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Billet de blog 8 janvier 2025

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Trace 94-Cité-jardin 4

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Laissons tout d’abord Colin Ward présenter et résumer l’idée de Howard  dans « Cités nouvelles »

« Utopiste contemporain et compatriote de Morris, Ebenezer Howard pose une question simple : comment résoudre les problèmes des métropoles surpeuplées, avec leur cortège de misères, et enrayer en même temps l'exode des campagnes désertées par les jeunes parce qu'elles ne leur offrent pas de débouchés ? Sa réponse tient en une formule : la cité-jardin. Dans « Les cités-jardins de l'avenir » (1898), il préconise de créer un réseau de villes moyennes offrant aux travailleurs des logements et des emplois à la fois industriels et agricoles. Entourées d'une ceinture verte et reliées par des transports publics, elles forment une seule « socio-cité ». Les idées de Howard ont exercé une grande influence sur les théories de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire. Lui-même fonda les deux premières cités-jardins du Royaume-Uni à Letchworth et Welwyn Garden City. Le gouvernement britannique appliquera ses principes, après la Seconde Guerre mondiale, dans son programme de villes nouvelles. » CW

Dans : « Les cités-jardins de Ebenezer Howard : une œuvre contre la ville ? »  (2007), Joëlle Salomon Cavin   développe en le précisant le projet de Howard, avant de le critiquer sévèrement :

«Cette cité-jardin est une petite ville (maximum 32 000 habitants) créée de toute pièce à l’extérieur de la ville et entourée d’une ceinture verte. C’est une communauté autosuffisante. La subsistance alimentaire doit être assurée par l’exploitation de la ceinture verte et l’autosuffisance industrielle et commerciale par l’équilibre parfait des 5 fonctions qu’on devait y instaurer. »JSC

« Howard laisse en fait un grand flou quant à la morphologie de ses cités pour se concentrer sur l’organisation globale et la trame des circulations. Il prend d’ailleurs soin de noter que ses illustrations doivent être comprises comme des diagrammes et non comme des plans. Chez Howard, les considérations politiques, sociales et surtout financières priment sur l’aménagement et l’aspect de sa cité. Il précisait qu’il souhaitait une grande variété dans l’architecture et la conception de ses maisons et des groupes de maisons. » JSC

Ce même flou que dénonce Cavin est pour nous bien-fondé : c’est ce qui s’appelle contextualiser un projet, et ainsi échapper aux « cités idéales », décrites dans Traces 17 et 18.

« En fait, la cité jardin de Howard a finalement peu été mise en œuvre telle que celui-ci l’imaginait. Howard publie son livre en 1898 et fonde en 1899 la Garden city Association avec un noyau de disciplines enthousiastes. L’association est à l’origine de la création de deux cités-jardins : Letchworth (1903) puis Welwyn Garden City (1920) qui sont les deux réalisations les plus directement inspirées des idées de Howard. Mais ces deux villes qui vont connaître d’importants problèmes financiers ne vont pas initier, comme le désirait Howard, la création d’autres cités-jardins en Angleterre mais demeurer des exemples isolés. » JSC

Haine de la grande ville, questionne l’auteur ? : « Pour justifier cette taille idéale de ville, Howard établit une relation entre concentration et santé morale et physique de la population. En outre, il justifie le chiffre de 32 000 habitants par la nécessité d’un auto-approvisionnement alimentaire via l’exploitation de la ceinture verte. » JSC

Est-ce idiot ?

https://lareleveetlapeste.fr/de-plus-en-plus-loin-de-lautonomie-alimentaire-lile-de-france-va-finir-etouffee-sous-le-beton/?fbclid=IwAR3aJx4VieQNrB-oOdBm3qlA-PHIrJSfaAITL7GS3wVBF_EuOZFzpELRoO0

Joëlle Salomon Cavin se fait écho des critiques de l’époque : 

« Dès la publication du livre, des réformateurs socialistes… critiquèrent la théorie des cités-jardins pour son manque d’ancrage dans la réalité urbaine et son utopisme : « ses plans seraient venus à point nommé s’ils avaient été soumis aux Romains quand ceux-ci conquirent la Grande Bretagne. Ils entreprirent de fonder des villes, que nos ancêtres ont habitées jusqu’à ce jour. Et voici que Monsieur Howard propose de les jeter à bas et de leur substituer des cités-jardins construites chacune selon de jolis plans en couleur, gentiment dessinés à la règle et au compas. L’auteur a lu un grand nombre d’écrivains savants et intéressants, et les extraits qu’il fait de leurs livres sont comme des raisins secs dans la pâte immangeable de son Utopie. Nous devons tirer le meilleur parti possible de nos villes telles qu’elles existent ; et projeter d’en construire de nouvelles est à peu près aussi utile que le seraient les mesures de protection qu’on prendrait contre les visites des Martiens de Mr. Wells » » JSC

Critique acerbe, et qui pourrait, comme celles qui suivent, également s’adresser à la présente recherche !

« La proposition howardienne est un véritable déni urbain parce qu’elle refuse de se préoccuper des villes existantes et de tous leurs problèmes pour se réfugier dans une utopie rassurante. Puisque la ville fait peur, fuyons et réfugions-nous dans un monde meilleur. Finalement, avec son utopie, Howard passe complétement à côté de la question urbaine. »JSC

Pour nous, il n’y a pas contradiction à se préoccuper des deux, à se soucier de voir comment accueillir, de constater l’impuissance actuelle des villes à le faire, et donc se tourner vers des territoires vides. Il n’y a pas là signe d’indifférence envers les villes, mais bien au contraire un mode de  les repenser, dans un contexte bouleversé. D’ailleurs, si Howard se trompait tant, comment expliquer l’écho qu’il rencontre aujourd’hui ?

Howard  aurait eu quelques bonnes intuitions, concède enfin Cavin, malheureusement avec 100 ans d’avance : « Ces questions sont toujours d’actualité et ce d’autant plus que la théorie howardienne est remise au goût du jour, notamment en Grande-Bretagne. Plus de 100 ans après sa publication, on lui reconnaît une incroyable pertinence au regard de la nécessité d’un développement durable des villes. Howard ne prônait-il pas la ville compacte ? Ne concevait-il pas sa ville en fonction des transports publics et des déplacements piétons ? Ne souhaitait-il pas ardemment la mixité sociale dans les quartiers ? » JSC

 Stéphane Sadoux, dans  « Concevoir et représenter l’utopie - La diffusion du modèle des cités-jardins en Grande-Bretagne, 1898-2015 » (2015)  tire quant à lui, un bilan satisfaisant de l’œuvre de Howard :

« Pour Robert Fishman notamment, l’héritage du père des cités-jardins relève effectivement de l’utopie, mais pas au sens péjoratif que l’on pourrait attribuer à un rêve irréalisable : il s’agirait au contraire de le comprendre tel que Karl Mannheim l’entendait, à savoir un programme d’action cohérent qui dépasse une situation immédiate afin de rompre avec l’ordre établi. » SS

Plus loin : « Le modèle de Howard… repose sur un principe que nous qualifierions aujourd’hui de polycentrique : l’objectif est de renverser la tendance à la dominance d’une métropole sur une région. »SS

Nous verrons dans Traces 121 et 122 le point de vue de Guillaume Faburel sur lesdites métropoles …

Sadoux évoque les avancées de Howard, en matière de transports, de préservation de la bio-diversité,…, en démontrant ainsi la pertinence de ses réflexions, aujourd’hui même :

« Howard envisage que la première cité-jardin, désignée par le nom « central city », accueillerait 58 000 habitants. Une fois cette limite atteinte, de nouvelles cités-jardins, dont la population serait de 32 000 habitants, seraient érigées autour d’elles telles des satellites. Le modèle d’urbanisation pensé par Howard est un système : les cités seraient reliées entre elles, non seulement par des axes routiers mais également et par-dessus tout par un réseau ferré, « l’intermunicipal railway» »SS

« C’est bien un modèle utopique que le gouvernement britannique convoquait récemment en le brandissant comme une réponse possible à la crise du logement. S’il en est ainsi, c’est sans doute parce que le projet de Howard suit les préceptes d’un urbanisme de qualité tel que nous l’entendons aujourd’hui : la cité-jardin a notamment une dimension qui permet à ses résidents de se déplacer à pied mais elle est également remplie par et entourée d’espaces non bâtis et donc de biodiversité. » SS

« Les théories d’Ernst Bloch nous enseignent que la concrétisation de l’utopie passe notamment par une espérance instruite, en d’autres termes par une connaissance des précédents et de leurs potentialités. Le projet de Howard, que lui-même définissait comme une « combinaison unique de propositions », était effectivement fondé sur l’articulation de théories existantes assemblées en un tout cohérent et inédit. »SS

Ce que, modestement, nous nous évertuons à construire aussi ici …

« Certains diront que le monde a changé et que la pensée de Howard n’est plus d’actualité. Mais si les cités-jardins sont aujourd’hui convoquées par des professionnels reconnus et un gouvernement en quête d’alternatives, c’est sans doute parce que les enjeux identifiés par Howard en son temps (notamment le rapport à la nature, le foncier, la mobilité) sont aujourd’hui encore au cœur de toutes les préoccupations. Les cités-jardins du 21e siècle, qui ne sont aujourd’hui que des projets, ont au moins le mérite d’être adossées à un corpus méthodologique et à des précédents qui en font des utopies contemporaines concrétisables ». SS

Avant que ces cités-jardins du passé disparaissent, comme la Butte rouge, menacée, nous irons les visiter, près de Pise, notamment.

Pour l’heure, ce sont d’autres voyages qui nous attendent, vers des savoirs savoureux…

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