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Billet de blog 10 décembre 2024

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« La clairière culturale, avons-nous dit, se présente comme un tout systématiquement construit, logiquement composé et ordonné. Il est bon d’en pouvoir rétablir le cadre comme nous venons de nous y apprendre. Mais il est plus essentiel encore d’en savoir restaurer la charpente.

Cette charpente, ce sont les chemins qui la constituent. Le chemin, comme nous le verrons, a joué un grand rôle dans l’ancienne civilisation rurale.» Gaston Roupnel

L’objectif est bien ambitieux : construire une nouvelle civilisation rurale ! mais cela passe par la construction de cette « charpente », tout en respectant la règle d’une économie décarbonée.

Ayant eu l’occasion de venir voir 2300 ans après sa construction, la Via Appia Antica, où roulent encore des voitures, des vélos, où passent aussi chèvres et brebis, sa longévité m’a impressionné, et m’a donné envie d’en savoir davantage.

Suivons donc Paul Marie Duval, dans « Construction d’une voie romaine d’après les textes antiques »Ecole Française de Rome (1989) , dans son analyse du texte de Statius , un des rares contemporains à décrire la construction d’une voie romaine.

 « Le premier travail fut ici de tracer des sillons, et de déchirer le réseau des pistes et, par un profond déblai, de creuser à fond les terres ; » Statius

« Cavare : on creuse la tranchée dans laquelle les substructions de la route vont être jetées, on

enlève les terres qui ne tiendraient pas; cette excavation est poussée «jusqu'au fond», penitus, c'est-à-dire : soit jusqu'au roc, ce qui est le cas le plus favorable à la solidité de la voie et dispense de fondations artificielles - soit jusqu'à un sol assez bon pour que, pilonné et revêtu d'une couche de fondation constituée de grosses pierres posées à plat, il présente une suffisante solidité - soit jusqu'au sol le moins mauvais qu'on puisse atteindre sans fouiller trop profondément, sol qu'on améliorera par le pilonnage, la plantation de pieux formant pilotis, l'établissement de fascines à plat, et par tous les moyens possibles de consolidation. »PMD

« Le travail suivant fut de remplir autrement le creux des tranchées et d'aménager une assise pour le dos du revêtement, afin d'éviter que le sol ne s'enfonce et que la base ne soit traîtresse

 et le lit chancelant sous les dalles foulées; » Statius

« Aliter : une fois la terre meuble enlevée, on la remplace par des matériaux allogènes qui ne seront pas sujets comme elle à un tassement trop fort et à l'affouillement par les eaux. »PMD

« Sola est évidemment le terrain naturel - la terre meuble - qu'on aurait laissé au lieu de le remplacer par un sol artificiel et qui n'eût pu supporter la chaussée sans faiblir : ce sol étant trop mou et miné par les eaux dues aux intempéries, la route deviendrait une fondrière comme les anciens sentiers. Sedes, la base, cubile, le lit sont des termes techniques, usuels en architecture.

Summum dorsum est au contraire une expression pittoresque, une métaphore pour désigner la chaussée, agger, qui est légèrement bombée comme un dos. »PMD

« Alors, d'assujettir le chemin par des bords serrés sur les deux faces et par de nombreux coins. » Statius

« Ce rebord est formé de dalles placées verticalement en position de parement et

bloquées de l'extérieur soit par des blocs de contreforts soit par un trottoir. Il a ainsi pour fonction de favoriser la cohésion, alligare, du dallage en l'encadrant. Il est serré, bloqué, pressé sur deux faces, hinc et hinc coactus, entre le trottoir ou les contreforts et les dalles. »PMD

 « et après les avoir polies et aplanies à force de travail et les avoir découpées en forme polygonale, il les lia les unes aux autres sans mettre entre elles ni chaux (ou : ni métal) ni rien d'autre. Et elles ont été attachées ensemble avec une telle sûreté et lesinterstices ont été si bien fermés qu'elles font l'effet, à qui les regarde, non d'avoir été adaptées les unes aux autres, mais d'avoir été formées

ensemble par la nature». PMD , d’après Procope.

En conclusion :

« Cette description attentive nous révèle les caractères d'une grande voie romaine : non pas de toute voie romaine, mais de ces viae publicae qui étaient souvent aussi les plus belles parmi les viae militares, artères de grande circulation construites coûteusement avec des matériaux choisis, le maximum de soins et de précautions. Les deux caractères propres d'une telle oeuvre sont : l'épaisseur des substructions profondément enfoncées dans le sol, et le privilège d'être dallée

entièrement et non seulement aux abords des villes. Les routes ordinaires, surtout dans les provinces, sont au contraire peu épaisses et revêtues de cailloutis ou «gravillon»; elles ne présentent les caractères précédents que dans la traversée des villes; elles y sont, souvent, pavées plutôt que dallées. Le texte de Stace, utilisable grâce à ses précisions techniques, doit être utilisé à propos des voies impériales. »PMD

Le temps passe : suivant le riche site de la BNF : http://passerelles.bnf.fr/dossier/tp_02.php

« À la chute de l'empire romain, le réseau routier n'est plus entretenu et se détériore jusqu'au XIIe siècle au moins. À Paris, le roi Philippe Auguste ordonne le pavage des rues en 1184 pour améliorer le trafic des marchandises. Le réseau routier en France se développe progressivement,  mais l'essor du trafic maritime et fluvial constitue une forte concurrence. »

« La création, sous le règne de Louis XIV, de ce qui deviendra l’administration des Ponts et chaussées, contribue au progrès technique des routes et des voies de communication. Plus tard, l’inspecteur général Pierre Marie Jérôme Trésaguet (1717-1798) envisage la construction des routes d’un point de vue scientifique et propose une méthode de revêtement nouvelle dite en "hérisson", composée de couches d’empierrement, de gravier et de sable pour garantir un tassement régulier de la route sans que celle-ci ne s’effondre brutalement. »

Ce qui est intéressant là, est la récupération par un inspecteur général de techniques qui, selon Roupnel, sont antérieures au Romains, et en tout cas utilisée par eux, deux mille ans plus tôt….il n’est jamais trop tard.

Certes, ce qu’il sera sans doute question de construire, ou de restaurer, tiendra plus de la piste forestière que de ces ouvrages de prestige, qui ont défié les millénaires.

J’indiquerai donc bientôt  ici des lectures, bien plus prosaïques, car émanant de l’ONF, du CRPF, ou des services de l’Etat, concernant ces voies…

En attendant, allons aux clairières dont parlait Roupnel.

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