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Billet de blog 7 décembre 2024

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Où ai-je besoin d’aller ? Aujourd’hui,  que les hasards de la vie me privent de voiture comme de bicyclette, j’y pense particulièrement… Rencontrer des amis, aller au marché, ou au jardin, aller à l’école (si j’ai encore l’âge), s’abandonner au hasard des rencontres, flâner en regardant les variations de la lumière sur les arbres ou dans les rues, boire un café,  me rendre enfin au travail (pourquoi pas ?) s’il nécessite un lieu commun. Et puis ? Tels sont mes besoins, et ceux de beaucoup.

Qu’une ville me rende accessible ces différentes fonctions dans l’espace d’une demi-heure pourrait me contenter. Son diamètre n’excèderait pas trois kilomètres, donc.

Sa surface serait, pour un cercle, de 7 km2, soit 700 ha.

Les villes italiennes de la Renaissance, selon Etienne Hubert, « La Construction de la ville, Sur l’urbanisation dans l’Italie médiévale », EHESS, 2004, sont ainsi faites :

Milan     825 Ha                   150000-200 000 habitants

Venise    <400Ha                  120 000 habitants

Florence 430 Ha  110 000 habitants

Sienne   165 Ha                   52 000 habitant

Prenons Florence (d’accord, il y a pire exemple) : dans un diamètre de 2.4 km, une ville avec artisans, artistes, commerces, places, rues, marchés, églises (s’il en faut), ...le tout accessible en une demi-heure à pied, cette demi-heure propice justement au hasard des rencontres cité plus haut.

Qu’avons-nous besoin en plus de chevaux, de voitures, ou de patinettes électriques ?

Que faut-il de plus que des chemins bien dallés, n’empêchant pas l’eau de pénétrer le sol, mais prévenant la boue et la poussière ?

C’est l’échelle de la ville, et son organisation, qui créent le besoin de voiture, et la voiture qui rend nécessaire les routes bitumées, qui elles, encouragent finalement l’échelle démesurée des villes, en un cercle vicieux.

Car plus nous pouvons nous déplacer facilement, plus sommes-nous contraints de le faire, et toujours plus loin …, pour reprendre l’assertion de Michel Lussault.

Ce premier pas scrutait les besoins, et nous y reviendrons, cherchant ceux liés à la voirie minimale.

Que le capitalisme ait eu besoin de concentrer les travailleurs dans des usines pour y produire à meilleur coût, que les généraux aient eu besoin de bâtir  des casernes pour y enfermer les soldats, et aussi contrôler les villes, que l’éducation nationale, vue par Jules Ferry comme un achèvement de la colonisation de la France, ait eu besoin de lycées-casernes, que tout cela ait engendré des villes répondant à ces différents pouvoirs, soit. Mais c’était au XIX° siècle, et nous avons heureusement changé de bases, espérons-le.

Ce second pas résumait un siècle aujourd’hui achevé.

Philippe Madec, dans la conférence donnée à Lyon le 6 mai 2010, sous le thème « Ralentir la ville », s’exprime ainsi :

 «  Le déplacement est contraint au quotidien et il aliène la vie d’une grande part de l’humanité, et est la source de la plus grande dégradation de la planète. Non, la mobilité n’est pas que la vie et l’immobilité n’est pas que la mort ou la récession. »PM

« Bien sûr, cette possibilité du déplacement a changé la conception de l’espace. Avec les Modernes, la vision classique et néo-classique de l’espace a explosé ; l’espace en est devenu infini, homogène, en expansion. Les moyens de déplacements avion, paquebot, voiture poussaient toujours plus loin ses limites. La ville sale, celle du chemin de l’âne, disait Le Corbusier, put s’ouvrir, s’élargir, s’étendre, devenir lumineuse, saine, en un mot : hygiéniste. On sait où cela nous a mené : à la séparation de l’habitat, des institutions, de l’industrie, des sports, les uns et les autres installées dans des zones séparées, selon une théorie du zoning. Chaque matin, l’individu qui se réveille dans la zone d’habitat se déplace vers la zone de travail et rentre le soir par la zone commerciale pour acheter de quoi manger dans la zone résidentielle. Le déplacement est la clé de l’urbanisme des modernes, dont certains plans contemporains n’ont pas encore fait le deuil. On sait que cela mène à l’étalement urbain. Que cela produit un territoire de discrimination et de rejet. Le territoire des modernes est celui de la ségrégation sociale et fonctionnelle. Cette ségrégation a été produite au nom de valeurs dites positives. »PM

 Il achève son propos en évoquant les « Cittàslow » :

 « Le mouvement Cittàslow est né en 1999 à partir de l’intuition de Paolo Saturnini, ancien maire de Greve, en Toscane, se poursuit … »

Pour conclure donc, bien provisoirement, revenons en Italie, pays d’où nous viennent les Cittàslow : https://www.cittaslow.org/

Au nombre des 5 « cittàslow » françaises, on compte d’ailleurs (hasard ?)  trois bastides (nos textes Villes 3 et villes 4 y étaient consacrés) :

https://voyage.tv5monde.com/fr/le-label-cittaslow-ou-leloge-des-villes-qui-prennent-le-temps

« Cittaslow sont les villes dans lesquelles:

 - une politique environnementale est mise en œuvre visant à maintenir et développer les caractéristiques de la zone et du tissu urbain, en appréciant en premier lieu les techniques de récupération et de recyclage.

 - une politique d’infrastructure est mise en œuvre fonctionnellement à l’appréciation du territoire et non à son occupation;

- l’utilisation de technologies visant à améliorer la qualité de l’environnement et du tissu urbain est encouragée  et stimulée par la production et l’utilisation de produits alimentaires obtenus par des techniques naturelles et compatibles avec l’environnement, à l’exclusion des produits transgéniques, et par lequel, selon les raisons jugées nécessaires, à la mise en place d’installations de sauvegarde et de développement de productions typiques en difficulté.

- la production locale enracinée dans la culture et les traditions est sauvegardée et contribue à la normalisation de la zone, en maintenant les lieux et les méthodes, en favorisant des événements privilégiés et des espaces pour le contact direct entre les consommateurs et les producteurs de qualité.

- la qualité de l’hospitalité est promue comme un véritable moment de connexion avec la communauté et ses caractéristiques, en éliminant les obstacles physiques et culturels qui peuvent nuire à l’utilisation complète et généralisée des ressources de la ville. 

- parmi les citoyens, et pas seulement parmi les opérateurs, est promue la sensibilisation de la vie dans une « Cittàslow », avec une attention particulière accordée au monde de la jeunesse et de l’école par l’introduction systématique de l’éducation au goût. »

Il n’est pas neutre d’achever cette première réflexion sur la lenteur sur le mot goût, tant la lenteur de la dégustation s’opposant  à la précipitation du vorace est souvent citée en exemple de lenteur bénie : « A la campagne, après une journée de travail, les hommes levaient leur verre de vin à hauteur du visage, ils le considéraient, ils l’éclairaient avant de le boire avec précaution. Pierre Sansot « Du bon usage de la lenteur »(1998).

En 1669, Colbert crée le métier de commissaire des ponts et chaussées pour assurer la création d’un réseau routier national en France : depuis Rome, le système des voies est la marque d’un Etat fort : vitesse, et contrôle, pour les militaires, et pour le commerce avant tout.

Et sans Etat, c’est comment ? Nous irons voir les indiens avec Pierre Clastres…

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