L’éco-anxiété n’est pas une maladie. Fallait-il le dire ? Il semble que si … Voilà deux articles du Monde, donc, pour revenir sur les Traces 180 et 181, sur la peur, mais aussi Trace 135, sur l’enfance :
Une interview de LAELIA BENOIT, pédopsychiatre et sociologue, que l’on peut lire aussi sur Basta :
« Mettons-nous d’emblée d’accord sur le fait que toutes les associations de professionnels qui s’occupent d’éco-anxiété, considèrent que ce n’est pas une maladie. Elles s’accordent à dire que l’anxiété est une réponse inévitable, et même saine, aux menaces écologiques auxquelles nous sommes confrontés. Donc, ce ne sont pas les personnes éco-anxieuses qu’il faut soigner, mais le changement climatique qu’il faut arrêter ! » LB
Certes.
Les personnes les plus concernées sont, logiquement, les plus inquiètes, et on voit bien par contraste, le flegme des classes dirigeantes :« Les études montrent que les minorités sont plus inquiètes et ressentent un plus grand sentiment d’urgence que les populations majoritaires. Chez les adolescents, les jeunes Américains, noirs et hispaniques par exemple, ressentent un grand sentiment d’urgence. Et ce résultat est cohérent avec des études menées auprès des adultes, qui elles aussi révèlent des populations vulnérables plus inquiètes. Les femmes, les personnes qui ont un faible statut économique et les minorités ethniques sont aussi plus inquiètes. » LB
Peur, en lieu et place de révolte : « Sur dix jeunes, huit sont préoccupés par le climat et six se disent extrêmement anxieux, selon les données de l’équipe de Caroline Hickman, du Royaume-Uni, qui a interrogé dix mille jeunes âgés de 16 à 25 ans dans dix pays différents, y compris en France. Ce qui suscite leur angoisse, c’est l’inaction climatique de notre société, alors qu’on fait face à un changement climatique très menaçant. Ce n’est pas le changement climatique tout seul qui inquiète, mais le fait qu’on ne fasse rien, qu’on y assiste en spectateur impuissant. Constater l’inaction climatique et ne rien pouvoir faire confronte certains adolescents à une impression d’irréalité. »LB. La même irréalité qui frappait Latour (Trace 176)
« Cette sensation que notre propre vie n’est pas réelle s’appelle, en psychologie, la déréalisation. C’est un automatisme qui sert à se protéger quand on est confronté à une violence. Les victimes de traumatismes ou d’abus savent très bien ce que sont les expériences de déréalisation, ces moments où ils ont l’impression de ne pas être là. Et le fait que certains jeunes nous disent qu’ils ont besoin de se déconnecter de la réalité pour supporter l’absurdité du quotidien nous dit quelque chose de la violence de l’inaction climatique. Moi, je pense que L’INACTION CLIMATIQUE EST UN ABUS CONTRE LA JEUNESSE et qu’on a plusieurs obstacles qui nous empêchent d’agir efficacement. D’abord le fait qu’on est dans une société dont le modèle économique est basé sur l’idée que les ressources sont inépuisables et qu’on ne peut pas vraiment abîmer la planète. Ensuite, le deuxième obstacle réside dans nos difficultés réelles à planifier le changement. » LB
Nos propositions de recours à l’improvisation (Trace 178 et 179), viennent de ces difficultés à fonder sur du sable.
« Le troisième obstacle, c’est notre difficulté humaine à envisager de réduire notre confort, alors qu’on n’y est pas encore tout à fait contraint. Et le quatrième obstacle, qu’on ne voit souvent pas, c’est que notre société méprise les jeunes, et en particulier les enfants. C’est ce qu’on appelle l’« infantisme » (traduction de « childism ») . C’est un obstacle pour écouter sincèrement l’anxiété climatique des plus jeunes. Ce mépris collectif envers les jeunes et les enfants, qui crée de la connivence entre les plus âgés sur le dos des plus jeunes, a donc une fonction sociale. Ça permet de désigner un « autre » et de l’exclure pour mieux consolider son groupe. C’est un mécanisme classique, assez proche de la cohésion de certains hommes qui essaient de créer un groupe en se montrant misogynes . Là, on a un peu ce même genre de fonctionnement, la création d’un ciment entre les générations précédentes sur le dos des plus jeunes. Peut-être parce qu’ON A PEUR QUE LA GENERATION NOUVELLE CHAMBOULE NOS HABITUDES ET NOUS FORCE A CHANGER. » LB
Oui, la peur évoquée Trace 180 : celle de devoir changer , qui dépasse , ou masque l’épouvante devant les bouleversements qui nous seront imposés , faute de changement de mode de vie. Celui-ci est négociable : Bush se trompait, en 1992. Il était temps alors…
« Evidemment, cela permet d’éviter de devoir rendre des comptes, d’éviter de perdre en confort. Et puis, au passage, se moquer des jeunes permet de se détourner de sa propre culpabilité. Evidemment, ils sont soumis à des tentations contradictoires. Comme nous tous d’ailleurs. Ils ont envie de consommer et ont aussi envie de contribuer…On va dire que ce sont des activistes velléitaires occupés à sécher l’école plutôt qu’à changer les choses. Ou alors on va les voir, à l’opposé, comme une génération héroïque, enfin là pour sauver le monde et qui va résoudre le changement climatique bien mieux que nous. Finalement, on est dans une image qui est soit dégradée, soit idéalisée. Et c’est le signe de la déshumanisation, le signe qu’on ne voit pas l’autre pour ce qu’il est, mais comme une sorte de caricature. C’est du préjugé et c’est pour ça que c’est de l’infantisme. » LB
QUE FAIRE ? PARLER, AGIR : « Même quand ils s’inquiètent, ils ne vont entamer une discussion ni avec leurs parents, ni avec leurs profs, ni avec leurs amis. Quand je leur avais posé la question, ils disaient avoir peur d’aborder un sujet démoralisant pour le groupe, de plomber l’ambiance, ou alors d’être taxés de prosélytisme, d’être l’écolo de service. En plus des actions individuelles, certains vont se lancer dans des actions collectives en groupe ou à plusieurs. C’est bien l’action collective qui est associée à une réduction de l’anxiété. En agissant ensemble, on se sent mieux. » LB
Puis une interview d’ALICE DESBIOLLES, épidémiologiste et médecin de santé publique : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/10/les-personnes-eco-anxieuses-sont-lucides-dans-un-monde-qui-ne-l-est-pas_6055577_3244.html
« Tout d’abord, il faut comprendre que l’éco-anxiété est une sensibilité au monde, un rapport à celui-ci qui est très rationnel. Cette angoisse prospective, qui anticipe l’effondrement du monde et la disparition de la nature telle qu’on l’a connue, s’appuie sur une forme de véracité scientifique. Les éco-anxieux sont souvent très documentés et d’ailleurs, l’élément déclencheur de leurs angoisses est principalement une information ou une actualité sur le changement climatique. De là va s’amorcer un questionnement, une forme de prise de conscience qui va conduire ces personnes à identifier de plus en plus de problèmes et leur interconnexion. On passe alors d’une éco-anxiété simple à une forme plus complexe. L’étape finale de cette pensée en réseaux est de réaliser que les solutions à mettre en œuvre pour contrer ces événements sont très complexes, du fait de cette imbrication des problèmes. » AD
Ce qui s’appelle lucidité : « Il est important de ne pas pathologiser ces émotions. Les personnes éco-anxieuses sont courageuses, elles sont lucides dans un monde qui ne l’est pas. Ne pas l’être est une manière de ne pas affronter la réalité. En cela, on ne peut pas dire que l’on ait affaire à une maladie mentale. Devenir éco-anxieux, c’est plutôt entamer une quête identitaire, bouleverser sa vision de soi, son rapport à soi-même et aux autres, au monde. » AD
Comment ne pas rester tétanisés ? « Les faits sont là, la planète va mal. On a tout intérêt à se préparer au changement, tant physiquement que psychologiquement. Le terme d’éco-anxiété évoque quelque chose de sombre, une forme d’angoisse qui inhibe. Elle peut l’être si l’on reste dans une forme passive, mais on peut choisir, au contraire, de s’engager par l’action. On peut, par exemple, modifier sa consommation et son alimentation et contribuer à la fois à son bien-être et à celui de l’environnement. Par ailleurs, il est très important de s’autoriser à lâcher prise. On peut facilement se sentir dépassé par tout ce qu’il reste à accomplir et cela est contre-productif. Je recommande de choisir les combats que l’on veut mener, quitte à faire des sacrifices temporaires. » AD
Les réponses pourront paraitre simplistes, voire légères, vis à vis des enjeux : « N’oublions pas, enfin, qu’il existe encore nombre d’endroits magnifiques avec une nature vivante, où l’on peut retrouver une forme de biophilie. Le plus important reste d’assumer et d’accepter ce que l’on ressent. Ce n’est en aucun cas une honte d’être éco-anxieux, bien au contraire… Ce n’est pas parce que l’on est en proie à certains questionnements que l’on doit s’empêcher de vivre. JE VOIS L’ECO-ANXIETE COMME UNE NOUVELLE FORME D’HUMANISME, PLUS INCLUSIVE ET MOINS ANTHROPOCENTREE. C’est une invitation à repenser notre rapport à la nature, au monde, notre manière d’apprendre et d’enseigner. De belles initiatives existent, à nous de décider quel rôle on souhaite jouer dans notre destin écologique. » AD
Aussi nous irons bientôt voir, psychosociologue, philosophe et anthropologue, à la recherche des « anti-peurs ».