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Billet de blog 5 mai 2025

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Carte 450/1001-Alessandro Pignocchi 3

« Envisager de faire cohabiter des structures étatiques avec des écheveaux de territoires qui s’organisent selon leurs propres normes ne paraît pas spécialement ésotérique. Au cours des derniers millénaires, cette situation constitue plutôt la règle, tandis que la quasi-hégémonie territoriale des Etats-nations que nous connaissons fait figure d’exception. » A. Pignocchi

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Dernier épisode avec les perspectives terrestres de Pignocchi :

 5- LA PERSPECTIVE AUTONOME : VERS UNE COSMOPOLITIQUE HETEROGENE

Prendre le présent comme le résultat nécessaire d’une évolution inéluctable, c’est ce que dénonce Pignocchi, après Graeber : « Avec un peu de recul historique, envisager de faire cohabiter des structures étatiques avec des écheveaux de territoires qui s’organisent selon leurs propres normes ne paraît pas spécialement ésotérique. Au cours des derniers millénaires, cette situation constitue plutôt la règle, tandis que la quasi-hégémonie territoriale des Etats-nations que nous connaissons fait figure d’exception. »

Enumérons les objectifs des perpectives terrestres :

Fluidifier, fracturer : « Les territoires autonomes opèrent comme un contre-pouvoir, un agent de fluidification institutionnelle qui participera à la reprise en main des institutions étatiques et à la fracturation de leur collusion, qui confine aujourd’hui à la symbiose, avec les intérêts du grand capital… L’importance de la fluidité pourrait conduire, par la pratique, à différentes formes d’institutionalisation des mouvements de population entre les structures étatiques et les territoires autonomes avec lesquels elles cohabitent. »

Expérimenter, pouvoir comparer des modes d’être au monde : « Les populations auraient alors la possibilité d’expérimenter, au cours d’une même année, des organisations sociales distinctes, avec différentes manières de subvenir à leurs besoins et, finalement, des façons contrastées d’être au monde. »

Attaquer, aussi : « Enfin, les fédérations de territoires autogouvernés constituent des bases arrière pour lancer des actions offensives contre les infrastructures et les institutions du capitalisme industriel. La ZAD de Notre Dame des Landes a par exemple joué ce rôle …. »

Faire peur : « Les transformations institutionnelles de grande ampleur allant dans le sens du progrès social et de la justice ont rarement été obtenues sans les moyens de faire peur aux classes dominantes… »

Pignocchi fait dialoguer les mésanges, un peu ses alter-ego :

« - Il y croit à son truc, tu penses ?

- Ca m’étonnerait, il est pas si con

- Mais bon, beaucoup de choses peuvent arriver auxquelles personne ne croyait. »

6-FEDERER NOS FORCES

 S’intéresser à un territoire (la Sabine, en ce qui me concerne) : « Des luttes, des initiatives, des mouvements, des organisations tournent leur regard vers le territoire, vers les milieux de vie, et s’interrogent sur les possibilités d’autonomie. »

Et, à la suite du Comité Invisible, penser : « Le système de domination que nous connaissons ne peut se maintenir que s’il entretient l’augmentation des flux. Les projets d’aéroports, de contournements routiers, de méga-bassines, de hangars logistiques et tant d’autres ne sont pas – seulement – des caprices lucratifs nourrissant des intérêts privés. Ils sont indispensables au maintien et à la solidification des grandes institutions politiques et économiques…. »

Mais il s’agit aussi de construire : « L’autre facette :… non seulement nous sauvons des fermes, des terres agricoles et des espaces naturels, mais nous ébauchons aussi, concrètement, les formes d’organisations politiques et, avec elles, les manières de faire monde que nous espérons voir croître dans ces territoires libérés. »

Ou l’on retrouve l’appel aux affects, aux attachements : « L’adéquation de la lutte territoriale avec les affects et les combats de l’époque en fait un opérateur de clarification politique. Se battre pour défendre un bocage, une forêt, une zone humide, des terres agricoles, bref, pour quelque chose d’aussi essentiel qu’un milieu de vie défait les faux antagonismes, reconfigure les possibilités d’alliances et déplace les lignes de conflictualité. Avant de se demander de quel bord politique on est, à quel groupe socioculturel on appartient, à quel ensemble de valeurs on adhère, on se retrouve sur une certitude commune : on ne veut pas voir ce milieu de vie qui, à sa manière, nous compose être remplacé par une infrastructure du capitalisme mondialisé. »

Léna Balaud et Antoine Chopot  avec « Nous ne sommes pas seuls » (Trace 97) avaient déjà abordé le thème des alliances entre humains et non-humains. Pignocchi y revient : « Les perspectives terrestres restituent leur agentivité aux êtres non humains et libèrent les liens aux milieux de vie. »

Quand la « bigarrure » souhaitée ici évoque « Plurivers-Un dictionnaire du post-développement » (Trace 211 et 212) : « Le liant de cet « internationalisme terrestre »tient au désir de fissurer le paradigme modernité-Etats-capitalisme-colonialisme pour laisser émerger de réels contre-pouvoirs et étendre un paysage plus hétérogène politiquement, laissant de la place à des façons d’être au monde plus diverses et bigarrées. »

Pignocchi conclut sur cette boutade : « On n’escompte plus un renversement global, mais on s’appuie sur la peur que fait planer sa possibilité. »

7- ALLIANCES ET COMPOSITION

Pignocchi développe sur la Sécurité Sociale de l’Alimentation, dont il fut question ici Trace 222 avec l’Atelier Paysan : « Les vertus de la SSA sont multiples. Tout d’abord, elle s’attaque au cœur de notre impuissance politique : notre dépendance vitale aux structures contre lesquelles nous désirons lutter. En bâtissant des possibilités de se nourrir en dehors du marché, la SSA allège l’impossibilité structurelle dans laquelle nous nous trouvons d’affaiblir les grandes institutions qui assurent son fonctionnement, en particulier l’agro-industrie. »

A choisir entre mesures écologiques, et celles pouvant redonner du pouvoir, le redistribuer, Pignocchi préfère les secondes : « Une mesure écologique imposée tend à produire, à terme, les effets inverses à ceux escomptés… Inversement, une reprise de pouvoir par les habitants et les habitantes d’un milieu de vie, surtout si elle sait s’accompagner de dispositifs de démocratie délibérative, d’institutions qui encouragent l’émergence d’une intelligence collective, qui favorisent l’entraide davantage que les comportements compétitifs, a de bonnes chances de se traduire à moyen terme par un soin du milieu de vie plus durable, efficace et mieux informé. »

8- POUR UN NATURALISME DES TERRES

« LES LIENS AFFECTIFS SONT LA PULPE DE LA POLITIQUE. »

Au-delà de cette belle formule, Pignocchi développe : « Des affects terrestres hantent la modernité et forcent ses coutures. Pour l’instant, les institutions modernes tiennent bon et le peu qui parvient à filtrer peine à trouver une traduction politique…

L’énergie qu’un collectif d’humains déploiera pour défendre un milieu de vie, devenu composante constitutive des personnes qui s’y attachent, sera sans commune mesure, en intensité comme en efficacité, avec celle que l’on peut mobiliser pour défendre une cause abstraite. »

J’ai fait pour ma part mienne, arrivant en novembre 2023, dans cette belle région de la Sabine cette phrase qui clôt « L’inexploré » de Baptiste Morizot (Traces 253 et 254) : « Trouver un lieu vivant à aimer personnellement, et à défendre collectivement. » BM. Ce que nous faisons, notamment avec « Casperia-No TEA, no OGM »

Nancy Huston m’a fait comprendre, lors d’une conférence à Arles, il y a dix ans, notre besoin de rituels et depuis, j’y songe : « L’objectif de clarification, de création, de densification et d’intensification des multiples liens, métaboliques et affectifs, qui unissent des collectifs multi-espèces, appelle une conception renouvelée de ce qu’est un rituel… Contrairement au jeu, le rituel n’est cependant pas séparé de la vie réelle, ce n’est pas une parenthèse suspendue. Il est mêlé aux composantes les plus triviales de l’existence, en premier lieu aux activités de subsistance. »

Ici, les fêtes de la Saint-Antoine, par exemple, sont des résidus de ce qu’avance ici Pignocchi :

« La théologie dominante et la conception moderne du progrès ont désentrelacé les activités de subsistance et les pratiques rituelles et festives, contribuant ainsi à leur dégradation symbolique et à leur appauvrissement affectif. Cette séparation est une dichotomie moderne qu’il nous incombe de gommer. »

  CONCLUSION

Concluant cet essai, Pignocchi confronte modernité capitaliste et perspectives terrestres : « La modernité capitaliste, comme tout système institué à grande échelle, a créé son régime de désirs, ses connaissances, ses savoir-faire et, finalement, son type d’humains… Les perspectives terrestres prennent acte de l’usure du paradigme moderne et tentent de créer à leur tour leurs désirs, leurs savoirs, leurs humains.

Il revient sur ce qui a amorcé la réflexion : notre attachement aux non-humains : « Les liens, les attachements, les dépendances ne sont plus niés, mais revendiqués, chéris, et, dans la mesure du possible, choisis et façonnés…Ce qu’aspirent à réactiver les perspectives terrestres c’est, en premier lieu, une sociabilité au-delà de l’humain. »

Et nous invite à ouvrir un espace à ces perpectives terrestres, de mille façons : « Ensuite, les perspectives terrestres espèrent voir apparaître plus d’hétérogénéité, tant dans les formes d’organisation politique que dans les manières de subvenir à nos besoins.

Les perspectives terrestres peuvent être alimentées par toutes sortes de petits gestes du quotidien : se mêler aux luttes territoriales qui fleurissent un peu partout, s’opposer aux grands projets dont le capitalisme a besoin pour survivre, désarmer et démanteler ses infrastructures, …., contribuer aux activités de subsistance de son territoire et les embellir par des pratiques rituelles et festives, etc. »

Ce texte aura effleuré pratiquement tous les thèmes que nous tentons de réunir ici, depuis cinq ans, à l’exception notable de la question des exilés, centrale pour nous. L’heure est venue de résumer ces cinq ans.

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