jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

245 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 mars 2025

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Trace 183-Synthèse 14

Patrice Maniglier : « Une des raisons pour lesquelles nous nous sentons si désemparés dans le contexte politique actuel est que les pouvoirs constitués dont nous avons hérité ne sont plus adéquats aux dynamiques de puissance que l’intrusion de Gaïa implique. »

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’aurais bien voulu : https://www.youtube.com/watch?v=st730BQznnQ

J’aurais bien voulu vous transmettre une vision claire de l’avenir.

J’aurais bien voulu, par défaut, essayer d’en tisser une qui porte les marques d’une certaine cohérence.

J’aurais bien voulu ainsi donner un peu d’espoir, comme l’araignée du soir. Or, si j’essaie de figurer sur des rayons les différentes Traces écrites à ce jour, et de les relier entre elles, soit par thématiques, comme lors des  synthèses 8 et 9, soit selon les renvois possibles, le dessin obtenu correspond plutôt aux toiles que tissent les araignées sous influence… Soit : parcourons cette  toile, comme elle vient.

Traces 170 et 171 : Coupe-feu 1 et 2 : Le vieux partage entre forêts et villes doit cesser, car les forêts, dont la gestion est désormais souvent gouvernée de loin, depuis villes et capitales, vont sans cesse se rapprocher à des monocultures. Les dégâts en cas d’incendie n’en sont que plus graves, comme on l’a vu. On peut téléguider à distance une voiture, pas un cheval, à moins de le transformer en machine : un tel mode de gestion « machinise » les forêts, et les tue. Les villes de leur côté sont de plus en plus invivables durant l’été, ce qui n’est qu’un aspect du problème : la vie animale a déserté et la réponse aux pluies diluviennes est toujours pire. On voit qu’ainsi le partage qui devait défendre les deux finit par nuire aux forets comme aux villes. Comment faire villes, ou du moins villages, en forêt, comment faire non pas forêt (quelle prétention !) mais introduire en quantité, et rapidement si possible, des végétaux dans les villes ? Nous avons fait quelques propositions en ce sens : dans les Landes de Gascogne, de larges coupe-feux habités et cultivés en forêt, au lieu d’un habitat diffus, très exposé ; une reconquête, à partir des cours d’eau des territoires cultivés en pins par des espèces feuillues déjà présentes dans les ripisylves. Dans les régions de vignes de Catalogne, celles-ci servent de coupe-feu, et certaines sont même créées à cet usage.

Notre dernière idée enfin, une révolution anti-haussmannienne à Paris avec des boulevards transformés en bambouseraies. Pas de réaction des parisiens à ce jour : qui ne dit mot consent.

Traces 172 et 173 : Agroforesterie 1 et 2 : Par contre, que d’enthousiasme pour le « Livre de l’agroforesterie », d’Emmanuel Torquebiau ! Ce succès est encourageant. Il faut rappeler ici que Torquebiau lui-même nous signale que nous ne sommes qu’au début d’un long chemin… IL a été intéressant de noter au passage que c’est des Tropiques que nous vient un tel modèle. Nous y reviendrons avec Anna Tsing.(Trace 188 à venir)

 Encore faut-il rentrer dans le détail des opérations de taille, comme nous avons tenté de le faire par la suite, avec bien moins d’écoute, semble-t-il. Explorer les raisons sociologiques d’une telle désaffection, au lieu d’invoquer le seul remembrement, a aussi du sens, pour évaluer ainsi les chances d’un retour. Ou bien d’une sauvegarde, car de brefs survols sur Google Earth nous ont permis d’explorer, et d’imaginer la beauté de 11 sites, du Poitou à la Basilicate, tous largement pourvus, sinon de haies, du moins de ces lisières, favorables aux échanges, à la vie, animale comme végétale. Partir de ce qui existe, partout, est sans doute un bon début possible.

Traces 174 et 175 : Encyclopédistes 1 et 2 : Unir dans une réflexion, longue de 25 ans, les métiers, la politique, la théologie, la médecine… nécessite une belle opiniâtreté. Ce fut celle de Diderot, contre vents et marées : censure, menaces, abandons dans l’équipe…Aujourd’hui, le savoir est accessible, exagérément même : une telle entreprise n’a plus de sens. Et pourtant, c’est un tel travail de synthèse qui est nécessaire, encore aujourd’hui : on ne peut se limiter à percevoir un aspect du problème, en l’occurrence une des neuf limites planétaires, sans se soucier des autres. D’autant que toutes ces limites ont bien des points communs, des liens entre elles. Regarder de toute part, mais sans se laisser désorienter.

Aller explorer chaque champ du savoir, oui,  pour examiner quelles ressources en tirer, mais sans s’y perdre, comme l’ont fait Bouvard et Pécuchet .D’eux, nous aurons appris, s’il fallait encore le faire, à ne pas accorder aux sciences le même type de foi qu’inspirent les religions. La science est une construction en cours, qui balbutie, hésite, et, dans le meilleur des cas, doute d’elle-même.

L’exercice encyclopédique  a beau être complètement vain aujourd’hui, il nous sert de modèle dans cette recherche.  Et il est, avant tout, palpitant.

Traces 176 et 177 : Gaia 1 et 2 : A Sienne, la fontaine sur la Piazza del Campo s’appelle Fonte Gaia, du fait de la joie que procura l’arrivée de l’eau en 1346, après un parcours souterrain de 30 km. (Trace 24). Pour  Bruno Latour, qui se réfère à Lovelock, et, plus loin, à l’antique déité, Gaïa, au contraire, serait un moyen de dire la menace : la planète nous rendrait la monnaie de la pièce, faisant saillir à nos yeux tous les déséquilibres que nous avons ourdis depuis deux siècles. J’emploie à dessein une expression simple pour contraster avec les savantes constructions théoriques de Latour. Les 200 étudiants à qui il a donné mission de dialoguer ont cherché à donner voix aux entités telles qu’océans et forets, aux animaux non-humains,… en une  vaste prosopopée. Baptiste Morizot, et Nastassja Martin voudraient aller plus loin, en cherchant, pour l’un, à entretenir une vraie diplomatie avec les animaux (voir Trace 10), pour l’autre, à retrouver l’animisme premier qui fut notre lot à tous. Patrice Maniglier est clair : « Une des raisons pour lesquelles nous nous sentons si désemparés dans le contexte politique actuel est que les pouvoirs constitués dont nous avons hérité ne sont plus adéquats aux dynamiques de puissance que l’intrusion de Gaïa implique. »

Nous en sommes bien convaincus, de notre côté, sans pouvoir en rester là, pour autant.

Traces  178 et 179 : Improviser 1 et 2 : Les cartes sur lesquelles nous formons des plans de bataille sont en flammes. De chaque bout de l’univers, chaque jour, comme aujourd’hui du Pakistan,

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/30/au-pakistan-plus-de-1-100-morts-en-raison-d-une-mousson-sans-precedent-depuis-trente-ans_6139451_3210.html

viennent des nouvelles alarmantes, de nature à bouleverser toute prévision précise. Les états-nations, comme l’ont confirmé ci-dessus Latour et Maniglier, sont bien les derniers à être en mesure de répondre à un problème qui les dépasse, et dont la solution suppose de nier ce pourquoi ils furent institués : garantir et défendre des frontières. L’abstention électorale est le signe de leur patente désaffection, mais ne suffit pas : il faut construire. Dans ces conditions, bâtir de nouvelles structures, ou bien apprendre à vivre sans elles,  est la première urgence, mais doit s’effectuer dans un mouvement suscitant la voix de tous : une sorte de concert, improvisé. Depuis 60 ans déjà, le jazz est porteur de tentatives allant dans ce sens. Uzeste est depuis longtemps le point de rendez-vous de ceux qui essaient, à travers musique et théâtre, de trouver d’autres modes d’écoute et de création commune. Je sais, pas facile d’éviter une cacophonie, même avec 8 milliards de virtuoses. Mais ce n’est pas pour rien que géographes ou philosophes prennent la musique comme exemple.

Traces 180 et 181 : Peurs 1 et 2 : Même si nous le nions, nous sommes envahis de peurs. Qu’en faire ? Cela commence avec la peur du noir, des nuits en forêt, comme l’a rappelé François Terrasson, y voyant une vraie peur de tout ce qui est émotionnel. La peur de la nature a-t-elle engendré sa destruction, comme le soutient Terrasson ? Possible.

Les conduites contemporaines de mises en danger de toutes sortes (wingsuit, et autres) semblent, paradoxalement, le signe d’une peur globale sous-jacente, qu’il s’agirait ainsi d’exorciser.

Jean Christophe Cavallin, partant aussi de peurs nocturnes en campagne, nous exhorte à transformer ces peurs, y voyant une chance : « Il faut attirer la peur pour en orchestrer la force. »

Une chance, et une occasion de reprendre contact : « La panique qui revient est à tous les sens une apocalypse : destruction et révélation. Son choc nous accouche au monde. On se retrouve partie du Tout qui, en grec, se disait Pan. Partie à vif d’un Tout vivant. La peur est une incarnation. J’ai peur : je suis dans mon corps. Dans mon corps et dans ce monde. Ce qui le touche me touche. »

Citant Jean Giono, il s’agirait d’en faire un apprentissage : « Un matin, j’ai compris que l’apprentissage panique était fini : je n’avais plus peur de la vie. Pan me couvrait désormais de frissons heureux comme le vent sur la mer ». J.Giono

Nous reviendrons très prochainement, aux peurs et anti-peurs.

Puis nous continuerons à tisser notre toile, nous mêlant, à l’instar de Diderot, de choses bien concrètes : comment cuire des briques, rouir du chanvre, assembler deux bambous, mais aussi, d’une manière plus théorique, d’apprendre par exemple comment  « pensent les forêts », et ce qu’il en est de la sagesse des lianes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.