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Billet de blog 11 avril 2025

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Trace 201-Exils climatiques 3

« Le réalisme de l’hospitalité ne s’oppose pas à l’idéalisme de l’hospitalité, il le complète… Ce n’est pas parce qu’un idéal ne sera jamais réalisé qu’il ne faut rien faire. C’est le contraire. » Fabienne Brugière et Guillaume Le Blanc,

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Les exils climatiques sont le leitmotiv de ces Traces. Le résultat des élections en Italie nous encourage hélas à persévérer...

Dans l’introduction qu’il fit il y a peu, en tant que directeur scientifique, des rencontres « Pianeta Terra Festival », le botaniste Stefano Mancuso précisa que la plupart des migrants aujourd’hui peuvent être considérés comme des réfugiés climatiques : https://www.pianetaterrafestival.it/6-ottobre-inaugurazione/

Parmi ses nombreux  livres, « Nous, les plantes », (2019-trad. 2021) est une belle incitation à penser : Mancuso y dresse la Constitution d’une hypothétique nation des plantes, basée sur leur comportement, tel que l’on peut l’observer tous les jours :

« Art. 1 : la Terre est la maison commune de la vie. La souveraineté appartient à tout être vivant.

Art. 2 : La Nation des Plantes reconnaît et garantit les droits inviolables des communautés naturelles comme des sociétés basées sur les relations entre les organismes qui les composent.

Art. 3 : La Nation des Plantes ne reconnaît pas les hiérarchies animales, fondées sur des centres de commandement et des fonctions concentrées, et favorise des démocraties végétales diffuses et décentralisées.

Art. 4 : La Nation des plantes respecte universellement les droits des vivants actuels, mais aussi des générations à venir.

Art. 5 : La Nation des Plantes garantit le droit à l’eau, au sol, et à un air propre.

Art. 6 : La consommation de quelque ressource que ce soit non renouvelable pour les générations futures est interdite.

Art. 7 : LA NATION DES PLANTES N’A PAS DE FRONTIERES. Tout être vivant est libre de s’y déplacer, et d’y vivre, sans limitation.

Art. 8 : La Nation des Plantes reconnaît et favorise le soutien mutuel parmi la communauté naturelle des êtres vivants comme un instrument de convivialité et de progrès. » SM

Cette recherche entière est un essai pour imaginer comment, avec 500 millions d’années de retard, rivaliser d’intelligence avec les plantes, en respectant nous aussi, pauvres humains, une semblable Constitution, en particulier l’Article 7 .

La Terre aura connu deux sortes de déplacements de masse : les migrations climatiques, et les déportations. Je mets au rang des migrations climatiques celles qui ont peuplé la planète, partant du foyer Africain, et celles qu’il faudra accueillir demain.  J’entends en revanche par déportation, celles  de nombreux esclaves,  dont la terrible traite atlantique : 12 millions de déportés, 90 % sur 110 ans, principalement au XVIIIème siècle. Ou bien hélas ce qui se produit sous nos yeux : la déportation d’enfants ukrainiens en Russie :https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/01/deporter-des-enfants-ukrainiens-et-les-russifier-c-est-amputer-l-avenir-de-l-ukraine_6136786_3232.html

Aujourd’hui, les migrations environnementales, perçues en Europe comme une menace, sont d’abord et avant tout un drame pour ceux qui doivent abandonner leur terre. Il fut déjà question des exils climatiques dans les Traces 73 et 74, et il en sera toujours plus question : une certaine bien-pensance évite d’aborder le sujet, pour ne pas effaroucher le bon peuple, nourrissant ainsi les positions haineuses de l’extrême droite. Laquelle se porte très bien sans cela. Comme signalé Trace 61, nous faisons nôtre la phrase de Kofi Annan  au Parlement européen en janvier 2004 « Les migrants sont une partie de la solution, et non une partie du problème ».

Parmi les publications récentes sur le sujet, on peut citer Reporterre : https://reporterre.net/Climat-et-manque-d-eau-700-millions-d-Africains-contraints-de-migrer-d-ici-a 2030?fbclid=IwAR2KMfnwYAeSMYwW9gadzvyncssFJzhLQa7iLbKxbduzY_RWDtg4ZDfu28I

« L’OMM insiste notamment sur l’enjeu de l’eau : d’après ses projections, d’ici à 2030, 700 millions de personnes pourraient être contraintes de se déplacer pour cause de stress hydrique. » Reporterre

Une aggravation de ces phénomènes peut provenir du type même des productions que nous importons, par exemple du Maroc : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/10/nous-exportons-sous-forme-de-fruits-l-eau-qui-nous-manque-le-maroc-guette-par-la-penurie-contraint-de-repenser-son-modele-agricole_6145119_3212.html

« En exportant ses tomates, ses pastèques, ses fraises ou ses oranges, le Maroc vend l’eau qui lui fait défaut. Dans un pays confronté à une grave sécheresse, ce cri d’alarme se fait de plus en plus insistant. Il provient de scientifiques, de militants écologistes et d’associations, qui mettent en garde contre les conséquences d’une agriculture gourmande en eau et tournée, pour une bonne part, vers l’export plutôt que vers l’autosuffisance. » Le Monde

« On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1 000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques. On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride ! », dénonce M. Sraïri. » Le Monde

Nous avons pu  l’été dernier commencer à entrevoir ce que signifient des températures et une sécheresse insupportables. Faudra-t-il attendre que cet exil climatique concerne aussi des Européens pour nous éveiller à la compassion, et saisir le problème ? Les exemples commencent à venir :

En Espagne : https://www.youtube.com/watch?v=xHa64iI9-c0

Au Portugal : https://www.youtube.com/watch?v=H0Mr8D7hyuE

Notre incapacité à résoudre la question humainement, nous confinant derrière d’illusoires murs (voir le livre de Wendy Brown, Trace 41) nous fragilise face à des chantages comme ceux exercés par Erdogan hier, et aujourd’hui par Poutine : «  La cheffe de la diplomatie allemande a mis en garde samedi contre la guerre hybride livrée par la Russie qui pourrait chercher à diviser l’Europe en favorisant aussi un afflux de réfugiés sur son territoire. » AFP

https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-10-15/guerre-en-ukraine/la-russie-pourrait-employer-les-refugies-comme-arme.php#

Sur un phénomène à la fois énorme, brutal, mais aussi très flou en matière de définition, et absolument imprévisible car dépendant de phénomènes en constante évolution, les chiffres sont  à la fois étrangement précis, et divergents : 143 millions d’ici 2050, selon Guiltinews, 216 millions d’ici 2050, selon Libération, 1 milliard selon l’ONU, etc.

On pourra consulter utilement le site de l’OIM : https://www.migrationdataportal.org/fr

Face à ces chiffres déréalisants, l’exposition « L’Atlas en mouvement » de Mathieu Pernot, et le livre lié, mettent des visages, des noms : « La plupart du temps sujets anonymes et anxiogènes du discours médiatique, ces individus sont ici nommés et inscrits dans le temps long de l’histoire des savoirs dont ils sont les dépositaires : « De Mossoul à Alep, de Lesbos à Calais en passant par Paris, « L’Atlas en mouvement » traverse les temps et les territoires de l’exil et part à la rencontre de celles et ceux qui ont la force de l’espoir. Il met en mouvement les images et propose de créer un espace où représenter l’histoire fragile des migrants. Il nous dit que celle-ci s’inscrit dans une histoire commune qu’il faut écrire ensemble. » MP

Nous avons déjà évoqué, Traces 73 et 74, la réticence de tous, y compris des mieux intentionnés, à établir un statut de réfugié climatique, au risque notamment de fragiliser encore plus la Convention de 1951.

Patrice Maniglier, dans « Le cri de Gaïa - Penser la terre avec Bruno Latour » (2021), signale pourtant que dans la simulation de négociation imaginée, les personnes impliquées «sont arrivées à des propositions relativement innovantes : la création d’un statut pour les réfugiés climatiques,… » PM

Innovante, je ne sais, urgente en tout cas : aucun état n’accepte jusqu’à présent de penser à un tel statut protecteur, comme si l’accroissement même du nombre des personnes concernées effaçait l’urgence de les prendre en compte.

Pourtant, ce statut de réfugié est essentiel, comme le soulignent Fabienne Brugière et Guillaume Le Blanc, auteurs de « La fin de l’hospitalité » (2017), qui n’ont de cesse d’y revenir : « Demander un refuge, c’est vouloir ne plus être un migrant, c’est chercher à devenir un réfugié. Certains demandeurs de refuge, enregistrés, surveillés, passent dix-sept ans en moyenne dans les camps… Des enfants y naissent, y deviennent adultes, passent leur vie dans les limbes. » FBGLB

« La division migrant/réfugié est une construction politique destinée à établir un tri dans la biopolitique des vies à secourir…. Nos pays ont produit cette division et la valident comme seule réponse : le réfugié est sujet de droit tandis que le migrant économique est persona non grata. » FBGLB

« Le réfugié est le « ne plus » migrant… celui dont l’existence est attestée par le fait qu’elle a été identifiée à un risque mortel, donnant lieu à une demande de reconnaissance. » FBGLB

« A la lettre, l’étranger qui arrive en Europe n’est ni un migrant ni un réfugié, mais bien un demandeur de refuge, un demandeur d’hospitalité… » FBGLB

Avant d’esquisser le moyen d’établir un monde commun, en faisant œuvre commune : c’est là notre conviction : « Finir par faire monde commun en établissant un lieu de vie où il devient impossible de savoir qui est le réfugié et qui est le bénévole, non parce que les frontières sociales ont disparu, mais parce que les œuvres des uns sont devenues les œuvres  des autres, parce que l’agir des uns s’est confondu avec l’agir des autres. » FBGLB

Et de se refuser à trancher entre idéalisme, et réalisme :

« Le réalisme de l’hospitalité ne s’oppose pas à l’idéalisme de l’hospitalité, il le complète… Ce n’est pas parce qu’un idéal ne sera jamais réalisé qu’il ne faut rien faire. C’est le contraire. » FBGLB

Bientôt, parole sera donnée à François Gemenne, notre boussole sur le sujet.

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