Le gouvernement va vendre des routes nationales :
Pour les autoroutes, c’est déjà fait : concessions privées, assez suspectes.
Peu importe : il nous reste les chemins vicinaux, et avec eux nous bâtirons l’avenir !
Parlons chemins, donc !
Cheminer :
« Définitions : faire du chemin, le plus souvent à pied, en particulier quand il s’agit d’une marche lente et régulière ou d’une progression longue et pénible.
SYNT. Cheminer dans, par, à travers, le long de, parmi, vers, jusqu'à, au-delà de; cheminer à pas de loup, d'un pas assuré, d'un pas pressé; cheminer sans se presser, sans trêve, à l'aventure; cheminer lentement, tranquillement, paisiblement, gaillardement, gaiement, laborieusement; cheminer à côté, aux côtés, en compagnie de qqn; continuer à, de cheminer; aller cheminant. » CNRTL
Oui, tout cela à la fois, qui pourrait définir ce que nous faisons ici, laissant des traces de notre cheminement, donc.
Au sens propre, il nous faudra faire chemins, en tracer de nouveaux, ou retrouver les anciens chemins, dans les campagnes abandonnées (thème des traces 43 et 44). Et retrouver aussi comment, de Rome à Jérôme Trésaguet, au XVIII° siècle, on sut faire des routes, sans utiliser ni ciment, ni acier, ni bitume, ce qu’il faudra bien recommencer à faire un jour, pour décarboner, suivant les derniers textes, mais tout en construisant.
D’abord reprenons Gaston Roupnel, et son « Histoire de la campagne française » (1932), pour une leçon de lecture, avant d’aller à Rome, où mènent tous les chemins.
A tous ceux qui à la fois déplorent la situation actuelle, et l’avenir qui semble se préparer sous nos yeux, mais qui prennent tout le présent comme une chose intangible, comme si ces conditions étaient éternelles, il peut servir de scruter avec Gaston Roupnel, à l’aide des traces des chemins antiques, les signes de ce qui fut, et aussi, ajouterai-je de ce qui peut être .
« Efforçons-nous donc de retrouver ces vieux chemins que le village rayonnait et qui étaient les animateurs de la campagne./…/La plupart de nos chemins de desserte rurale appartiennent à ce système ancien. Ils sont la survivance des voies primitives. La solidité de ces constructions leur assura une durée qui a pu souvent triompher des incuries et des misères de l’époque historique./…/
Il a fallu pour les établir une humanité vouée aux œuvres locales et aux tâches de ses lieux, et qui a bâti la campagne, non seulement champ par champ, mais encore sur des lignes de force rigides et impérissables, toutes en pierre./…/ … nos routes contemporaines ont plus d’une fois ressuscité à leur insu la voie tracée par les âges anciens, et que les temps modernes avaient ruinée ou effacée. »GR
« La solidité de la structure (des chemins primitifs) assura leur durée et triompha des siècles. Au vrai sens du mot, ils sont des constructions et non pas des tracés. On croit communément en effet, que seules étaient établies sur substructures de pierres les véritables voies romaines, c’est-à-dire les routes de grand parcours, construites au temps de l’Empire … En réalité, bien avant l’arrivée des Romains, la plupart des chemins de l’ancienne Gaule étaient bâtis sur de fortes fondations de pierres dressées en tranches. C’est le pavage en hérisson./…/
Ce type de pavage en hérisson pouvait d’ailleurs varier beaucoup selon la nature ou le relief du sol. Sur les pentes rocheuses, il était inutile. Par ailleurs, en terrain creux ou marécageux, la construction au contraire s’épaississait et s’élargissait jusqu’à former une chaussée, qui a partout résisté aux atteintes du temps. Le pavage souvent subsiste encore, dénoncé par les arêtes pierreuses qui sortent du sol. »GR
« … nous pouvons reconnaître sous nos pieds la résistante fermeté des structures enfouies sous le vieux chemin des temps anciens./…/ La végétation est souvent particulière au chemin. Elle se compose souvent de plantes calcicoles. Une traînée de ces plantes à travers champs suffit parfois à y révéler le tracé disparu. De toutes ces plantes, la plus fréquente est l’épine noire. Le vieux chemin a ainsi son escorte caractéristique de buissons. »GR
Il y a, dans les recherches de Gaston Roupnel sur le terrain, quelque chose qui rappelle Baptiste Morizot, et son « Sur la piste animale » (2018) : et de fait, dans ce que nous disent les sentiers abandonnés de Roupnel, et les traces de loups de Morizot, on peut déceler un point commun : « qu’avez-vous fait, hommes, de ces terres, où nous errons ? » Mais n’est-il pas temps de renouer avec ces chemins, sans chasser pour autant le loup de ces terres.
« Le chemin construit des temps primitifs est ainsi d’une solidité qui a presque toujours défié les âges.
Ces chemins primitifs ont résisté, même quand ont disparu autour d’eux les œuvres et les demeures de l’homme qui les créa/…/ L’époque historique a dépeuplé en partie les plateaux, et elle a souvent jeté une solitude sur les lieux élevés où avait siégé l’ancienne civilisation rurale./…/
Et pourtant, en général, ces chemins, qui depuis des siècles ont perdu leur utilité et leur destination, ces voies inanimées qui ont cessé de fonctionner, persistent à durer.
Ces chemins de desserte rurale sont, nous l’avons dit, les traits essentiels, les lignes de force, dans la construction de la clairière culturale. Les premiers chemins de grande communication n’ont été, au début, que ces chemins locaux soudés bout à bout : fabrication grossière qui ne fut pourtant ni hâtive ni confuse. Mais avant d’aller plus loin, ces humbles piétons ont, à de l’humanité, distribué poignée de terre par poignée de terre, parcelle par parcelle, tout le sol de la clairière culturale.
Cette clairière, ce monde élémentaire, cette construction fondamentale qui reste le thème terrestre et sensible sur lequel se développe tout le système d’association de l’homme avec le sol… nous la connaîtrons quand nous en aurons rétabli toute l’architecture…. » GR
Oui, une clairière, c’est un beau nom, mais c’est aussi vers ces clairières que nous irons un jour.