VILLE

Avant de voir Détroit, dans la Trace 430 : « Dans une anthologie consacrée à l’écoféminisme, Rachel L. Bagby a raconté comment sa propre mère a aménagé des jardins au beau milieu d’une zone industrielle abandonnée à Philadelphie dans les années 1980… et comment elle a, de ce fait, guéri la terre et produit de la nourriture, mais aussi construit une communauté villageoise de 5000 âmes en ville. »

D’une manière générale, et comme l’ont montré tant de Traces relatives à la construction des villes : « La ville moderne est incapable d’assurer sa propre existence et de se régénérer par ses propres moyens. Elle a besoin d’un arrière-pays d’où elle importe la nourriture pour ses citoyens…, et pour y déposer ses déchets… »

Mies et Bennholdt y voient une relation de sujétion : « Comme dans toutes les relations de maître à esclave, la partie qui domine dépend pour sa survie et sa vie matérielle de la partie qu’elle exploite, dévalorise, déshonore, marginalise, qu’elle exclut de la vie sociale et culturelle… Ni la libération des femmes, ni la décolonisation des pays du Sud, ni le sauvetage de la nature ne pourront s’accomplir à moins d’une transformation radicale de cette relation entre la ville et la campagne. »

Prenant de nombreux exemples, de Nairobi à Moscou, de Brême à Tokyo, les autrices soulignent : « Jusqu’à 15% des besoins alimentaires sont produits dans les villes mêmes du Sud, mais comme cette production est presque exclusivement effectuée par les femmes, elle transparaît à peine dans les statistiques. »

Les règles relevées à l’occasion peuvent se résumer ainsi : « 1 . Auto-organisation des consommateurs et des producteurs … 2. Suppression de la séparation entre lieux de travail et lieux de vie… 3. Amélioration de la production grâce à l’emploi de méthodes écologiques.

Mais les campagnes peuvent aussi évoluer : « Lorsque des jeunes bien formés désireront à nouveau vivre à la campagne et, par-dessus tout, lorsqu’ils pourront trouver du travail à la campagne, l’espace rural redeviendra séduisant. Et alors la campagne sera aussi un lieu de culture. Tous nos concepts actuels de nature et de culture devront changer radicalement. »

L’enjeu, que nous essayons de  partager ici depuis le début, serait de bâtir des villes différentes : « Il s’agit d’une possibilité pour les citadins de ne pas se rendre à nouveau dépendants des entreprises et de la seule logique de l’accumulation, mais de bâtir des villes différentes, à la fois urbaines et rurales, où le principe directeur sera la production et la reproduction de la vie. C’est déjà ce qui se prépare à Détroit. » Comme nous le verrons.

CHAPITRE 6 – DEFENDRE, SE REAPPROPRIER ET REINVENTER LES COMMUNS

En Allemagne, mais aussi partout dans notre prétendu « village global », les mêmes processus sont à l’œuvre : « Si l’on se contente d’étudier les processus en cours au niveau du village dans une société industrialisée comme l’Allemagne, on omet la moitié du contexte…. Nous devons partir à l’autre bout du monde et observer ce qui arrive aux communs là-bas. Ceux qui gèrent les ressources mondiales depuis les locaux de la Banque Mondiale, du FMI, ou des multinationales utilisent souvent le concept de « village global ».C’est au nom du développement, du progrès et de l’efficacité que l’on justifie la destruction, le morcellement et la confiscation par privatisation des biens communs locaux et des communautés du Sud. »

Des résistances sont possibles, comme en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où 97% des terres sont des biens communs. En témoigne cet extrait de lettre au Premier Ministre en Papouasie : « Le Premier Ministre nous réduit au néant alors que nous nous savons abondamment pourvus en ressources. Ce que nous possédons fait de nous un peuple riche…En fin de compte, on ne peut pas faire confiance au gouvernement ou aux grandes entreprises lorsqu’il s’agit de contrôler nos terres coutumières. C’est à nous de contrôler nos propres terres. »

Une lutte qui paie : « Les institutions ont dû céder, impuissantes face à des communautés qui appliquent fermement ce principe : garder la maîtrise de la terre. »

Même des composants peuvent être biens communs : « Jeremy Rifkin écrit : Le brevetage représente le point culminant de cinq cent ans de privatisation des biens communs de la planète… Désormais, on a même confisqué, privatisé et réduit les composants de la vie à l’état de marchandises. »

Les autrices précisent : « Qui dit biens communs dit communauté… Aussi longtemps qu’il fonctionne, un système basé sur les biens communs relève d’une économie morale de subsistance. Dans cette économie morale, les frontières entre communauté humaine et nature ne sont pas inflexibles et infranchissables, mais perméables. L’économie n’est pas séparée de l’éthique, de la culture et de la spiritualité. »

Concernant forêts et bois, nous portons cet argument du rapprochement, qu’avancent Mies et Bennholdt : « Le problème du gaspillage montre qu’il est nécessaire de rapprocher de nouveau la production et la consommation. »

Qui voient émerger de nouveaux biens communs : « La création de jardins communautaires au milieu des ruines qui gisent dans les villes désindustrialisées ressemble à un mouvement de création de nouveaux biens communs. »

L’actualité apporte ici une confirmation : « Originaires du coin ou venus de plus loin, la plupart de ces bénévoles ont répondu à l’appel des Brigades d’action paysanne (BAP), un réseau citoyen belge d’appui à l’agriculture paysanne et au mouvement pour la souveraineté alimentaire. Impulsées en 2017,… les BAP sont nées « du constat qu’il manquait du lien entre les mangeurs et les agriculteurs » Reporterre

https://reporterre.net/Pour-renforcer-l-agriculture-paysanne-des-benevoles-belges-investissent-les-champs

Pour conclure : « On a séparé le besoin matériel concret du sentiment positif que suscitent les biens communs, c’est-à-dire le fait qu’ils permettent de survivre. On a séparé la morale de l’économie. Pourtant le sentiment moral survit, mais il est quelque peu suspendu dans le vide. »

CHAPITRE 7 – SALARIAT ET SUBSISTANCE

Cette fois il s’agira du Guatemala : « Les CPR sont les communautés des habitants en résistance, au Guatemala…Les CPR sont un mouvement de résistance à part entière. La terre y est propriété commune ; le travail est organisé collectivement sur la base du principe de réciprocité…. »

Prenant appui sur cet exemple, les autrices s’en prennent au salariat : « L’obsession du salariat est l’instrument même de l’idéologie patriarcale moderne… Le concept d’économie est réduit à la production de marchandises, comme le concept de travail est réduit au salariat… Or, le but du salaire n’est pas la reproduction d’une main-d’œuvre comprise comme étant à la source de la vie humaine, mais la reproduction de la main-d’œuvre en tant que marchandise.

 On songe au titre de Piero Sraffa : « Production de marchandises au moyen de marchandises » (1960)

Mais : « La vie se reproduit non dans l’échange avec le capital, mais dans l’échange avec la nature. Cependant, notre appareil idéologique moderne, notre culture moderne en fait, est conçu pour occulter ce constat banal et pourtant fondamental. »

Pour en finir avec le salariat : « Il faut que nous, qui vivons au cœur des pays du Nord, laissions de côté notre foi dans le progrès, le développement et dans l’idée que le salariat nous permet de vivre. Nous devons réapprendre à être entiers, et à retrouver la fierté et l’estime de soi qui découle du fait de ne pas vivre aux crochets d’autrui. Ce n’est qu’en adoptant cette attitude, associée à une orientation vers la subsistance, que nous cesserons d’être complices des meurtres au Guatemala, en Irian Jaya, au Nigéria et dans toutes les autres régions où le capital mondialisé mène une guerre sans merci. Cela signifie que chaque fois que nous prenons des décisions, grandes ou petites, NOUS DEVONS NOUS DEMANDER SI NOUS GAGNONS EN LIBERTE A SUBSISTER ou si nous nous laissons seulement embarquer dans une quête d’argent facile, dans une consommation effrénée qui nous aliène chaque jour davantage et dans une complicité face à toutes ces injustices. »

CHAPITRE 8 – LIBERATION DES FEMMES ET SUBSISTANCE

Le chapitre s’achève par cette mise au point : « Les principaux problèmes des femmes à travers le monde ne sont pas les questions de différence et/ou d’identité, mais l’exploitation, l’oppression, la violence et la colonisation…Sur cette terre, nous sommes reliées à toutes les autres créatures de la planète. Nous n’attendons pas que la liberté, la richesse, le bonheur et une vie bonne nous soient donnés pas quelque autorité transcendante… Nous fondons notre pouvoir d’autonomie non sur la domination technologique des autres êtres vivants ou des autres humains ni sur notre participation aux structures de pouvoir patriarcales et capitalistes, mais sur la confiance en soi et l’autonomie, l’aide mutuelle, l’auto-organisation, l’auto-approvisionnement, les réseaux locaux et internationaux, et sur le remplacement des relations de profit par les relations de subsistance. » Relations de subsistance, on le voit, toujours au centre du propos.

CHAPITRE 9 – SUBSISTANCE ET POLITIQUE

Cet ultime chapitre voit les autrices éditer des impératifs, d’un ton ferme :

« Il est évident que des mouvements qui recherchent l’autosuffisance au niveau régional ou local vont finir par entrer en conflit avec la politique mondiale du libre marché. 

Que peut représenter une politique de la subsistance maintenant ?

La politique de la subsistance n’est pas un modèle, mais un processus.

Quelques buts qui nous paraissent importants :

Il faut absolument que les consommateurs qui vivent en ville s’investissent davantage dans la défense de la petite agriculture paysanne en promouvant des formes de marché sans intermédiaire, des coopératives de producteurs- consommateurs…

Il est absolument indispensable qu’un nombre de personnes beaucoup plus important s’oppose de manière frontale aux manipulations génétiques dans le domaine de l’agriculture….

Il est absolument indispensable de ne plus laisser la question de travail aux mains des hommes politiques, des patrons d’entreprise ou des syndicats, qui sont incapables d’envisager autre chose que le salariat.

Il est important de saper l’hégémonie du salariat.

Il faut mettre fin à la politique de privatisation de l’espace public.

Il faut absolument que les hommes mettent un terme à la « ramboïsation » croissante des jeunes hommes.

Il est impératif de commencer  à rendre les villes arables. Ce mouvement d’agriculture urbaine pourrait s’allier à celui pour la reconquête des espaces communs… »

Prochaine étape,  Détroit, avec « Freedom farmers – Résistances agriculturelles noires aux Etats-Unis » (2025) de Monica M. White. Nous souhaitons bon courage à toute cette part non-blanche des Etats-Unis, face à ce qui se profile là-bas de haine et de bêtise.

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